Tensions à la BCE face à une Europe engluée dans la stagnation : la méthode allemande est-elle le problème ou la solution ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La méthode allemande est-elle le problème ou la solution ?
La méthode allemande est-elle le problème ou la solution ?
©Reuters

Il va bien falloir choisir

Mitigés, les marchés attendent de connaître le fond du discours de Mario Draghi de ce jeudi 2 octobre. Le président de la BCE marche sur un fil, entre d'un côté les partisans de la rigueur, parmi lesquels l'Allemagne, et ceux qui en Europe appellent de leurs vœux une relance monétaire assumée. A ce sujet le prix Nobel Christopher Sims déclarait en août 2014, "l'Allemagne fait davantage partie du problème que de la solution".

Alain Fabre

Alain Fabre

Alain Fabre est Conseil indépendant en Fusions & Acquisitions. Il est aussi expert économique auprès de la Fondation Robert Schuman, de l'Institut de l'Entreprise et du mouvement ETHIC. 

Il a récemment publié Allemagne : miracle de l'emploi ou désastre social?, Institut de l'Entreprise, septembre 2013. 
 

Il a publié pour l'Institut de l'Entreprise L'Italie de Monti, la réforme au nom de l'Europe et Allemagne : miracle de l'emploi ou désastre social

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Alors que la très attendue réunion de la Banque centrale européenne aura lieu ce jour, les tensions se font de plus en plus vives avec l’Allemagne. Entre les déclarations du Prix Nobel d’économie Christopher Sims, qui indique que l’Allemagne fait plutôt partie du problème que de la solution, la publication du livre de l’économiste Allemand Marcel Fratzscher "L’illusion Allemande", et l’article de contestation "le mirage économique allemand" de Philippe Legrain, ancien conseiller économique de Jose Manuel Barroso, le pays est attaqué de toutes parts.

Atlantico : Au début des années 2000, l'Allemagne était qualifiée d'homme malade de l’Europe. Comment la situation s'est elle inversée au cours des 10 dernières années ?

Alain Fabre : On ne présente généralement pas les choses ainsi en France, mais le fond du problème allemand il y a dix ans était la dérive depuis le début des années 1980 de l’Etat social sous l’effet de droits croissants sans contreparties qui contribuaient à mettre en cause la compétitivité des entreprises et leur capacité à en assurer la charge. Cette tendance a été fortement accentuée par la rupture constituée par la réunification, avec la nécessité d’intégrer à l’Etat social 17 millions de nouveaux Allemands qui n’avaient jamais contribué au système et l’intensification de la mondialisation. Jusqu’en 2002 l’Allemagne a réussi à éluder le problème en capitalisant sur ses fondamentaux. Mais à cette date, l’échec des politiques de stimulation de la demande a convaincu le Chancelier Schröder du caractère inéluctable des réformes de structure. Lui-même craignait qu’il ne fût trop tard. La clé de la réussite allemande est d’avoir lié les droits aux devoirs, de rétablir une relation étroite entre solidarité collective et responsabilité individuelle. Même si le climat politique et social était tendu dans les années 2002-2005, période de mise en oeuvre des réformes, l’Allemagne a pu compter sur un accord sur le fond entre CDU et SPD d’une part, le patronat et les syndicats de l’autre. Une des forces de la réussite allemande actuelle et de sa légitimité politique et sociale tient beaucoup au fait qu’elle est aussi un succès du sens des responsabilités des syndicats allemands.

Nicolas Goetzmann : Il suffit de revenir à la formule d’Helmut Schmidt "les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après demain". Au début des années 2000, les profits allemands sont en berne. Le choix est alors fait de presser les salaires afin de revenir à des marges plus importantes. Entre 2000 et 2005, la part des salaires dans le total des revenus baisse de 5 points, ce qui permet une hausse égale de 5 points des revenus des entreprises. La première partie de l’équation de Schmidt est alors remplie. C’est à partir de là que les choses se compliquent. Comme les salaires ne progressent pas en Allemagne, il n’est pas rentable d’investir ces nouveaux profits dans le pays. Et c’est le choix qui va être fait, les efforts consentis par les salariés au profit des marges ne vont pas être investis en Allemagne, mais à l’étranger. La totalité. En effet, au courant de la même période la part des investissements allemands dans le PIB baisse de 5 points. Ce qui correspond, par le jeu des écritures de la comptabilité nationale, à la hausse du compte courant de l’Allemagne. Les investissements de demain ont financé les emplois d’après demain…à l’étranger, mais pas en Allemagne. Parce que la fin de l’histoire est que 90% des emplois crées en Allemagne depuis 2005 sont dans le secteur des services, c’est-à-dire des emplois à bas salaire.

La France et les autres pays européens ont ils réellement intérêt à suivre l'exemple allemand? Les situations sont elles comparables ?

Alain Fabre : Dans la crise de la zone euro, l’Allemagne a considérablement adapté sa position à la gravité de la situation et a parfaitement pris conscience de sa responsabilité particulière dans la perception qu’en auraient les marchés. C’est ainsi qu’elle est passée d’une position "pas d’Union de transferts" à une solidarité conditionnée par les réformes. C’est une position logique en l’absence d’une union monétaire fonctionnant en régime fédéral. On ramène exagérément la "doctrine" économique allemande à l’orthodoxie budgétaire alors qu’elle accorde en réalité la priorité aux réformes de structure et notamment aux mesures portant sur la réduction du coût du travail et de flexibilité du marché de l’emploi. Berlin n’a pas de problème avec un pays comme l’Espagne qui a justifié ses reports de retour sous la barre des 3% par la nécessité de faire des réformes de structure. Personne ne réclame à Berlin que les économies de la zone euro copient servilement le modèle allemand. Mais il est clair que la zone euro ne pouvait résister à une divergence continue de la compétitivité de ses membres et au fond eux-mêmes ont pris conscience que c’est la base d’une croissance véritable. On le voit en Espagne, au Portugal et en Grèce. Matteo Renzi donne lui aussi la priorité à la réforme du marché du travail

Nicolas Goetzmann : Si la France et les autres pays veulent suivre le même modèle, il faudrait déjà qu’ils en comprennent les conséquences. Pour les salariés, il s’agit de faire des efforts sur leurs revenus afin d’aider les entreprises à faire plus de profits. Ce qui peut se justifier. Le problème est que dans "le programme", ces nouveaux profits serviront à financer des investissements à l’étranger. Le retour sur investissement pour ceux qui font les efforts est donc nul.

Le deuxième aspect est évidemment le contexte monétaire. Lorsque l’Allemagne a mis ces réformes en place, la croissance était forte en Europe. Elle bénéficiait donc d’un environnement favorable pour le faire. Aujourd’hui, la croissance est à 0. Ce qui signifie que pour faire baisser les salaires, il ne suffit pas de les faire stagner, comme cela a été le cas en Allemagne entre 2000 et 2005. Il est impératif qu’ils baissent. Ce qui donne un aspect encore plus violent au phénomène. C’est ce qui se passe en Grèce ou en Espagne. Mais encore une fois, le retour dans "le vert" des balances commerciales de ces deux pays signifie simplement que les nouveaux investissements sont réalisés ailleurs. En Espagne, les investissements représentaient 24% du PIB en 2009, ils sont aujourd’hui à 18%. En nominal, ils ont baissé de 30%. Donc pour les emplois d’après demain, il faudra attendre le prochain tour.

L'Allemagne est aujourd'hui très critiquée, notamment en France. Quels sont les reproches qui peuvent être adressés à la politique économique allemande dans le traitement de la crise de la zone euro ?

Alain Fabre : J’avoue mal comprendre les reproches adressés à l’Allemagne. On focalise traditionnellement sur ses équilibres budgétaires et ses excédents extérieurs qui témoigneraient de son égoïsme ! Elle exporte pour 1100 Md€ mais on oublie de mentionner qu’elle importe plus de 900 Md€, bien plus que la France en pourcentage de son PIB ! Enfin l’excédent commercial allemand n’est pas la contrepartie des déficits en Europe ; il est obtenu pour l’essentiel hors zone euro. Rappelons que l’Allemagne crée 350.000 emplois par an dont la  majorité est constituée d’emplois soumis à cotisations, que la population active n’a jamais été aussi élevée avec un taux de chômage qui est la moitié du taux français. Les salaires augmentent de 3% par an alors que le pouvoir d’achat s’effondre en France.

Nicolas Goetzmann : Il peut être reproché à l'Allemagne de ne pas voir le mal qui est fait, de ne même pas comprendre ce qui est en train de se passer. Les positions relèvent bien plus de la morale que de la logique économique. Comment le gouvernement allemand peut-il tolérer de voir les investissements s’effondrer dans le pays alors que le plein emploi est atteint ? La réponse est simple, parce que politiquement, il est formidable de pouvoir afficher un surplus de compte courant. Le mythe de l’industrie allemande qui exporte beaucoup est très payant.

Concernant les autres pays de la zone, la situation est dramatique. La position allemande est intransigeante sur un éventuel plan de relance. Parce que dans sa position de plein emploi, un tel plan provoquerait la hausse des salaires allemands et donc une perte de compétitivité. Entre ça et le chômage dans le reste de la zone, le choix est fait. La situation est totalement inéquitable et l’intérêt général européen n’existe tout simplement pas. Mais il n’est pas anormal que l’Allemagne défende ses intérêts, c’est aux autres pays de dire stop, notamment à la France. 

Les reproches s'étendent également à la zone euro, qui "obéirait" à la doctrine allemande. Cette critique est elle aujourd’hui pertinente, ou est-ce l'expression d'un certain populisme ?

Alain Fabre : Cette présentation des choses est inexacte et polémique. Personne ne demande à Berlin  que l’Europe "obéisse" au gouvernement allemand. Je rappelle une nouvelle fois que l’Allemagne est un pays qui a encore peur de son ombre et redoute d’alimenter le populisme chez ses voisins et sur sa scène politique avec l’écho de Alternative pour l’Allemagne qui mène campagne contre l’euro. L’Allemagne veut une Allemagne européenne, non une Europe allemande. Ce qui ne l’empêche pas de défendre ses intérêts.

Nicolas Goetzmann : Il est évident que toute critique de l’Allemagne provoque de vives réactions. C’est le "bon élève" de la classe…malgré un niveau de pauvreté plus élevé qu’en France, malgré 8 millions de personnes qui touchent un salaire inférieur au SMIC Français, c’est-à-dire 20% de la population active, malgré des investissements faibles. Le modèle semble montrer quelques limites…mais rien n’y fait.

En août dernier, une réunion de 450 économistes a eu lieu dans le sud de l’Allemagne, à Lindau. 18 Prix Nobels étaient là. Et le message général était de dire que l’Allemagne ne pouvait pas continuer ainsi, la zone euro non plus. Les critiques ont été virulentes. Angela Merkel est intervenue à la clôture de l’évènement, en confortant sa ligne. Circulez, il n’y a rien à voir. La zone euro est en train de s’effondrer sur elle-même, l’ensemble des organismes internationaux comme le FMI ou l’OCDE critiquent la situation, les Prix Nobel d’économie aussi,  mais non, tout va bien. En France, on applaudit le "bon" élève et on l’envie. Le populisme, c’est de faire croire que l’économie relève de la morale, c’est de faire croire que quand la France "aura fait ses devoirs" tout ira mieux. Parce que pour que tout aille mieux, ce qu’il faut, c’est déjà un gigantesque plan de relance monétaire.

L'Allemagne est-elle indispensable à la zone euro, ou est-ce la zone euro qui reste indispensable à l'Allemagne ?

Alain Fabre : Oui car au fond l’Allemagne à travers sa situation financière, la robustesse de ses entreprises et de son marché de l’emploi, et notamment ses excédents extérieurs assure l’essentiel de la fonction de réassurance de la zone euro. In fine tout le monde, et notamment les marchés que la sagesse allemande est capable de ramener les Etats les plus turbulents à la raison. Essayons d’imaginer la crise de la zone euro avec une Allemagne dans l’état de délabrement de la France !

Nicolas Goetzmann : L’Allemagne sans la zone euro, c’est un Deutschemark très fort. Avec un surplus de compte courant de 7% de PIB, la monnaie allemande serait actuellement en lévitation. Ce qui provoquerait un léger problème de "compétitivité" pour le pays. Une telle perte rendrait la situation intenable et la Bundesbank serait obligée d’intervenir pour éviter une récession. C’est-à-dire exactement ce qui se passe pour le reste de la zone euro aujourd’hui et exactement ce qui est demandé par "certains" à la BCE.

Inversement, une zone euro sans Allemagne, c’est un euro en forte baisse, et un retour de la "compétitivité" des autres pays. C’est évidemment l’Allemagne qui tire le plus grand bénéfice de la situation aujourd’hui. Et lorsque le gouvernement refuse les actions de la BCE, il s’agit tout simplement de consolider sa position. Le but est de rechercher la bonne position, mais de façon permanente.

Pour lire le Hors-Série Atlantico, c'est ici : "France, encéphalogramme plat : Chronique d'une débâcle économique et politique"

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