Tireur de Libération et de BFM TV : l'erreur de diagnostic de Caroline Fourest sur les racines de la colère à l’égard des journalistes<!-- --> | Atlantico.fr
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Caroline Fourest explique que les journalistes sont déconnectés de la réalité.
Caroline Fourest explique que les journalistes sont déconnectés de la réalité.
©Flickr

Ou pas...

Dans une tribune publiée par le Huffington Post intitulé des Tireurs de moins en moins isolés, Caroline Fourest s'indigne de "la haine" à l'égard des journalistes. Ces derniers seraient victimes de la vindicte d'un "café du commerce" devenu globalisé qui ne supporterait pas qu'on lui rappelle certaines réalités.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

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Dans une tribune publiée par le Huffington Post,  Caroline Fourest s'indigne de "la haine" à l'égard des journalistes. Selon elle, les journalistes sont là pour rappeler certaines réalités dans un climat populiste encore attisé par internet. Un diagnostic contesté par le sociologue Michel Maffesoli qui lui répond pour Atlantico.

En ces périodes d’instabilité, ne serait-ce point l’honneur de ceux qui ont pour vocation d’être des médiateurs, de pratiquer la médiation, que de mettre en œuvre une pensée et une parole hauturières en accord avec les bouleversements en cours ? L’approximation dans le langage des divers protagonistes des médias permet d’en douter ! L’approximation syntaxique, l’usage immodéré d’expressions à la mode, la propagation de l’information sur la base de reprises endogamiques, voilà les indices concordant de la légère superficialité du moment dont les organes de presse et divers moyens de communication tirent profit. Mais profit immédiat et sans horizons, que les journalistes risquent de payer, rapidement, fort cher. De manière exemplaire, France Inter, radio de service public, cristallise aujourd’hui ces petits abandons et un véritable affaissement qu’en son temps Umberto Eco avait vu pour la télévision, lorsqu’il parlait de « néoTV », entendant par là une situation où le média ne parle plus que de lui-même, à lui-même. Disparition des rebelles par généralisation des rebelles. La méfiance, de plus en plus affichée, frappant aussi leur profession est des plus instructive et devrait leur faire entendre raison.

C’est-à-dire leur faire comprendre que quand quelque chose titube, la sagesse des peuples est d’aspirer à un nouveau principe : à une autre fondation.

Dès lors la fonction des « médiateurs », plutôt que d’aller et venir sur des sentiers battus et rebattus, est de savoir retourner le terreau sur lequel repose le vivre-ensemble, et ce afin que l’obscur du fonds puisse émerger. Voilà le vrai rôle d’initiateur que devrait jouer le médiateur : accompagner ce qui est là. Je l’ai souvent indiqué dans des livres antérieurs : en rappelant ce qui unit l’humus et l’humain, on participe à un humanisme intégral et l’on évite les pièges et dangers propres à l’obscurantisme qui est toujours, potentiellement, prêt à renaître.

Les médias pourraient en prendre de la graine ! En effet, après les intellectuels et les politiques, c’est au tour des journalistes d’être l’objet d’une méfiance de plus en plus grande. Il suffit d’écouter nombre d’émissions (télés, radios, réseaux sociaux), de lire des articles pour constater que ce qui prédomine est un sentiment « d’entre soi » : ils se parlent les uns aux autres, les uns des autres, sans se préoccuper de ceux auxquels ils sont censés s’adresser. On constate par exemple un phénomène de mimétisme de la critique littéraire, cinématographique, culturelle en général : point n’est besoin de lire la pile de livres reçus, de se déplacer dans les Premières, il suffit d’endosser le pas et de suivre le premier qui tire. Les services de presse des éditeurs le savent bien, qui élaborent des dossiers de presse de plus en plus complets, permettant aux journalistes pressés d’envoyer un papier bien formaté : quatre phrases reprises du dossier pour raconter l’histoire, exposer la problématique, puis une ou deux phrases pour qualifier l’objet et c’est ainsi que l’abondante production annuelle de livres, de films, d’expositions se réduit à un petit nombre d’évènements « à la mode ». Et bien sûr, cette mode ne saurait tolérer une remise en question un peu violente des grands principes de la doxa. Pourtant, ne seraient-ce pas ces francs-tireurs qu’attend le public ?

Ainsi, au-delà, ou en deçà des représentations fleurant bon leurs XVIIIe et XIXe siècles, le journaliste, protagoniste de l’actuel, saura faire une simple présentation. Ce qui est le cœur battant de cette démarche toute d’humilité dont les pensées dogmatiques ont si peur : la phénoménologie. Ne pas chercher au-delà des phénomènes le sens de la vie. Mais prendre au sérieux ce qui se donne à voir, parce que c’est cela qui donne à vivre. Ce que l’on a déjà signalé en début, un mot de l’ancien français soulignait bien cette manière de voir ce qui est : « monstrer ». La «monstration » acceptant même ce qui est monstrueux et, ainsi, en l’amadouant, c’est-à-dire en s’en purgeant, évite les formes paroxystiques. La « catharsis » aristotélicienne n’avait pas d’autre ambition !

Les grands principes qui ont été à la base de la Modernité, contrat social, démocratie, citoyenneté, État nation, identité individuelle n’entrent plus en résonance avec l’épistémè de l’époque. Ce sont alors des incantations, des mots creux qui ne rassurent que ceux qui les prononcent.

On ne peut plus s’en contenter car les réactions populaires sont plus complexes qu’on ne croit. Les politiques en font les frais. La désaffection pour les élections ou les oscillations erratiques et absurdes des votes entre des extrêmes dont personne ne souhaite vraiment l’avènement au pouvoir sont les signes, on ne peut plus évidents, de ce désamour du politique. Les journalistes devraient y être attentifs. En effet, on peut écouter la « télé » ou la radio par pur divertissement. Et c’est chose normale, voire utile au bon équilibre personnel ou collectif. Le ludique, on l’oublie trop souvent, est une structure anthropologique essentielle. Mais son pendant, la rigueur, ne l’est pas moins.

Ainsi, quant aux choses essentielles, les peuples ne vont pas se laisser influencer pour savoir de quel côté ils doivent tourner. C’est pourquoi le rôle du « journaliste exotérique » n’est pas d’imiter, c’est-à-dire de singer, le donneur de leçon, mais bien d’accompagner ; d’être le « grand frère » initiateur. En la matière ne pas se contenter d’une creuse logomachie, mais, au contraire, trouver une forme libre, simple et essentielle à la fois. Trouver un style spécifique qui soit en congruence avec l’esprit du temps.

Je le rappelle, protagoniste du quotidien, de ce qui se présente, c’est-à-dire de ce qui rend présente la vie, de ce qui rend présent à la vie, le journaliste devrait avoir la liberté dans l’usage des mots. Se contenter de « notions » qui suivent la labilité des choses. Ce faisant en désobstruant les verrous théoriques des interprétations, et des représentations a priori, il est possible de retrouver l’éternelle jeunesse des choses.

Mais pour cela il faut savoir faire preuve de retenue. Car, pour paraphraser Nietzsche, ce n’est pas en faisant « de la poussière et du bruit que l’on est le carrosse de l’histoire ». La recherche, à tout prix, du « scoop » n’est, en ce sens, certainement pas la bonne manière de faire. Je l’ai indiqué plus haut, c’est en étant enté sur une pensée solide, environnée par le silence de l’incubation que l’on peut être à même d’entendre, en sa réalité, le bruit de fond du monde.

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