Sur une échelle de 1 à 10, à combien estimer les chances de la droite républicaine de casser enfin 40 ans d’intimidation idéologique ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Eric Ciotti et Bruno Retailleau lors du débat pour la présidence des Républicains.
Eric Ciotti et Bruno Retailleau lors du débat pour la présidence des Républicains.
©Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Politiquement correct

Bruno Retailleau a balayé ce mardi tout rapprochement idéologique de son parti, Les Républicains, avec le Rassemblement national. A trop céder aux intimidations idéologiques, certains leaders politiques ne laissent-ils pas le champ libre sur certains enjeux majeurs à des discours de plus en plus extrêmes ?

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Bruno Retailleau "se fiche" de la question du rapprochement du discours de LR de celui du RN et en a marre du "politiquement correct". Des propos que l’on a déjà entendu chez d’autres LR. Sur une échelle de 1 à 10, à combien estimer les chances de la « droite républicaine » de cesser enfin de céder à l’intimidation idéologique ?

Christophe Boutin : Je vous dirais volontiers que la réponse est… dans votre question. Tant que les Républicains parleront d’eux comme de la « droite républicaine », ils prouveront qu’ils continuent de céder à l’intimidation idéologique de la gauche. C’est en effet cette dernière qui, en France, se croit autorisée à délivre les brevets de républicanisme qui permettent aux partis ainsi légitimés de participer aux débats politiques dans notre pays sans être caricaturés ou insultés. La gauche idéologique entend rester l’arbitre des élégances morales de la politique française, ce qui suppose, pour les partis de droite, d’accepter, plus que les thèmes ou les programmes de leurs adversaires, leur langage, ce qui est autrement plus pernicieux et efficace. 

Peut-on pourtant exclure de la « droite républicaine » Reconquête, dont les cadres sont en partie issus des Républicains, comme son électorat ? Quant au Rassemblement national, si l’origine de l’électorat est plus diverse, puisqu’il y a une part de déçus de la gauche dans ces classes populaires très présentes derrière le mouvement, ni son programme, ni ses méthodes ne sauraient l’exclure du champ républicain, ce que confirment tous les analystes sérieux de la question.

L’anti républicanisme existe-t-il en France en 2023 ? Oui, puisqu’il y a quelques mouvements monarchistes, donc hostiles à la République par définition, qui défilent une fois l’an à Paris, mais qui respectent les lois, et dont les effectifs sont réduits. On pourrait ajouter quelques nostalgiques du Troisième Reich, ou du fascisme italien qui ne représentent en 2023 absolument rien. Quant à d’autres mouvements comme ceux que l’on qualifie « d’identitaires » ils ne sont en fait que des excroissances au militantisme plus radical de la droite nationale - de la même manière que l’on peut trouver à gauche des militants plus radicaux qui n’hésitent pas à s’affirmer dans la rue. Là s’arrête d’ailleurs la comparaison : en termes de violences dirigées contre la République et notamment ses forces de sécurité, comme en volume de militants radicaux entraînés et aptes à mener des actions, l’avantage est très largement à l’extrême gauche.

C’est donc lorsque la droite des Républicains, et non pas, j’insiste, la « droite républicaine », aura choisi d’assumer ce qu’elle est, en abandonnant ce brevet de pureté décerné par la gauche idéologique, que les choses auront changé. Cela ne veut pas dire d’ailleurs qu’il y aurait alors disparition, comme semblent le croire ceux qui s’agrippent désespérément à cette dénomination, parce que l’ensemble des formations républicaines de droite est traversé de clivages idéologiques. On peut reprendre ainsi la vieille distinction de René Rémond entre légitimistes, orléanistes, et bonapartistes, et la réactiver de manière plus moderne entre conservateurs (Reconquête), libéraux (LR) et populistes (RN). Des droites différentes donc, loin de s’accorder sur tous les sujets - dont l’axe libéral est par exemple toujours à la limite entre droite et centre progressiste -, mais qui conservent un certain nombre de points communs.

Les chances enfin de voir LR muter ? Elles existent, car nombre de cadres du parti estiment que cette mue est indispensable à sa survie, mais est-ce suffisant pour contrebalancer l’autre perspective, celle de l’alliance en 2027 d’un « parti de la raison » qui regrouperait, dans un magnifique mouvement d’union nationale si nécessaire face aux « dangers qui nous menacent » - de Poutine aux feux de forêt et de la sécheresse aux virus mutants -, des LR alors écartés du pouvoir depuis 15 ans (« P… 15 ans ! » aurait dit la marionnette de Chirac), le conglomérat Renaissance qui sauverait ainsi son pouvoir, et jusqu’à cette nouvelle gauche dont Bernard Cazeneuve se veut l’artisan ? 

À quel point est-ce que dans les dernières années, Nicolas Sarkozy, François Fillon et d’autres ont essayé de faire de même, sans succès ? Pourquoi cet échec ? Depuis quand cela dure-t-il ?

Oublions si vous le voulez bien Nicolas Sarkozy. Le « sarkozysme » n’est pas une idéologie politique, mais une pratique politicienne destinée à prendre le pouvoir en s’appuyant sur le discours le plus efficace. Lorsque Nicolas Sarkozy devient Président en 2007, siphonnant pour cela une bonne part de l’électorat du Rassemblement national, il bénéficie, d’une part de la transition entre Jean-Marie et Marine Le Pen, qui fragilise temporairement ce parti, mais aussi et surtout, d’autre part, des conseils et des références de son conseiller Patrick Buisson. C’est Buisson, analyste réputé des sondages politiques, mais qui dispose aussi d’une perspective historique, qui a su déterminer quelles étaient les attentes des Français sur un certain nombre de points - l’identité, la sécurité, la nation - et qui fa ait évoluer le discours d’un Nicolas Sarkozy qui, devant faire oublier qu’il était associé au pouvoir, a su adopter un discours de rupture semblant décalé des fourches caudines de la gauche idéologique. Mais au lendemain de son arrivée au pouvoir, le même Sarkozy rentrait dans le rang sur tous les plans : international (OTAN ou Union européenne avec le traité de Lisbonne) ou national, avec l’abandon de la thématique de l’identité nationale après une caricature de Grand débat (déjà), les politiques de lutte contre l’immigration défaillantes, où l’ ouverture de son gouvernement à des personnalités issues d’une « gauche caviar » avec laquelle il avait finalement beaucoup plus de points communs qu’avec ce petit peuple de France que Patrick Buisson avait réussi à amener aux urnes pour lui. 

Avec François Fillon, les choses sont un peu différentes, car on peut penser qu’il incarne de manière plus réelle une ligne conservatrice lorsqu’il se présente à l’élection présidentielle – même si, Premier ministre de Sarkozy, il avait montré sa capacité à avaler des couleuvres de la taille de boas. Rappelons cependant qu’il n’était pas le candidat attendu et que les militants LR, lors des primaires, se sont montrés plus conservateurs que leurs dirigeants. Restant menaçant pour les progressistes, il a été éliminé à la suite d’une affaire juridico-politique qui n’était pas sans rappeler les très riches œuvres – et les basses œuvres – de la IIIe République. 

Peut-on alors parler d’échec quand, pour Nicolas Sarkozy, la manœuvre politicienne résumait tout, et que François Fillon a été largement torpillé par le juridique ? Les perspectives ouvertes par Bruno Retailleau peuvent être différentes, et il n’est pas impossible qu’on lui laisse « plus de mou », mais pourquoi ? Parce que les choses ont changé, et notamment les résultats des Républicains dans les sondages et dans les urnes. La gauche a été prise de vitesse par Sarkozy en 2007 ; elle a jugé ensuite important de torpiller un François Fillon, qui pouvait devenir président de la République. Mais tenter de couler Bruno Retailleau en le stigmatisant ne serait utile que si LR s’associait au RN et à Reconquête dans une coalition à même de prendre le pouvoir en 2027. Si LR n’est que l’aile droite de la macronie ou, isolé, est encore en dessous des 5% à la présidentielle, qui se préoccupe de la « droitisation » de son discours ?

Quant à savoir depuis quand date cette intimidation de la droite devant la gauche idéologique, comment ne pas évoquer, bien sûr, la figure d’un des grands fossoyeurs de la droite française, Jacques Chirac, passé de l’appel de Cochin, à un européisme béat, jetant par-dessus bord les principes du gaullisme en cautionnant par deux fois la cohabitation, ou qui, sous l’impulsion, notamment de sa fille, a tout cédé aux quelques centaines de représentants de la gauche dite « intellectuelle » ? Ou la personnalité d’un Valéry. Giscard d’Estaing, tout occupé à regarder la France « au fond des yeux » entre foot, accordéon et petit déjeuner avec les éboueurs, tout en détricotant, entre deux chasses en Afrique, les politiques françaises en mettant en place le regroupement familial ? Ou la droite de la IVe République, tremblant devant les diktats d’un parti qui avait vanté cinq ans auparavant le pacte germano-soviétique ? Ou celle de la IIIe République, tétanisée devant les attaques contre l’Église du petit père Combes ? Ou au XVIIIe siècle déjà, le pouvoir politique français, cette monarchie dite absolue, baissant les bras face au pouvoir de la gauche idéologique de l’époque, celle des prétendues et auto-proclamées « Lumières ». On n’en finirait pas de suivre cette tradition dans l’histoire française.

À quel point évoquer la droitisation de LR et son rapprochement supposé du RN est aujourd’hui de l’ordre d’une disqualification morale ? Pourquoi certains sujets sont-ils propices à ces accusations et pas d’autres ?

La gauche ferait bien de méditer deux proverbes classiques. Le premier rappelle qu’à crier trop souvent au loup, on finit par ne plus être crédible et quand cette gauche des animateurs et humoristes qui est la caisse de résonnance quotidienne de la gauche idéologique monte en épingle le moindre fait divers pour annoncer les bruits des bottes des SA dans les rues parisiennes, plus personne n’y croit en dehors d’elle. Le second proverbe est que quand on pousse le lâche à bout, il devient courageux. 

De toute manière, il faut bien comprendre que plus personne ou presque, non seulement ne tient compte des disqualifications morales de la gauche idéologique, mais encore ne croit plus un mot de ce qu’elle dit tant son discours relève d’une réalité parallèle qui n’a rien à voir avec ce que connaissent nos concitoyens au quotidien. Curieusement par exemple, la question des discriminations envers les transgenres semble en effet à ces derniers moins importante que celle du déclassement imposé à notre peuple dans tous les domaines. Pour la gauche, la droite est moralement disqualifiée lorsqu’elle évoque la nation, mais les Français demandent le retour à la nation, c’est-à-dire à une unité cohérente, à une philia aussi, à une amitié au sein de cette nation, et voient bien, au contraire, que les déclarations comme les politiques de la gauche conduisent à la partition territoriale et dressent contre la communauté des minorités « visibles » ou idéologiques. Et que dire du décalage avec le réel ? Lorsque la gauche croit disqualifier la droite en expliquant que cette dernière fait monter les peurs en exploitant un « sentiment d’insécurité », et qu’il y a chaque jour des dizaines d’agressions à l’arme blanche en France, où ce phénomène était particulièrement bas, le simple contact quotidien avec le réel disqualifie totalement un tel discours. 

Mais qu’est-ce que cette « gauche idéologique » qui bénéficie de la caisse de résonnance de la majorité des médias ? L’un des meilleurs exemples récents en est sans doute la liste des 600 signataires de la pétition visant à interdire à Geoffroy Lejeune de prendre la direction du JDD. Il s’agit d’une caste consanguine et népotique, mélange de rappeurs et de plasticiens, de journalistes et de voileux, de tennismen et d’essayistes, de politiques et de représentants des milieux socio-associatifs divers et variés, d’acteurs et d’autrices, tous ici avant tout obsédés de voir la lumière médiatique caresser leur bon profil, et qui ne côtoient de la France dite périphérique que les jardiniers et femmes de service de leurs maisons de Corse ou de Bréhat, du Perche ou du Lubéron - autant de lieux dont ils ont d’ailleurs chassé les anciens habitants pour se retrouver dans un délicieux entre-soi.

Penser un seul instant qu’en 2023, au regard encore une fois des réalités quotidiennes des Français, les postures morales de cette caste représentent autre chose, pour un ancien ouvrier du Nord, un paysan de la Creuse, un artisan d’une ville de l’Eure, un petit hôtelier alsacien, un éleveur de taureau camarguais ou un vigneron de la Loire, que ce que représentaient en 1789 les postures des privilégiés d’alors qui jouaient sur le cours des grains et causaient la disette serait, je le crains, faire preuve d’une légère erreur de perspective, et pourrait mener à un réveil pénible.

Dans quelle mesure le « en même temps » de certains membres de la majorité comme Edouard Philippe ou Gérald Darmanin contribue-t-il à ce climat toxique ? 

Souvent Darmanin varie, bien fol est qui s’y fie. Quant au « en même temps » de la majorité, il conduit à ce climat toxique parce qu’il est destiné à permettre de bâtir en 2017 l’alliance (l’arche !) du Parti de la Raison, laissant de côté, à gauche, une extrême gauche à la fois coupée des réalités dans ses délires woke et trop assujettie à ses liens avec les « minorités visibles de la République » et notamment avec certains éléments radicaux de la communauté musulmane, et, à droite, toute droite nationale dont le projet est, par définition, à rebours de la vision mondialiste et européiste portée par le clan progressiste. 

La gauche extrême, le parti de la Raison la laissera s’exprimer : par ses outrances comme par ses violences, elle fédère derrière tout titulaire du pouvoir, même honni, le « parti de l’ordre », cette bourgeoise frileuse plumée à petit feu et espérant seulement « une minute encore Monsieur le bourreau ». 

Pour les autres, tous les autres qui ne veulent pas du « meilleur des mondes » progressiste, ce dernier leur sera imposé, d’abord, en jouant sur les peurs, ensuite par ces mesures coercitives qui s’installent jour après jour au nom de la sécurité, et s’imposent à tous quand il serait si facile de sanctionner les quelques vrais coupables : interdiction de réunions où « pourraient être tenus » des propos contraires aux lois ; annonce de l’exclusion des réseaux sociaux des « discours de haine », une formule qui, ne voulant juridiquement rien dire, laisse la porte ouverte à toutes les dérives ; contrôle facial développé…

À trop céder à ces intimidations idéologiques, ne laisse-t-on pas le champ libre sur ces sujets à des discours de plus en plus extrêmes de ceux qui osent s’emparer de ces sujets ?

La radicalisation est une conséquence nécessaire de la censure : c’est ce qu’avaient très bien exprimé Benjamin Constant ou John Stuart Mill. D’abord, en interdisant à une idée la place publique, on interdit d’en débattre et on empêche donc qu’elle puisse être critiquée et que ses opposants démontrent son caractère erroné, la préservant ainsi de toute atteinte. Ensuite, il est illusoire de penser que l’on puisse censurer de manière efficace toute diffusion d’une idée ; au plus parvient-on à limiter cette dernière : dans la Chine communiste, le dasibao permet la diffusion d’idées « subversives » ; dans l’Union soviétique stalinienne on recopie à la main certains textes pour se les transmettre entre initiés. 

Devant cet échec de la censure, Benjamin Constant nous montre un gouvernement qui devient de plus en plus répressif, acharné à interdire toute nouvelle version, allusion, manifestation de l’idée qu’il poursuit en une bien inutile course. Ces nouveaux échecs le ridiculisent, tandis que ses nouvelles interdictions le rendent chaque jour plus odieux à l’ensemble des citoyens. Arrive enfin le, moment où, ayant perdu toute légitimité il ne peut plus tenir que par la force et, on le sait, « qui a vécu par l’épée périra par l’épée ». La radicalisation née de la censure finit donc par emporter par la violence le gouvernement qui en use. Il n’y a pas de discours plus extrêmes qui apparaissent – si ce n’est, encore une fois, par ce que coupé, des débats ils « tournent en rond » et se radicalisent  ; ce sont souvent les mêmes discours qui débouchent simplement, pour se faire jour dans l’espace public, sur des mouvements plus extrêmes.

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