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Super héros miroir : Ce que
Spider Man 2012 nous apprend
sur nous-mêmes
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Araignée collante

Ce mercredi, The Amazing Spiderman revient dans les salles. Après au moins six adaptations cinématographiques et autant de séries télévisées, pourquoi l'araignée en collants nous colle-t-elle toujours à la peau ?

Aurélien Fouillet

Aurélien Fouillet

Aurélien Fouillet est chercheur au Centre d’Etudes sur l’Actuel et le Quotidien (Université Paris V René Descartes). Il est docteur en Sociologie. Sa thèse s’intitule : "L’esprit du jeu dans les sociétés post-modernes. Anomies et socialités : Bovarysme, mémoire et aventure." Il a également collaboré à l’ouvrage dirigé par Michel Maffesoli et Brice Perrier : L’homme postmoderne.

Ses thématiques de recherche sont : le jeu, le risque, la morale, les nouvelles technologies, la science fiction et la bande dessinée.

Il est membre de la rédaction des Cahiers Européens de l’Imaginaire et l’un des trois fondateurs de La Tête qui manque.

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C’est aujourd'hui que sort au cinéma le reboot de The Amazing Spiderman. Au-delà des critiques des fans de la trilogie précédente, comment comprendre ces éternels recommencements de la vie des supers-héros ? Batman, Superman sont, en effet, passés par là eux aussi. Attardons nous donc un instant sur la portée mythique de ces héros contemporains pour comprendre ces multiples rebootau-delà de leur simple aspect commercial.

Au commencement…

Les supers-héros, tels que nous les connaissons, naissent au début des années 30 aux Etats-Unis. Ainsi, le premier d’entres eux, The Shadow, est né en 1931  et sera une des inspirations de Bob Kane lors de la création de Batman. Viendront alors Superman en 1938, Batman en 1939, Captain America et Robin en 1940. C’est la première vague de création de supers-héros.

Il y en aura une seconde dans les années soixante. Les Fantastic Four apparaissent pour la première fois en 1961, Hulk, Thor et Spiderman en 1962, Daredevil, Ironman et les X-Men en 1963, pour les plus connus.

Puis à la fin des années quatre-vingt-dix, une nouvelle génération de scénaristes et de dessinateurs fera son apparition et renouvellera le genre. Les plus célèbres étant Frank Miller (Dark Knight Returns et Sin City) et Alan Moore (From Hell et La Ligue des gentlemen extraordinaire), ou encore Grant Morrison (The Filfth) ou Garth Ennis (The Punisher, The Boys).

On verra également les supers-héros intégrer les médias de masse : le cinéma et la télévision. Ainsi, il y a les films de Superman dont le premier opus sortira en 1978. Puis viendront le Batman de Tim Burton en 1989. Et la vague de films que nous connaissons depuis quelques années avec les différents volets de Batman, de Hulk, la trilogie X-Men, etc… Mais il y aussi les différentes adaptations télévisées telles que Loïs et Clark, Batman et Robin, Wonder Woman, et tous les dessins animés adaptés des X-Men ou de La justice league of America.  

Ainsi les supers-héros font partis de notre imaginaire depuis près de 70 ans. Et les trois phases de création/renouvellement de cet univers correspondent, à peu de choses près, à trois générations distinctes (tous les 30 ans).

Super-héros, mythes et symboles...

Les Comics Books, à la croisée de la science fiction, de l’épopée et de la mythologie sont un lieu d’expression privilégié des mutations que connaissent nos sociétés. Ils sont à la fois espace d’expérimentation (cités imaginaires, gadgets) et espace d’expression de grandes thématiques mythiques (métamorphose, Justice, tragédie humaine). Ce sont des symboles. Et comme l’écrit Henri Corbin :

« le symbole… n’est jamais expliqué une fois pour toutes, mais toujours à déchiffrer de nouveau, de même qu’une partition musicale n’est jamais déchiffrée une fois pour toute, mais appelle une exécution toujours nouvelle[1]. »

On comprend alors pourquoi chaque génération s’est réapproprié les différentes figures de supers-héros.

Il semble qu’il y ait une corrélation à faire entre la mythologie grecque, et plus particulièrement son panthéon héroïque, et les différentes figures de supers-héros auxquels le vingtième siècle a donné naissance.  Il ne s’agit pas de dire ici qu’ils revêtent les habits des dieux, mais plutôt qu’ils portent en eux une fonction mythique et une fonction symbolique qui sont propres à l’imagination humaine.

La plupart des supers-héros représentent un Destin, un fatum. On peut voir par exemple deux forces de symbolisation, deux archétypes, s’exprimer au travers des figures de Batman et Superman. Il y a tout d’abord les héros possédant des facultés hors normes dès leur naissance, comme Superman par exemple. Mais aussi ceux qui ont acquis leurs pouvoirs ou qui ont choisi de s’engager comme héros, comme c’est le cas de Batman ou de Spiderman.

Dans le premier cas, le héros porte en lui, et ce depuis sa naissance, le poids de ses pouvoirs. C’est le cas d’Hercule chez les grecs, et de Superman aujourd’hui, qui en est l’exemple typique. D’origine extra-terrestre, il est recueilli enfant par une famille de fermiers texans. Ces derniers l’élèveront dans des idéaux de justice, et de morale bien définis. Le surhomme, tel qu’il est alors représenté par Superman, est le garant de l’ordre du monde et de la justice. On ne peut s’empêcher de voir ici l’incarnation d’une certaine vision de l’Amérique comme garante de l’ordre mondial, qui sera confirmée par le personnage de Captain America. Mais qui sera plusieurs fois questionnée par les comics ultérieurs, notamment avec Superman Red Son.

Dans le second cas de figure, le héros acquiert ses pouvoirs à la suite d’un épisode tragique, comme c’est le cas pour Wolverine (qui est le résultat d’une expérience militaire), ou de Spider-Man (qui s’engagera dans la lutte contre les supers-vilains à la suite de la mort de son oncle), ou encore de Batman qui choisira de lutter contre le crime à cause de l’assassinat de ses parents. Ce second type de héros est beaucoup plus ambivalent et navigue constamment entre la Justice et la Vengeance. Le personnage de Batman est paradigmatique de ce type de héros, notamment par le choix qu’il fait d’incarner la chauve souris, c’est-à-dire d’incarner sa propre peur et de terrifier alors ses ennemis. La justice de Batman est toujours teintée de vengeance.

De plus, dans l’ombre de l’héroïsme, de la figure de la Justice, se cachent très souvent les problématiques de la monstruosité et de l’anomie. Tout d’abord, être un super-héros c’est déjà se mettre hors la loi, mais c’est aussi devoir assumer une double identité et se retrouver en marge. Les comic books tels que Civil War, Watchmen, ou encore The Twelve développent particulièrement cette problématique anomique liée au super héros.

On retrouve aussi une thématique importante des Teen comics qui est particulièrement flagrante chez Spider-Man. En effet, Peter Parker est un adolescent rejeté par ses camarades. En devenant Spider-Man il acquiert une certaine notoriété et assume alors bons nombres de choses qu’il n’oserait pas faire en tant que Peter Parker. Au-delà de la figure du héros, Spider-Man représente toutes les transformations du corps et de la personnalité auxquelles sont confrontés les adolescents. On retrouve également cela chez les X-Men, qui sont des adolescents mutants et qui représentent la prochaine évolution de l’humanité.

Autrement dit, les supers-héros représentent également la métamorphose, et plus que cela, l’animalité dans l’humain, c’est-à-dire cette force primitive d’anomie.

Frank Miller résume très bien notre pensée de la façon suivante : « Tel Job, Superman porte le poids du monde. Il est Apollon là où Batman est Dionysos [2]. » Superman représente ce héros solaire, cette icône quasi religieuse, dont nous parle Jung, tandis que Batman symbolise plutôt une sorte de coencidentia oppositorum propre à la condition humaine et plus particulièrement au fonctionnement de l’inconscient symbolique comme l’écrira Gilbert Durand.

Être contemporain des dieux

Si une chose est sûre, c’est donc bien que les Supers-Héros et les comics books relèvent du mythe. Comme l’écrit Mircea Eliade :

« Les personnages des comics strips présentent la version moderne des héros mythologiques ou folklorique [3]. »

Une preuve supplémentaire de leur parenté mythique est la constante réappropriation, par les différentes générations d’auteurs, de la genèse et de la mort des héros. En plus de se situer dans un temps qui est celui de la fiction, on assiste ici à une répétition « générationnelle » des origines, une sorte de ritualisation de la narration. C’est-à-dire que l’on accède au temps du mythe, ce que Eliade nomme le in illo tempore.

Par la répétition de la genèse et de la mort des héros, « On redevient contemporain des exploits que les Dieux ont effectués in illo tempore [4]. » C’est-à-dire que l’on participe à la refondation du monde, à sa genèse et son organisation.

Anomie et expérimentation

Comme nous l’avons vu précédemment, les héros, qu’ils correspondent au héros apollinien ou dionysiaque, cristallisent un imaginaire symbolique. La question que nous souhaiterions soulever maintenant est celle-ci : quelle est alors la fonction de ces symboles ?

Il s’agit, avec les figures de supers-héros, de proposer des éthiques, c’est-à-dire de proposer des actions exemplaires et, par là de donner sens au monde. Il ne s’agit pas de faire des comics books des vecteurs de la morale, même s’ils le sont certainement, mais plutôt les symptômes d’un monde dans lequel le modèle dominant arrive à saturation et où il est alors nécessaire d’expérimenter  de nouvelles façon d’être ensemble.

Les nouveaux aèdes

Il y a certainement une filiation à faire entre le panthéon héroïque grec et les supers-héros contemporains. Notamment par les fonctions symboliques et mythiques qu’ils représentent. Mais c’est là que doit s’arrêter notre comparaison. En effet, contrairement aux premiers d’entre eux, nous ne sommes pas dans une phase de démythologisation de nos sociétés, comme cela a été le cas avec la naissance de la philosophie. Nous serions plutôt dans une phase contraire de re-mythologisation, ou plutôt de réenchantement du monde.

En effet, par le biais de la science-fiction, de la figure ambivalente et anomique du super-héros, il nous semble que les Comic Books et les figures de supers-héros proposent une réappropriation d’un monde ouvert sur l’imagination. Ils répondent, en quelque sorte, à cette demande exprimée par Gilbert Durand : « demander ce supplément d’âme, cette autodéfense contre les privilèges de notre propre civilisation faustienne, à la rêverie qui veille en notre nuit. Il faut contrebalancer notre pensée critique, notre imagination démystifiée, par l’inaliénable « pensée sauvage » qui tend la main fraternelle de l’espèce à notre déréliction orgueilleuse de civilisé [5]. »

Dès lors, on peut peut-être voir les auteurs de Comic Books comme de nouveaux aèdes dont le rôle serait de transmettre et de renouveler les mythes qui sont à l’origine du devenir de toutes sociétés. Spiderman, Batman, Hulk, Superman sont autant de figures à réinventer éternellement.



Notes

[1] Henri Corbin, cité par Gilbert Durand in L’imagination symbolique, éditions Presses Universitaires de France, coll. Quadrige, Paris, 2008 (1964), p. 16.

[2] Frank Miller, The Dark Knigth Returns, editions Panini Comics, Paris, 2008.

[3] Mircea Eliade, Aspects du Mythe, éditions Gallimard, coll. Folio essais, Paris, 2007 (1963), p. 226.

[4] Idem, p. 31.

[5] Gilbert Durand, L’imagination symbolique, éditions PUF, coll. Quadrige, Paris, 2008 (1963), p. 126.

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