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Tous habillés pareil : comment Internet a rendu les jeunes (encore plus dramatiquement) conformistes
©Reuters

"Same-style syndrome"

Depuis 1994, les photographes hollandais Ari Versluis et Ellie Uyttenbroek capturent le style vestimentaire de groupes de jeunes gens, pour faire ressortir différents mouvements de mode. Vingt ans après le début de leur projet intitulé "Exactitudes", ils ont constaté un déclin de la diversité vestimentaire chez les jeunes du monde entier. La faute à Internet ?

Anne Balas-Klein

Anne Balas-Klein

Anne Balas-Klein est directrice de LISAA Mode, école de mode à Paris, spécialiste de la création de mode et du marketing de la mode.
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Atlantico : En tant qu'experte de la mode, comment décririez-vous le "same-style syndrome", soit "le syndrome du même style", mis en évidence par deux photographes hollandais par une série de photos prises depuis 1994  (voir ici) ?

Anne Balas-Klein : Je décrirais ce phénomène comme le fait que les membres d'un groupe se mettent à adopter tous le même "uniforme". On peut ainsi aujourd'hui distinguer "l'uniforme" des jeunes de banlieues par exemple (survêtement à capuche, capuche sur la tête ou bonnet, baskets, démarche voutée pour les garçons, polo siglé), "l'uniforme des hipsters" (vintage, port de la barbe/moustache, abondance de tatouages), ou encore "l'uniforme" tenue de travail, dont les codes changent en fonction du secteur dans lequel on est employé, etc.

Au-delà des vêtements, c'est aussi la volonté d'appartenir à un groupe, et de se fondre dans la masse de ce groupe, très certainement, je pense, pour se sentir protégé, à une époque où tout est marqué par l'incertitude (divorce, chômage...).

Selon l'un des photographes hollandais, Ari Versluis, "en Europe, que vous alliez à Copenhague ou Rome ou Berlin ou Madrid, les jeunes gens se ressemblent tous de nos jours". Le "same-style syndrome" est-il selon vous un phénomène en augmentation ?

Oui, ce phénomène est en très forte augmentation.

D'abord, le "same-style syndrome" ne touche plus seulement les jeunes, mais toutes les générations. Une jeune fille pourra par exemple tout à fait acheter le même jean chez Zara que sa mère ou même sa grand-mère, même si chacunes d'entre elles l'associeront différemment avec d'autres pièces de vêtements et accessoires. 

Ensuite, il y a une augmentation en terme de volume, c'est-à-dire qu'il n'y a plus "une mode" qui est suivie par tout le monde, il y en a plein. Je ne dirais aujourd'hui plus "être à la mode", mais être "aux modes". La mode est un business et a su proposer une mode diversifiée pour plaire au plus grand nombre de consommateurs.

Toujours selon Ari Versluis, Internet serait responsable de l'augmentation du phénomène du "same-style syndrome". Selon vous, Internet a-t-il rendu les jeunes encore plus conformistes qu'avant ?

Je pense qu'il est d'abord important de préciser que ce phénomène du "same-style syndrome" a toujours existé, notamment chez les adolescents.

Mais effectivement, ce conformisme est amplifié par Internet, et ce pour plusieurs raisons.

En amont, Internet donne accès aux tendances du moment, quelque soit l'endroit du globe où vous vous trouvez et quelque soit votre situation, ce qui était avant réservé aux créateurs de mode et de tendances, qui se déplaçaient physiquement dans d'autres pays pour aller voir ce qu'il s'y passait. "L'uniforme" des hipsters est par exemple né à New York et n'a eu besoin de personne pour s'implanter en France, le Web s'en est chargé tout seul. Les "people" sont aussi très souvent suivis sur les réseaux sociaux et imités par leur fans dans le monde entier.

Et en aval, Internet a permis le développement du commerce en ligne, ce qui permet d'avoir accès à des pièces de marques qui ne sont pas forcément implantées physiquement chez vous, et ce pour moins cher que dans les magasins. Des adolescents chinois peuvent par exemple acheter en ligne, se faire livrer des pièces de la marque Topshop, et se retrouver ainsi habillés comme des adolescents anglais.

Enfin, Internet rend tout simplement le phénomène du "same style syndrome" beaucoup plus visible qu'il ne l'était avant, grossissant parfois des tendances qui sont moins suivies dans la réalité.

Après, Internet ne fait pas tout. La masse d'informations qui y circulent peuvent aussi perdre le consommateur s'il ne cherche pas un "uniforme" précis. De plus, les pièces y sont vendues séparément, et il n'est pas forcément évident d'arriver à les associer. Ce type de consommateur préfèrera alors surement aller faire son shopping dans des magasins physiques, qui proposent des tenues complètes, et ont des vendeuses pour les conseiller. En ce sens, l'implantation physique des grandes marques aux prix abordables dans le monde entier (Zara, Gap, H&M) contribue également à l'amplificiation du phénomène du "same-style syndrome".

Toujours selon Ari Verslui, "le monde est en train de devenir une immense masse globale, incapable de donner naissance à de nouvelles vraies sous-cultures". Êtes-vous d'accord avec cette analyse ?

Je pense que le terme de "sous-culture" n'est pas approprié. Il est clair que l'on apporte rien au monde de la mode en choississant d'adopter un "uniforme" particulier. Néanmoins, il ne s'agit que de vêtements, derrière lequel chacun conserve sa propre identité et son propre mode de pensée.

Ensuite, il y aura toujours des esprits libres qui ne se plieront pas à ces codes vestimentaires. Aujourd'hui, nous ne sommes pas entourés que "d'uniformes" de travail, d'hispster ou de jeunes de banlieue.

Peut-on aujourd'hui être "à la mode" sans Internet ?

Non, trop d'informations et de ventes passent désormais par ce biais pour que l'on puisse s'en passer, Internet est devenu un média incontournable à consulter pour être "à la mode", ou plutôt "aux modes" comme je l'expliquais plus haut.

En effet, l'expression "être à la mode" sous-entend "être dans l'actualité de la mode". Quand on ne ressemble par aux autres, il faut soit une bonne dose de personnalité ou d'anti-conformisme, soit une longueur d'avance... ou de retard sur l'actualité.

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