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Pierre-Cyrille Hautcoeur : "Une économie ne peut plus vivre sans système bancaire"
Pierre-Cyrille Hautcoeur : "Une économie ne peut plus vivre sans système bancaire"
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Le jour d'après

Les gouvernements européens semblent prêts à tout pour maintenir les banques hors de l'eau. Une absurdité ou une nécessité ?

Pierre-Cyrille Hautcoeur

Pierre-Cyrille Hautcoeur

Pierre-Cyrille Hautcoeur est directeur d’études à l’EHESS et professeur associé à l’Ecole d’économie de Paris.

Spécialiste de l'histoire des crises économiques, il est l'auteur de La crise de 1929 (La Découverte, 2009).

(Photo @ Maraval)

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Atlantico : Imaginons un effondrement du système bancaire. Qu’est-ce qui se passerait concrètement ?

Pierre-Cyrille Hautcoeur : Un effondrement du système bancaire signifie la cessation de paiement d'un certain nombre de banques, qui se répercute sur les autres banques et, du fait des dettes croisées qui existent entre les banques, conduit à ce qu’elles cessent toutes leurs paiements les unes après les autres. La signification de la cessation de paiement est très simple : cela veut dire qu'il n'y a plus d'argent qui sort de ces banques. Aucun des paiements qu'ordonne une personne dans une transaction courante, qu’elle utilise un chéquier ou une carte bancaire ou ordonne un virement, ne peut plus avoir lieu. Par exemple, les salaires ne peuvent plus être payés car tous les paiements passent à travers le système bancaire. On voit bien que dans un tel cas l'ensemble de l'économie s'arrête, car les transactions en liquide aujourd'hui sont extrêmement réduites.

Une économie ne peut plus vivre sans système bancaire. C'est le cas depuis très longtemps, mais c'est encore plus vrai aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle les gouvernements sont prêts à n'importe quoi pour éviter une faillite générale du système bancaire. Une faillite d'une banque peut encore s'arranger : les paiements peuvent être déviés vers une autre banque et les banques centrales peuvent s'organiser en ce sens. Mais l'idée qu'une faillite touche un grand nombre de banques ou des banques très importantes simultanément est totalement exclue.

Dans ces circonstances, la banque centrale intervient pour permettre aux banques concernées de continuer à faire leurs paiements. Éventuellement, on va liquider une banque, c'est à dire liquider ses dettes et ses actifs et la transformer juridiquement en une autre entité, mais en faisant attention à ne pas arrêter les paiements.



Est-ce que l’on a déjà observé dans le passé des situations comparables ?

On n'a pas vraiment de point de comparaison parce que la fragilité du système bancaire, c'est à dire les interdépendances entre banques qui font que la faillite de l'une d'entre elles va provoquer la faillite de ses voisines, a augmenté dans le temps au fur et à mesure où l'on a inventé les outils pour s'en protéger.

Par exemple, dans les années 1870-80, on a vu apparaître ce type de problèmes avec le développement des banques de dépôt. Celles-ci, avec des agences dans tout le pays, n'étaient plus des banques locales à l'ancienne : par les dépôts qu’elles recevaient, elles concernaient un grand nombre d'entreprises, et même de particuliers. Quand certaines de ces banques ont été au bord de la faillite du fait d’erreur de gestion, les gouvernements et les banques centrales ont pris conscience des conséquences potentielles et appris à intervenir. Des crises bancaires comme celle de 1867 en Angleterre, de 1882 ou 1889 en France voient ainsi les banques centrales apprendre un nouveau métier de prêteur en dernier ressort.

Depuis cette époque-là, les banques centrales ont toujours réussi, dans les pays riches, à éviter les crises « systémiques ». L'exception majeure, très connue, et qui fait toujours peur, est la crise des années 1930 aux États-Unis. Pour des raisons particulières, notamment le fait que la banque centrale fédérale était  jeune et inexpérimentée (elle avait été créée en 1913 seulement) et faisait face à une hostilité envers les institutions fédérales, son intervention a été très insuffisante, un très grande nombre de faillites bancaires ont eu lieu, qui se sont provoquées les unes les autres d'une manière que l'on peut qualifier de systémique. Plus d'un tiers des banques a disparu. Au printemps 1933, le processus de panique faisait boule de neige, et certains croyaient que toutes les banques allaient sauter. C’est alors que Roosevelt, qui prenait tout juste ses fonctions de Président, a décidé une fermeture provisoire des banques, et une restructuration du système bancaire dans son ensemble, en nationalisant tout ce qui ne pouvait pas être rouvert, et en créant de nouvelles institutions qui créaient une sorte de garantie fédérale sur tout ce qui était maintenu en activité.

C'est à cause de ce cas qu’il avait étudié en détail que Ben Bernanke, à la tête de la Réserve fédérale américaine en 2008, est intervenu massivement en fournissant des liquidités abondantes aux banques qui risquaient de s'effondrer.



Quels acteurs économiques sont les perdants en cas de défaillance du système bancaire ?

Quand c'est le système bancaire lui-même qui est menacé d'effondrement, la question est de savoir comment le restructurer. En général, si un tel effondrement menace, c’est que les banques ont prêté imprudemment à des emprunteurs qui se sont avérés incapables de rembourser. Il y a plusieurs solutions pour prendre en charge ces pertes. La solution normale dans un système capitaliste, qui voudrait que les actionnaires perdent tout, et donc que la banque ferme, est exactement ce que l'on veut éviter, au moins pour les banques importantes. Pour cette raison, les gouvernements interviennent pour empêcher la fermeture. Si les pertes sont trop importantes, il est possible que le gouvernement en absorbe une partie. C'est ce qui s'est passé pour le Crédit lyonnais il y a quelques années, quand le gouvernement l'a nationalisé, a isolé les pertes dans une structure spécialisée financée par le budget, et a revendu le Crédit Lyonnais pour qu'il redevienne une banque purgée de ses actifs pourris. Dans ce cas-là, les pertes sont absorbées par les actionnaires et l'État.

Sans une telle intervention de l’État, il risquerait d’avoir des pertes qui affectent non seulement les actionnaires, mais aussi les déposants des banques. Ce risque serait suffisant pour faire fuir les déposants dès qu’ils craindraient des pertes de leur banque, ce qui provoquerait sa faillite, avec les effets de panique en résultant potentiellement même sur les banques en bonne situation. Pour éviter les risques de panique, il y a depuis les années 1930 aux États-Unis, et depuis quelques années en Europe, des systèmes de garantie des dépôts, qui sont des entités publiques liées aux gouvernements, dont le but est de garantir les pertes des déposants. Elles sont financées par des prélèvements sur les profits des banques dans les bonnes années, qui permettent de couvrir les dépôts jusqu'à un certain montant. Ce montant était de l'ordre de 70 000 à 100 000 euros selon les pays en Europe avant 2008, et il a été relevé pendant la crise bancaire pour que les gens qui avaient des gros dépôts ne décident pas de les retirer du jour au lendemain par crainte d'une faillite bancaire. Entre ces garanties et les interventions des banques centrales, on est donc assez bien protégé contre les crises bancaires systémiques aujourd’hui.



Vous n’avez pas l’air de croire à la psychose autour d’une chute du système bancaire européen…

La plupart des banques européennes sont des entreprises bien gérées, qui sont capables de produire de la valeur et qui gagnent de l'argent en temps normal. Il n'y a pas de raison de s'en soucier spécialement. Dans le cas des dettes souveraines, qui les dépassent un peu, il y a eu sous l'égide de certaines banques des prêts très importants qui ont été faits au gouvernement grec (et aussi à d'autres), dont la crise économique rend le remboursement difficile. On essaye actuellement de trouver diverses solutions pour prolonger la dette grecque, et faire en sorte que le gouvernement soit en mesure de l'honorer.

Néanmoins, il n'est pas exclu - c'est même probable à mon avis - que la Grèce ne paye pas la totalité de ce qu'elle doit. Les créanciers de la Grèce vont donc sans doute devoir passer par pertes et profits une partie de ces créances. Est-ce cela menace le système bancaire européen ? Je ne le crois pas. Les ordres de grandeur par rapport aux fonds propres et aux profits des banques sont assez faibles dans tous les pays (sauf la Grèce elle-même), de sorte que l’essentiel est d’éviter les mouvements de panique.

Certes, les pertes liées à un défaut de paiement (qui serait partiel) de la Grèce représentent quand même des montants substantiels, et il risque d'y avoir des pertes importantes. Il est possible que certaines banques (et des entreprises  de gestion de fonds comme des compagnies d’assurance vie)  fassent faillite. C’est regrettable, mais le plus regrettable était de prêter imprudemment. Si le processus de liquidation est bien contrôlé par les autorités publiques et par la Banque centrale européenne, ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Cela signale qu'il faut être prudent quand on prête et que, quand on a prêté inconsidérément, on risque de disparaître. Cette sanction du marché doit jouer parfois pour que la prudence revienne chez certains prêteurs.

Je crois qu'aucune des grandes banques européennes n'est vraiment menacée, même si certaines d'entre elles vont faire des pertes, qui seront absorbées par leurs fonds propres ou par leurs bénéfices de l'année ou des années à venir. Cela va seulement affecter leurs actionnaires, qui avaient en sens inverse bénéficié de profits importants les années antérieures à la crise.  

Il n'y a pas de raison de trop s'inquiéter. En revanche, deux choses ne vont pas. D'une part, les banques font du lobbying pour que les pertes soient absorbées entièrement par l'État. C'est une très mauvaise idée car cela suggère que c'est à l'État de payer les pertes quand les banques font de mauvais placements. Dans ce cas il faudrait que l'Etat prenne aussi les profits les bonnes années ! Les banques doivent prendre leurs responsabilités et s'organiser entre elles pour assumer les pertes qui résultent de ces dettes.

D'autre part, la BCE joue un jeu un peu étrange : elle a racheté des dettes de la Grèce pendant la crise, et maintenant elle refuse toute réduction de cette dette grecque. Un grand nombre de personnes soupçonne que c'est parce qu'elle ne veut pas assumer des pertes sur cette dette grecque qu'elle détient. On a l'impression que Jean-Claude Trichet ne veut pas finir son mandat sur un échec, au détriment de la meilleure gestion de cette crise. Mais les pertes que peut faire la BCE – qui serait recapitalisée sans difficulté par les États de la zone euro – sont peu importantes par rapport au risque d’aggraver la crise en faisant semblant de croire que la dette grecque peut être remboursée et en tuant le malade (la Grèce) par des remèdes insupportables.

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