Théâtre royal de luxe contre Coca-Cola : la guérilla d'artistes de rue contre "ce satané empire américain", vue depuis les Etats-Unis<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
La compagnie de théâtre de rue, Royal de Luxe, a décidé de poursuivre Coca-Cola.
La compagnie de théâtre de rue, Royal de Luxe, a décidé de poursuivre Coca-Cola.
©Reuters

Vendre son âme au diable

Une compagnie française de théâtre nantaise, subventionnée par le contribuable et proche de Jean-Marc Ayrault, a refusé un contrat pour que son âme ne soit pas souillée par le mercantilisme. Elle attaque aujourd'hui Coca-Cola pour plagiat.

Wolf  Richter

Wolf Richter

Wolf Richter a dirigé pendant une décennie un grand concessionnaire Ford et ses filiales, expérience qui lui a inspiré son roman Testosterone Pit, une fiction humoristique sur le monde des commerciaux et de leurs managers. Après 20 ans d'expérience dans la finance à des postes de direction, il a tout quitté pour faire le tour du monde. Il tient le blog Testosterone Pit.

Voir la bio »

Une compagnie de théâtre de rue, Royal de Luxe, a décidé de poursuivre une multinationale américaine diabolique, ou du moins c'est ce qu'il semblerait. Le problème, c'est que Royal de Luxe est à la croisée entre connections politiques, subventions gouvernementales, mercantilisme de Coca-Cola, et peut-être même de la domination mondiale - et certainement du grand art.

Alors que la compagnie joue toute une variété de spectacles, elle est mondialement célèbre pour ses marionnettes géantes suspendues à des matériaux de récupérations. Les acteurs en costume, perchés sur l'engin ou encore s'activant aux pieds de la marionnette géante, actionnent des cordes pour que les yeux du géant s'ouvrent, pour qu'il bouge un bras, tourne la tête, ou encore avance pas à pas. Ces spectacles ont connu un immense succès à travers le monde.

Jean-Luc Courcoult a monté  la compagnie en 1979 avec une pièce de théâtre de rue à Aix-en-Provence. Au fil des années, les tendances ont changé et la compagnie a voyagé. Au mois d'octobre 1989, alors que la compagnie était à Toulouse, selon son propre site Internet, "elle a reçu un coup de téléphone du maire de Nantes, leur offrant des subventions et la possibilité d'utiliser un entrepôt sur les quais de la Loire"."Cette offre ne pouvait être déclinée", peut-on également lire sur leur site web.

Le généreux maire en question n'était autre que Jean-Marc Ayrault. Il avait été élu à la tête de la ville quelques mois plus tôt. Depuis, il a été réélu encore et encore, alors qu'il était également élu à l'Assemblée nationale avant de devenir Premier ministre au mois de juin 2012.

Les subventions accordées par la ville à la compagnie de théâtre s’élèvent à 300 000 euros par an, et ce, simplement pour que cette dernière demeure basée à Nantes alors même qu'elle se produit dans le monde entier. Les spectacles donnés dans la ville de Nantes font également l'objet d'un cachet. Par exemple, l'été dernier, Royal de Luxe a produit "Rue de la Chute" composé de 15 spectacles – 14 en fait, l'un d'entre eux ayant été annulé. Pour cette production, la compagnie a touché 800 000 euros. Au total les subventions de la ville de Nantes à Royal de Luxe sur l'année 2012 s'élèvent à 1,1 million d'euros.

La compagnie en question vient d'annoncer qu'elle allait poursuivre Coca-Cola, cette marque aimée autant que détestée à travers le monde. En cause ? Le Père Noël. Ou plutôt un spot publicitaire de Coca-Cola diffusé depuis le mois de novembre et mettant en scène une marionnette géante du Père Noël.

Il s'avère que Coca-Cola avait contacté Royal de Luxe au mois de mai dernier. "La marque voulait un Père Noël de 12 mètres de haut", s'est énervé la compagnie. Le géant de 12 mètres aurait dû être animé de la même manière que les autres marionnettes. Royal de Luxe a décliné la proposition car elle a "toujours refusé de servir une marque". La seule chose qu'elle accepte des entreprises, c'est le sponsoring.  

Coca-Cola a donc fait faire la travail par quelqu'un d'autre. Les fans ayant vu le spot, s'étaient imaginé que Royal de Luxe l'avait produit. Ils ont ainsi exprimé "leur surprise et ont répudié une telle collaboration", a expliqué la compagnie. Peut-être les fans se sont-ils demandé comment un groupe d'artistes idéalistes avait pu vendre son âme à une multinationale de l'affreux empire marketing américain. L'ensemble du groupe d’artistes était choqué que Coca-Cola "se soit approprié notre création de la sorte", s'était plaint Gwenaëlle Raux, le producteur. "Je trouve cela scandaleux, c'est tellement flagrant. La scénographie de Jean-Luc Courcoult est tout à fait reconnaissable".

Royal de Luxe s'est hâté d'expliquer "cette déception" à ces fans. Après un examen de conscience quant à ce spot publicitaire, - "un triste plagiat de nos marionnettes", comme ils le qualifient, Royal de Luxe, "confronté à une injurieuse usurpation", a choisi d'agir de manière catégorique et a "chargé ses avocats d'entamer une action en justice".

Hélas, Royal de Luxe ne possède aucun droit sur le Père Noël, et n'a d'ailleurs jamais créé de marionnette du Père Noël. Les marionnettes géantes sont par ailleurs fréquentes. Pourquoi donc alors la marionnette Coca-Cola du Père Noël a-t-elle provoqué les foudres de Royal de Luxe ?

La réponse : la scénographie de Jean-Luc Courcoult. En d'autres termes, le spectacle dans son ensemble : le géant est transporté par camion, la boîte s'ouvre de façon théâtrale, le géant en sort, ouvre ses yeux, se meut, bouge sa tête et commence à se déplacer pas à pas. Néanmoins, il existe des différences entre les deux scénographies : Royal de Luxe a recours à des comédiens en costume pour tirer les cordes actionnant les géants ; alors que dans le spot de Coca-Cola, les cordes du Père Noël étaient actionnées par des comédiens jouant des voisins enthousiastes.

Que Royal de Luxe détienne des preuves ou non, la symbolique demeure : une compagnie française de théâtre, subventionnée par le contribuable et proche du Premier ministre socialiste, a refusé un contrat pour que son âme ne soit pas souillée par le mercantilisme. Ensuite, elle s'est attaquée à un symbole mondial du marketing et du capitalisme y opposant ses marionnettes artisanales, son art et quelques avocats. Le tout contre l'énorme machine légale qu'est Coca-Cola. Un thème pour leur prochain spectacle...

Cet article a également été publié en anglais sur le site testosteronepit.com

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !