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Taubira, la vérité derrière l'icône : "elle a vraiment le profil de la harceleuse" avec ses collaborateurs
©Reuters

Bonnes feuilles

Dans son enquête inédite menée de Paris à la Guyane, Caroline Vigoureux apporte des révélations exclusives sur la vraie personnalité de Christiane Taubira. Extrait de "Le mystère Taubira-La vérité derrière l'icône", publié chez Plon (2/2).

Caroline  Vigoureux

Caroline Vigoureux

Caroline Vigoureux est journaliste politique à L'Opinion.

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A quarante et un ans, Christiane Taubira est inconnue lorsqu’elle débarque à l’Assemblée nationale. Elle ignore tout du fonctionnement du Parlement. « Ce milieu a un code de conduite qui me désarçonne. Des députés qui s’affrontent avec férocité se retrouvent à la buvette et s’y donnent l’accolade ; cela dépasse mon entendement, je me dis que je dois être rustre83 », raconte-t-elle. Quand elle arrive au Palais-Bourbon, en juin 1993, la députée porte une jupe à fleurs et un gilet rayé. Elle est soignée, sans être coquette. Désormais exposée, elle comprend vite que chaque détail compte. Elle commence à s’habiller et à se maquiller autrement. Léon Bertrand, député RPR de Guyane depuis 1988, guide la novice lors de ses premiers pas à l’Assemblée.

    L’élue guyanaise décide de siéger à la commission des Affaires étrangères, présidée par l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing. Pas question pour elle de rejoindre les socialistes, alliés à ses adversaires locaux du Parti socialiste guyanais. Elle choisit d’intégrer un petit groupe qui rassemble des députés de droite comme de gauche, baptisé République et Liberté. On y trouve notamment Bernard Tapie, Jean-Louis Borloo ou encore Jean-Pierre Chevènement... Un rassemblement hétéroclite et surprenant. « J’ai assez d’humour pour en percevoir la dimension baroque, pas assez de connaissances des uns et des autres pour le côté fantastique84 », ironise Christiane Taubira. La déclaration politique du groupe précise que les membres agissent « sous leur responsabilité personnelle » et qu’ils n’acceptent « d’autres directives que celles de leur conscience ». Ils n’ont donc à se soumettre à aucune consigne de vote. Cette philosophie convient parfaitement à Taubira.

    Sa liberté est totale et l’élue de Guyane va très rapidement le prouver. Le 8 avril 1993, elle vote la confiance au gouvernement... d’Edouard Balladur ! A peine arrivée, la députée se fait déjà remarquer. Lorsqu’elle rentre en Guyane, elle doit justifier ce choix improbable auprès de ses électeurs. « J’explique que rien dans ce discours ne constituait un élément rédhibitoire à mon vote, dont le principe avait été décidé lors d’une assemblée générale de Walwari85 », se défend-elle. Les Guyanais ne lui en tiennent pas vraiment rigueur. Le cabinet du président de l’Assemblée nationale, Philippe Séguin, lui propose de changer de place pour siéger vers le centre de l’hémicycle. Elle décline.



    L’Assemblée nationale dispose d’un contingent de logements à disposition des députés qui le souhaitent. Grâce à l’Office public d’aménagement et de construction (OPAC), Christiane Taubira s’installe dans un appartement du 12e arrondissement, à quelques mètres de la gare de Lyon. Le système est avantageux et offre des loyers bien en deçà des prix du marché. La députée de Guyane paye 986 euros par mois pour 80 mètres carrés, soit la moitié du prix normal à l’époque. Lorsque cette information est révélée dans la presse86, elle se justifie sur son blog : « Je ne verrais [...] aucune objection à ce que le siège de l’Assemblée nationale soit déplacé en Guyane. Je gage même que mes collègues et le personnel de l’Assemblée nationale s’en réjouiraient, malgré les rigueurs du climat semi-équatorial chaud et humide, malgré moustiques et serpents, malgré le souvenir du bagne. » Pour faire taire les critiques, elle explique qu’elle aurait pu choisir le remboursement de ses nuits d’hôtel. « Vous voyez que cela m’aurait coûté bien moins cher, pour plus de confort, mais bien plus cher aux fonds publics de l’Assemblée nationale. »

    Lors de ses trois premières années à Paris, son mari Roland Delannon occupe le poste de collaborateur parlementaire. Il la conseille notamment sur les questions environnementales, son domaine de prédilection. Christiane Taubira travaille ses dossiers à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Elle écrit seule ses discours et les apprend par cœur. « A l’Assemblée nationale, je suis toute seule. Nourrissez-moi de toutes vos observations pour que je sois en mesure de rendre ce que vous m’avez permis de porter », dit-elle aux cadres de Walwari. Elle considère que le parti socialiste n’a pas à se mêler des affaires guyanaises. La Guyane, c’est elle. La députée s’approprie plusieurs combats, dont la loi sur l’interdiction des mines antipersonnel.

    L’hémicycle, très majoritairement blanc et masculin, n’est pas toujours tendre avec cette femme noire. Un jour de 1996, un « Nique ta mère » fuse des bancs de la droite pendant que Taubira pose une question au gouvernement. Le coupable n’est pas identifié. La députée demande des excuses publiques. Ce que fera Gilles de Robien, président du groupe UDF, d’où l’insulte est partie. En ouvrant son courrier, ses collaborateurs ont aussi parfois la mauvaise surprise de tomber sur des lettres racistes. « Ça l’atteignait en tant que politique mais elle ne personnalisait pas du tout ces attaques », raconte une ancienne collaboratrice parlementaire.

21 avril 1997. Jacques Chirac annonce la dissolution de l’Assemblée nationale. La députée voit là une occasion de revenir à une vie normale, à Cayenne, auprès de ses enfants. Son fils Lamine, quinze ans, a connu l’expérience de la garde à vue pour « non-port du casque » sur son scooter. Sa fille a été agressée par deux individus qui lui ont volé son deux-roues87. Et puis ces allers-retours entre Paris et Cayenne, séparées par neuf heures d’avion au-dessus de l’Atlantique, sont épuisants. Mais finalement et comme toujours, la passion de la vie politique sera plus forte. Christiane Taubira sollicite un second mandat qu’elle obtient avec 65 % des voix.

    Déjà quatre ans qu’elle occupe son poste de députée. Après la dissolution, elle demande au président du groupe PS Jean-Marc Ayrault d’être apparentée. « On l’a accueillie avec la possibilité de garder sa liberté de parole. Elle a trouvé sa place parmi nous avec la personnalité et l’originalité qu’on lui connaît88 », souligne le député de Loire-Atlantique. Un lien qui lui assure une prise de parole plus fréquente et donc une exposition plus grande de ses combats. Et tant pis si elle doit frayer avec les alliés du PSG, son adversaire guyanais...



    Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, Christiane Taubira se forge une réputation de femme dure et autoritaire. « Ses anciens collaborateurs n’ont pas dit que du bien sur sa manière de gérer les relations humaines, de préserver et protéger ceux qui l’entourent, balance un député ultramarin. Quand on travaille beaucoup, il n’y a pas d’heures pour le faire mais en face il y a un humain, pas une machine. Sa manière de faire a généré des difficultés que certaines personnes n’ont pas supportées. »

Coups de fil en plein milieu de la nuit, ordres contradictoires... Plusieurs collaborateurs de la députée de Guyane se plaignent de ses méthodes de travail. « Elle les engueulait même portes ouvertes, elle passait ses nerfs dessus, c’était juste odieux. Elle a vraiment le profil de la harceleuse », raconte un habitué des couloirs du Palais-Bourbon. Elle exploite les gens pour trois francs six sous en leur disant qu’ils ont de la chance de travailler pour elle, relate encore ce collaborateur parlementaire. Taubira faisait des contrats à durée déterminée et enchaînait les collaborateurs sur une très courte période. Elle en avait vite marre des gens. Les services des affaires financières de l’Assemblée lui ont rappelé que les CDD étaient des exceptions en droit français », ajoute-t-il.

Attachée parlementaire de Christiane Taubira d’octobre 2002 à avril 2003, Sylvia Edom décide d’aller devant les prud’hommes. « Le dialogue était coupé. J’ai fait comme n’importe quel employé avec son patron89 », nous explique-t-elle. En 2004, la députée est condamnée à verser 5 300 euros pour licenciement injustifié et rupture de contrat à durée déterminée90. Cette ancienne collaboratrice ne veut pas en dire plus sur le fond de l’affaire. « J’ai réglé le problème, fermé la parenthèse. Je ne suis pas en colère ni frustrée. » Elle parle même de la ministre de la Justice comme d’« une sœur », une « personne dynamique et intéressante ». Naturellement, Christiane Taubira retient une autre version de l’histoire. « Qu’on me construise une légende d’ogresse ne me dérange pas. J’ai aussi des assistants qui sont revenus quatre fois travailler avec moi, certains ne me quittent plus. Alors, il y a toujours des mécontents, et il est vrai qu’avec moi l’ambiance et le rythme de travail sont effrénés. »

    Une nouvelle collaboratrice arrive pour seconder la députée. « Combien de temps va-t-elle tenir ? », s’interrogent les voisins de bureau du Palais-Bourbon. Des collègues la mettent en garde contre les méthodes intraitables de Christiane Taubira. « Je devais rester six mois, ça s’est tellement bien passé que je suis restée deux ans et demi », assure la principale intéressée. « Je n’ai jamais entendu aucun propos méprisant, d’aucune sorte. J’ai eu zéro problème, j’ai apprécié sa manière de travailler. » Elle garde un souvenir émerveillé de son expérience auprès de l’élue de Guyane. « J’avais peur du décalage entre la personne publique et la personne privée. En réalité, c’est encore mieux quand on travaille avec elle. Je suis sortie de son bureau encore plus admirative que je n’y suis rentrée. » Ses collaborateurs n’échappent pas à la règle. On adore ou on déteste Christiane Taubira.



    Pendant près de vingt ans, la députée fait ses armes au Palais-Bourbon. « Ses prises de parole avaient l’apparence de la spontanéité mais elles étaient en réalité le résultat d’un travail extrêmement précis. Tout était préparé, réfléchi92 », se souvient le député des Landes, Alain Vidalies. Christiane Taubira prend une nouvelle épaisseur en 2001. Cette année-là, elle porte une proposition de loi pour la reconnaissance des traites et des esclavages comme crime contre l’humanité. La bataille n’est pas simple. Face aux interventions de certains députés de droite, elle peine à garder son sang-froid. « Je sentais vibrer mes instincts meurtriers... tous, ataviques, innés, acquis ; je me voyais déjà déracinant ces langues infâmes, défenestrant, écorchant vif, suspendant par douzaines et par un pied ces faux naïfs faussement surpris. Je ravalais une salive acide, j’encaissais la douleur de lame qui me traversait le bas du dos de part en part. Puis je me rappelais à l’ordre. » Face aux attaques, les mots restent son arme la plus redoutable.

    Le projet de loi ne fait pas l’unanimité auprès des chercheurs et historiens spécialistes de l’esclavage. « C’est une aberration que l’Etat s’occupe de l’histoire», juge Pascal Blanchard, qui a beaucoup travaillé sur ces questions avec Christiane Taubira. « A la base, la colonisation est plutôt une idée de gauche. C’est devenu un sujet tellement tabou au PS qu’on n’en parle pas », décrypte cet historien des colonisations, proche de la ministre.

    L’examen du texte est fastidieux. « Au PS, Christiane Taubira est regardée comme un spoutnik, elle a très peu d’alliés. Une partie de sa loi est dépouillée par le parti, qui enlève la notion de réparation, l’aspect budgétaire... Elle a dû accepter beaucoup de compromis », analyse le spécialiste. Taubira évoque au contraire des députés socialistes « courageux95 ». Elle trouve notamment un soutien de poids en la personne de Jean-Marc Ayrault. Sa ville de Nantes est la plaque tournante du commerce triangulaire, le député est très investi sur la question. « Un débat passionnant dont on se souvient encore96 », dit aujourd’hui le député de Loire-Atlantique. Par la suite, il l’invitera de nombreuses fois chez lui pour des commémorations et autres événements sur ce thème.

    En portant à bout de bras ce projet de loi symbolique et sensible, Christiane Taubira franchit une étape dans l’affirmation de ses combats. Et dans sa capacité à les défendre en métropole. L’Assemblée nationale découvre sa verve. « Elle sait parler aux gens et leur donner un peu de rêve aussi97 », estime le même Jean-Marc Ayrault. « Elle était un peu crainte par certains parce qu’elle a des convictions et elle va au bout, elle n’a jamais peur », raconte une de ses anciennes employées. Aux yeux des parlementaires, elle n’est plus seulement une élue de l’outre-mer mais une députée accomplie.

    La loi finit par être adoptée au Sénat le 10 mai 2001. Fait rare, ce jour-là, les tribunes du palais du Luxembourg, réservées au public, sont remplies. L’émotion est forte. Christian Paul, secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, a travaillé étroitement avec la députée sur ce texte : « Il y avait dans l’Hexagone une importance symbolique accordée à cette loi. C’était l’un des moments les plus importants de ma vie politique98. » Tous les protagonistes de cette histoire fêtent l’événement au Sénat. La soirée s’éternise jusqu’au beau milieu de la nuit. Christiane Taubira a désormais une loi qui porte son nom. Le rêve de tout député.

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