Tensions entre Macron et Borne : des anges passent, la Constitution trépasse <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, Elisabeth Borne et Gérald Darmanin à l'occasion des célébrations et du défilé militaire du 14 juillet.
Emmanuel Macron, Elisabeth Borne et Gérald Darmanin à l'occasion des célébrations et du défilé militaire du 14 juillet.
©Michel Euler / POOL / AFP

Elysée - Matignon

Le président et sa première ministre ne sont pas le premier couple exécutif à piétiner l’esprit comme la lettre de la Constitution. Mais le cumul de l’absence de majorité et de défaut de culture politique des protagonistes les auront poussés à parachever la décomposition de nos équilibres démocratiques.

Anne-Marie Le Pourhiet

Anne-Marie Le Pourhiet

Anne-Marie Le Pourhiet est professeur émérite de droit public.

 

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Elisabeth Borne, après avoir plaidé pour l'apaisement du pays et déclaré ne pas vouloir que les syndicats sortent "humiliés" de la séquence réforme des retraites, a fini par se ranger derrière le président de la République. Elle a fait savoir qu’il fixait le cap et qu’elle travaillait sur "la feuille de route qu’il m’a donnée". De tels propos ne traduisent-ils pas un profond manque de respect pour la Constitution française ?

Anne-Marie Le Pourhiet : Pourquoi devrait-on y voir un manque de respect pour la constitution française ? Cela fait belle lurette que ce n’est pas le Premier ministre qui gouverne en France. Rappelons-nous le quinquennat de Nicolas Sarkozy : à l’époque, il appelait François Fillon son “collaborateur”. Le collaborateur, rappelons-le, n’a pas vocation à exprimer des désaccords : il est là pour obéir.

Le malentendu profond de cette situation vient de l’élection du président de la République au suffrage direct. Au lieu de comprendre, comme c’est le cas au Portugal, en Autriche ou en Islande, qu’il faut élire un arbitre - ce qui correspond au rôle du chef de l’Etat si l’on s’en tient à la seule constitution - et non pas un capitaine, les Français élisent quelqu’un sur un programme de gouvernement.

C’est pour cela que tous ceux qui souhaitent exercer le pouvoir exécutif visent l’Elysée et non Matignon. Ils se présentent alors à l’élection présidentielle sur un programme de gouvernement… qui ne peut pas être exécuté puisqu’il s’agit fondamentalement d’un programme législatif. Il dépend alors d’une majorité qui soutient le président à l’Assemblée nationale. Les différents cas de cohabitation que nous avons constatés illustrent bien que le chef de l’Etat ne bénéficie pas systématiquement d’un tel atout et, dans ce cas, il lui faut alors s’écraser.

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En l’état actuel des choses, la situation n’est pas sans rappeler celle qu’avait connue Michel Rocard : faute d’une majorité propre, Emmanuel Macron a nommé un gouvernement qui patauge. Puisque notre culture ne comprend pas, contrairement à celle observée en Allemagne, la négociation de coalitions entre les partis capables de gouverner ensemble, le président n’a d’autre solution que de faire du canoë-kayak entre les obstacles. 

Évidemment, le couple exécutif utilise les dispositifs prévus dans la constitution pour faire face à ce genre de situation. 

Maxime Tandonnet : A l’évidence, cette notion de feuille de route est éloignée de l’esprit comme de la lettre de la Constitution de 1958. La feuille de route fait du Premier ministre un collaborateur ou une sorte de directeur de cabinet du président de la République. Or, la Constitution dans ses article 20 et 21 conçoit le Premier ministre comme le chef du gouvernement, une autorité politique à part entière, distincte du chef de l’Etat. Certes il est nommé par le président de la République, mais il est aussi responsable devant l’Assemblée nationale. Il est vrai qu’en ne sollicitant pas la confiance après sa nomination, Mme Borne s’est placée dans une position d’allégeance à l’Elysée. La situation est extrêmement curieuse. Nous avons un Conseil constitutionnel qui veille méticuleusement à la conformité des lois aux grands principes constitutionnels notamment la déclaration de 1789. En revanche, le respect de l’équilibre des pouvoirs tel qu’il est défini par la Constitution, notamment ses article 20 et 21, est totalement bafoué sans que cela ne gêne personne.

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Les dissensions actuelles ne questionnent donc pas le rapport du président au pouvoir ?

Anne-Marie Le Pourhiet : Le problème vient de la raison pour laquelle on élit le président de la République. Pour que faire l’élit-on, au juste : pour gouverner ou pour régner ? Veut-on que le chef de l’Etat fasse comme le président allemand ou le président italien - que personne ne connaît, par ailleurs ? Veut-on d’un capitaine ou d’un président à la portugaise, élu en fin de carrière, une sorte de “vieux sage” ? A l’occasion d’un colloque sur les modes de désignation de chefs d’Etat, un collègue Portugais me faisait justement part des interrogations de ses concitoyens : ils se demandent parfois pourquoi on les appelle aux urnes s’il s’agit d’élire quelqu’un qui n’a pas de pouvoir. C’est un autre problème dont il faut tenir compte.

Cette situation, qui découle pour partie de l’absence de majorité du président, nous pend au nez depuis un moment déjà, me semble-t-il. Mais le rapport Borne-Macron, dans la pratique de la Vème République est on ne peut plus normal. Ce ne sont pas les premiers à faire face à ce genre de dissensions. 

Rappelons-nous : sous De Gaulle, les Premiers ministres qui entraient en fonction signaient “une démission en blanc” sur demande du président lui-même. Chaban-Delmas avait d’ailleurs dit que le Premier ministre qui refuserait de démissionner sur décision du chef de l’Etat serait un “triste sire”. Le rapport de force actuel n’a donc rien de nouveau : c’est le président le patron… et c’est là quelque chose qui est rentré dans la tête des Français, gouvernants comme gouvernés. On a donc un chef de gouvernement et son patron qui est aussi super-chef de gouvernement. Il n’y a pas la distinction, traditionnelle dans les régimes parlementaires, entre le chef de l’Etat et le chef de gouvernement.

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N’existait-il pas, cependant, une distinction entre majorité parlementaire et majorité présidentielle ? Dans quelle mesure celle-ci pouvait-elle constituer une soupape de sécurité contre la volonté du président ?

Anne-Marie Le Pourhiet : La difficulté que nous rencontrons peut être résumée assez simplement : l’élection présidentielle est conçue par la loi organique de telle sorte qu’il n’y ait que deux candidats au second tour. Le but était alors d’assurer, forcément, une majorité du président. Emmanuel Macron a eu sa majorité au second tour de l’élection présidentielle… mais élire un homme et élire 577 députés, ce n’est pas la même chose !

Là, il y a 577 sièges à répartir et tout ou partie des députés aujourd’hui élus étaient, il y a seulement un an, à genoux devant l’idée de l’instauration de la proportionnelle. Ce serait, à bien des égards, revenir à la IVème République. N’oublions pas, cependant, que la Vème République est un régime de réaction à la partitocratie à l’Italienne qu’ont pu être les IIIème et IVème République ; l’une comme l’autre ayant dérivé en régime d’assemblée. 

Le Conseil Constitutionnel, que d’aucuns estiment à tort responsable de la protection des libertés, fait aussi partie de l’arsenal du parlementarisme rationalisé : il a été créé pour tenir les assemblées dans le corset de la constitution et ne s’est octroyé son nouveau rôle qu’après le décès du général De Gaulle. Mais, rappelons-le, il n’est pas là pour sanctionner les abus de l’exécutif : son rôle, c’est même tout l’inverse. C’est lui qui a permis de mettre le président de la République à l’abri. 

Dès lors, il apparaît évident que la situation actuelle ne présente rien de neuf sur le plan constitutionnel. La seule différence qu’il convient de noter est sociologique : c’est le personnel politique qui a considérablement changé. Il n’a plus d’autorité morale et se voit désormais contesté de partout. Emmanuel Macron gouverne ainsi que le permet le régime, mais il le fait dans une société qui n’est plus une société de citoyens : c’est un monde d’ayants-droits dans lequel plus personne ne veut rien respecter et certainement pas la moindre hiérarchie. Or, la verticalité vient aujourd’hui de gens qui ne sont pas exemplaires, ce qui nourrit la contestation. 

Le gouvernement, dès lors, n’est pas autoritaire : il est seulement impuissant. Et perdu. Mais ce qui se passe n’est pas institutionnel : c’est un problème sociologique.

Qui, sinon le Premier ministre, dispose du poids politique nécessaire pour tenir tête au président de la République ? Dans le système macronien, où les chefs du gouvernement ne semblent pas être ceux de la majorité parlementaire, peut-on encore croire à l’émergence d’une figure politique assez forte pour ne pas s’écraser devant Emmanuel Macron ?

Maxime Tandonnet : Au-delà de la Constitution, nous assistons à une préoccupante dérive du système politique français dans la courtisanerie. Franchement, on ne voit pas qui dans la majorité ou même à l’extérieur, en tout cas dans le monde politique, aurait le courage de s’opposer (intelligemment) à la volonté jupitérienne. Le naufrage de la classe politique française est à cet égard très inquiétant. Le principe est de faire carrière en donnant un maximum de gages d’allégeance et de soumission au chef. Cela s’observe chez tous les barons de la macronie mais aussi chez leurs alliés. Il faut y voir une marque du déclin du monde politique sur le plan intellectuel comme sur celui du caractère. La capacité à dire « non » motivée par des convictions semble avoir disparu au profit d’un climat de servilité généralisé. En dehors des formes exacerbées d’opposition, à l’image de la Nupes qui perdent de leur crédibilité à force d’être caricaturales, une exception mérite d’être relevée : l’attitude de M. Laurent Berger leader de la CFDT et son opposition ferme et tranquille aux « 64 ans ». Mais il n’est pas dans le monde politique.

En l’état actuel des choses, le désaccord entre le président et sa majorité, à tout le moins le malaise d’une partie d’entre elle, face à la manière dont le dossier des retraites et les partenaires sociaux sont traités, ne semble pas l’empêcher de diriger. Une telle situation ne devrait-elle pas avoir des conséquences plus  importantes, comme la potentielle censure du gouvernement ? Comment revenir à plus d’équilibre en la matière ?

Maxime Tandonnet : L’idée martelée par certains d’une sixième République fait partie du folklore politicien et la fuite dans la communication grandiloquente. En vérité, il suffirait d’appliquer en la respectant la Constitution de 1958 : un président arbitre, garant du bon fonctionnement des institutions, du respect par la France de ses engagements internationaux (soit la politique extérieure et de défense), un Premier ministre qui gouverne en toute indépendance sous le contrôle du Parlement.  Sans changer la Constitution, une voie d’amélioration serait d’élire l’Assemblée nationale avant le chef de l’Etat. Certes, l’image actuelle que donne l’Assemblée nationale avec son extrémisme, sa violence verbale et son chaos quotidien n’est pas favorable à cette évolution. Pourtant, dès lors que dans l’opinion, l’Assemblée redeviendrait un lieu de souveraineté respectable, l’abstention serait moins forte (54% en 2022 !) et on pourrait espérer à terme un renouveau des vocations et une amélioration de la qualité des députés. 

Quel est la part du blâme qui est imputable à Emmanuel Macron lui-même pour l’avènement d’un tel déséquilibre et d’un maltraitement de la Constitution ? Dans quelle mesure est-ce aussi le fruit de décisions antérieures à sa seule action ?

Maxime Tandonnet : Le quinquennat voulu en 2000 par Jacques Chirac et Lionel Jospin a sa part de responsabilité. En alignant le mandat de député sur le mandat présidentiel, il a fait du chef de l’Etat le chef de la majorité parlementaire et annihilé le rôle du Premier ministre, confondu avec celui du président de la République. C’est désormais le chef de l’Etat qui pilote l’action du gouvernement à la place du Premier ministre qui n’est plus qu’un collaborateur. Cela n’est pas nouveau et ne tient pas à la seule personnalité du président Macron. On se souvient de la polémique en 2008 à propos de la déclaration de Nicolas Sarkozy qui avait parlé de son Premier ministre, François Fillon, comme d’un « collaborateur ». Les bons Premiers ministres dans l’histoire de la Ve République sont ceux qui ont osé tenir tête au président de la République et exprimer leur désaccord : Georges Pompidou notamment, mais aussi Jacques Chaban-Delmas ou Michel Rocard. Aujourd’hui cela semble difficile pour des raisons culturelles ou psychologiques : les présidents sont dans une logique narcissique qui place leur image personnelle avant toute considération de bien commun. Dès lors, ils nomment un Premier ministre, un entourage qui ne leur font pas d’ombre, dans une logique de prime à l’obséquiosité et la servilité. Le problème est plus mental que constitutionnel. Il tient à l’absence d’hommes d’Etat ayant une vision et du caractère, et indirectement au déclin du niveau intellectuel de la classe dirigeante.

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