Course à l'armement
Tensions en Europe : nouvel armement high-tech à l’Est, bonne grosse sieste à l’Ouest ?
Beaucoup de questions se posent sur la Russie et son potentiel militaire. Les dirigeants européens ont-ils pris réellement la mesure de l'avancée technologique de l'armée russe ?
Xavier Raufer
Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date: La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers.
En février 2021, ça se tend entre l'Otan et la Russie : "Qui veut la paix prépare la guerre", dit Sergei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères ; Le secrétaire général de l'Otan renchérit : La Russie ? "Si elle veut des affrontements, nous sommes prêts". À ce moment, l'observateur de ces zones de friction et autres "petites guerres" qu'est forcément le géopoliticien, en vient à s'inquiéter.
À notre époque confuse en effet, où le crime organisé, les terrorismes, méga-gangs et milices armées tourbillonnent sur (et autour) d'imprécis champs de bataille, avec des forces spéciales toujours moins repérables et distinctives, l'opinion européenne - voire, ses dirigeants - semblent égarés, entre ignorance des faits récents et clichés dépassés. La Russie par exemple, et son potentiel militaire : une opinion européenne paresseuse somnole sur l'idée confortable d'une armée russe aux chars rouillés et à l'arsenal nucléaire dormant dans des hangars délabrés, clos de cadenas.
Or depuis une décennie, ce que les experts voient, de la Mer noire à la Syrie et du nord de l'Ukraine et l'Azerbaïdjan-Karabagh, révèle qu'on en est loin. D'où, comme l'aveuglement stratégique est toujours désastreux, cette petite revue d'arsenaux russes bien plus high-tech qu'on ne l'imagine.
Wargames ? Kriegspiel ? En français, simulation de combat. Fin 2020, la Pologne en organise une, niveau quartier général ; le ministre de la Défense et le président polonais la suivent de près. À la manœuvre, des milliers d'officiers, scrutés par l'Otan et Washington. Objectif de la simulation "Hiver 2020" : vérifier la capacité de l'armée polonaise à repousser toute offensive militaire russe. Côté polonais, ce kriegspiel suppose actives les armes récemment achetées aux États-Unis, missiles Patriot, chasseurs F35. Champ de bataille : l'est de la Vistule, de Kaliningrad à la Biélorussie.
Bilan terrible, révèle l'agence polonaise Interia : dans la première semaine d'une guerre avec la Russie "l'armée polonaise cesserait d'exister", perdant de 60% à 80% de ses effectifs et équipements. Varsovie encerclée en 4 jours ; ports bloqués, flotte aérienne et maritime vaincue malgré l'appui de l'Otan. Une surprise ? Non : cinq ans avant, un wargame (de la RAND corp.) sur les Pays baltes (de 2016), les montrait hors de combat en 60 heures.
Les experts expliquent ces frappantes défaites par un arsenal high-tech, limite science-fiction, développé depuis une décennie en Russie ; des dizaines de systèmes d'armes et de dispositifs de guerre électronique "aguerris" de l'Ukraine à la Syrie, via le Nagorno-Karabagh. Ces experts notent le manque de tels armements et systèmes dans les dernières armées réelles d'Europe, France, Allemagne et Grande-Bretagne.
L'ultra-moderne destroyer USS Donald Cook (4e génération) est surarmé : 96 missiles de croisière Tomahawk, 50 missiles antiaériens. En avril 2014, il navigue en Mer noire, ce qui agace toujours les Russes. Soudain, un bombardier tactique SU-24 le survole, porteur du dispositif électronique "KHIBINY". Comme on éteint la télé, voilà le Donald Cook sourd et aveugle. Écran noir : son "cerveau numérique" régissant tout à bord - circuits de contrôle, systèmes de tir, radars, transmissions - est mort. À la merci du premier missile venu - et le SU-24 feint plusieurs attaques - Donald Cook gagne un port roumain voisin, dirigé manuellement par des officiers abasourdis.
En avril 2018, un phénomène analogue affecte deux frégates françaises (L'Aquitaine et l'Auvergne), parties en Méditerranée orientale "punir" la Syrie de Bachar al-Assad par tirs de missiles. Alors, notre ministre de la Défense dit "n'avoir pas l'intention de commenter les performances de tel ou tel système d'armes".
En combat conventionnel, de tels cyber-sabotages révèlent ces cruciaux dispositifs de guerre radio-électroniques de théâtre, donnant la suprématie sur les ondes et paralysant l'adversaire. Pour l'Otan, ce système de maîtrise du champ de bataille (C4I, Command, control, communication, computer and intelligence) se nomme AEGIS : ce "système nerveux" orchestre, contrôle, scrute la bataille terrestre, maritime, aériennne - spatiale, même, en temps réel ; guide et coordonne les décisifs moyens de défense antimissiles.
Or en Syrie, L'Otan constate qu'à l'arrivée du corps russe d'appui à Bachar al-assad, tout change. Portés par camions, avions ou hélicoptères, des armes de combat radio-électronique type "KRASSOUKHA-4" suscitent une "bulle" de 300 km. de rayon, impénétrable aux moyens Otan. L'ennemi y perd l'espace électromagnétique. Radars de détection-guidage des missiles ou avions de chasse ; liaisons avec les satellites-espions ; réseaux-radio VHF/HF, terminaux pour communications cellulaires, canaux de contrôle des drones (reconnaissance, attaque), WIFI : morts, écran noir.
Saturé de contremesures électroniques et de fausses informations, l'ennemi doit alors tenter de brouiller des systèmes russes puissamment cryptés - et nombreux, avec : MOSKVA-4, BORISSOGLEBS-2, SVET-KU, RHTUT-BM, INFAUNA, etc., véritables "boucliers d'invisibilité", empêchant notamment l'ennemi de voir vos avions (ou missiles) décoller ou atterrir.
Concrètement : depuis 2012, les milices rebelles syriennes étaient informées par leurs maîtres américains de tout mouvement de l'armée syrienne, au nord du pays : voilà ces mercenaires aveugles, bientôt en déroute.
Autre joyau de l'arsenal russe, les robots de combat terrestre type URAN-9, que leur usage au combat en Syrie a perfectionnés. Conçus pour la reconnaissance, l'appui-feu ou la destruction, roulant à 35kmh. en terrain plat, ils embarquent des missiles antichars, un lance-flamme, un canon et une mitrailleuse et sont télécommandés du sol ou d'un hélicoptère. Là aussi, la panoplie russe est vaste, car existent aussi STRELOK, PLATFORMA-M, RTK-VN, NEREKHTA, ARGO et GNOM (sous-marin).
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