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Thibault de Montbrial : « Le vivre-ensemble n’est plus qu’une incantation psalmodiée par des gens qui, à titre personnel, font tout pour s’y soustraire »
©NICOLAS MAETERLINCK / Belga / AFP

Délitement

Dans "Osons l’autorité" (éditions de L’Observatoire), Thibault de Montbrial s'inquiète du délitement de la société française, fruit de quarante années durant lesquelles toutes les références structurelles et institutionnelles à l’autorité dans notre pays ont progressivement disparu.

Thibault de Montbrial

Thibault de Montbrial est Avocat au Barreau de Paris, Président du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure.

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Atlantico : Vous publiez "Osons l’autorité" aux éditions de L’Observatoire. Comment expliquer le délitement de la société française et la situation actuelle évoquée dans votre livre ?

Thibault de Montbrial : Le délitement de la société française est le fruit d’une quarantaine d’années au cours desquelles progressivement, subrepticement toutes les références structurelles et institutionnelles à l’autorité dans notre pays ont glissé. Au début, cela n’était pas forcément spectaculaire. Mais très vite, le thème de l’autorité a été laissé en marge du débat public. Il est assez vite devenu l’apanage, tout à fait à tort, de la droite dite extrême. L’ensemble des partis politiques dits de gouvernement s’étant perdus dans une confusion tragique entre autorité et autoritarisme. L’autorité à laquelle moi j’appelle, c’est une autorité pour défendre notre système démocratique. Une fois le constat fait, je développe un certain nombre de propositions. La première d’entre elles, ce qui résume mon propos précédent, c’est tout simplement d’appliquer nos lois. Ce que je dénonce dans le livre, c’est qu’il y a un certain nombre de comportements auxquels aujourd’hui l’Etat n’a plus les moyens de s’opposer. Ces comportements entravent le bon fonctionnement de notre démocratie.

Comment réhabiliter l’autorité sans sombrer dans des dérives ou dans l’autoritarisme ?

Il s’agit de remettre l’église au centre du village. De rappeler que le fondement du pacte social c’est le vote de lois par le Parlement démocratiquement élu et leur application d’une part et d’autre part le fait que nos concitoyens puissent s’exprimer et épanouir leurs talents dans un cadre de sécurité. Aujourd’hui, des minorités violentes de toutes sortes prennent avantage de la fracture de notre corps social et de la faiblesse de notre Etat pour rôder comme des prédateurs autour d’une bête blessée et entravent de plus en plus le bon fonctionnement de la démocratie. Et par ailleurs, l’insécurité galopante et la violence, qui sont en train d’exploser dans notre pays, portent, par les troubles qu’elles génèrent, une atteinte insupportable à l’exercice des libertés, dont la sécurité est le socle préalable.

Quelles sont les solutions pour éviter la fracturation de notre société ? Des réformes sont-elles nécessaires ?

La première c’est d’appliquer la loi dans toute sa rigueur. Il faut que l’Etat assume le fait que, la loi étant l’expression de la volonté populaire, cette volonté doit pouvoir se traduire dans les faits sans entrave une fois la loi votée.   

Il faut assumer d’appliquer la loi. La volonté populaire démocratiquement exprimée doit triompher. Il faut respecter notre Constitution. Il est nécessaire d’assumer la part de violence légitime qui permettra d’y parvenir.

Nous avons aujourd’hui un corps social qui est trop fracturé. Nous avons abandonné trop de champ pour qu’une reconquête se fasse sans qu’il y ait des heurts. C’est d’ailleurs toute la raison de l’impuissance de l’Etat notamment dans les banlieues, le fait que les commissariats puissent être attaqués sans que les émeutiers ne soient inquiétés. Il y a une forme de tétanie face aux conséquences. On a été tellement loin dans l’abandon de l’autorité que chacun craint l’engrenage de conséquences qu’aurait le rétablissement d’un ordre pourtant démocratiquement légitime.

Je pense que la démocratie a le droit de se défendre, évidemment dans le respect des règles de droit en ce qui concerne les interventions de la police et de la gendarmerie. Il faut assumer la force républicaine.

Certaines réformes sont également indispensables. Un certain nombre de choses doivent par exemple être simplifiées dans la justice : procédure, exécution des peines… Il faut des peines pas forcément plus sévères mais plus certaines. Les contrevenants doivent « sentir » la riposte de l’Etat.

Ainsi par exemple pour une petite infraction, 200 euros d’amende payés dans les quinze jours conduiront beaucoup plus le délinquant au respect de la puissance de l’Etat que quarante heures de TIG (Travail d’Intérêt Général) dix-huit mois plus tard.    

Je propose dans l’ouvrage de très nombreuses autres solutions concrètes.

Le corps social est tellement abîmé que la reconquête de l’ordre républicain prendra du temps. Cela implique deux conséquences.

D’abord, il est nécessaire de recréer une transcendance et un projet commun. Le vivre-ensemble est aujourd’hui devenu une incantation idéologique psalmodiée par des gens qui, à titre personnel, font tout pour s’y soustraire.

Sans arrogance mais sans faiblesse, il faut rappeler ce que cela implique de vivre en France et d’être Français. C’est une aventure formidable. La France est un pays aux racines gréco-latines, de traditions judéo-chrétiennes. Nous avons quatre grandes valeurs cardinales qui nous différencient des gens qui veulent nous détruire, et en particulier les islamistes qui représentent pour moi le plus grand danger.

Ces quatre grandes valeurs sont l’égalité hommes-femmes, la liberté de croire ou de ne plus croire, la liberté d’aimer qui l’on veut et un mode de gouvernance démocratique avec une certaine bienveillance humaniste. C’est une vraie différence par rapport aux totalitarismes politiques ou politico-religieux.

Ensuite, il faut que notre République tienne. En effet, la reconstruction d’un projet commun va prendre du temps, entre une à deux générations. Dans l’intervalle, la République doit se montrer intransigeante envers les individus qui veulent la détruire et prendre toutes les mesures d’ordre sécuritaire et judiciaire pour entraver leurs projets.   

La stratégie du gouvernement va-t-elle dans le bons sens ? Après les tensions des Gilets jaunes, la lutte contre le séparatisme et le terrorisme qui est affichée avec le projet de loi en cours ou bien encore l’action de Gérald Darmanin et la nomination d’Eric Dupond-Moretti en tant que Garde des Sceaux sont-ils des signaux « encourageants » ? Face aux failles que vous dénoncez dans votre livre, qu’est-ce qui pourrait être fait ?

Je raconte dans mon livre le désastre de la gestion par Christophe Castaner et Nicole Belloubet des événements du printemps dernier au moment de l’exploitation en France du mouvement Black lives matter.

Le nouveau gouvernement semble avoir pris la mesure des tensions extrêmes qui existent dans notre pays et de l’augmentation de la violence. Le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre ont nommé les choses. L’utilisation par Gérald Darmanin du terme « ensauvagement » rend compte d’un double phénomène très inquiétant. D’abord une augmentation significative des violences et d’autre part une augmentation significative de l’ampleur de ces violences. Il y a eu très clairement un tournant dans la lucidité sur le constat. Ensuite, il y a eu le discours excellent du président Macron sur le séparatisme islamiste qui enfin décrit pour la première fois les choses telles qu’elles sont. Il faudra être attentif au contenu du projet de loi, mais aussi à la responsabilité du comportement des partis politiques qui prônent de longue date une certaine fermeté. Même si le texte ne s’avère pas parfait, il constituera nécessairement un pas dans la bonne direction et je ne comprendrais pas que les partis de droite ne le votent pas.

Pour en revenir au gouvernement, je constate avec quatre mois de recul que le « et en même temps » a hélas encore frappé. Malheureusement, le volontarisme affiché en matière régalienne est affaibli par la position du Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, qui n’a pas su quitter l’habit d’un avocat de la défense de talent pour prendre celui de l’avocat de la société.

La Justice est un acteur majeur en matière de sécurité. Ainsi, entendre systématiquement le Garde des Sceaux prendre le contrepied des positions de Gérald Darmanin nuit considérablement à la cohérence de la partition gouvernementale. Cette semaine encore à l’Elysée lors du rendez-vous, avec les syndicalistes policiers, il a posé le principe que la prison est à la fois criminogène et lieu de radicalisation. Ainsi, il sape dès le départ tout le discours qui tend à renforcer l’exercice de l’autorité. Il faut un ministre de la Justice qui soit au diapason du ministre de l’Intérieur.  

A lire aussi sur Atlantico, deux extraits de l'ouvrage :

L’inconscience de certains juges face au terrorisme

Restaurer l’autorité : priorité au régalien

Thibault de Montbrial publie "Osons l'autorité" aux éditions de L’Observatoire.

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