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Aujourd'hui, l'électorat socialiste est très divisé sur la ligne et le bilan du quinquennat.
Aujourd'hui, l'électorat socialiste est très divisé sur la ligne et le bilan du quinquennat.
©wikipédia

Champ de ruines

La féroce compétition qui s'annonce à gauche dans le cadre de la primaire pourrait bien ne pas laisser le Parti socialiste indemne, tant la tâche de rassemblement qui incombera au candidat désigné sera difficile.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Au vu des rapports de force actuels au sein du Parti socialiste et du nombre de personnalités en course pour la primaire de la Belle Alliance Populaire, cette primaire peut-elle échapper à la foire d'empoigne et au scénario catastrophe d'un candidat qui serait désigné sans pour autant avoir rassemblé son propre camp ?

Jérôme Fourquet : Il y aura mécaniquement un rassemblement car c'est le but de toute primaire. Tous les candidats, même s'ils vont s'affronter de manière virulente – et ça a déjà commencé – , se sont engagés envers ce rassemblement. Une fois dit cela, la question est de savoir quelle trace tout cela va laisser en profondeur.

En 2011, l'électorat de gauche s'était rassemblée derrière François Hollande malgré un combat d'entre-deux tours assez intense. Rappelez-vous l'expression de Martine Aubry : "quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup". Cela n'avait pas empêché François Hollande de rassembler la gauche puis de remporter la présidentielle, mais il y avait quand même eu des césures exprimées au grand jour et qui se sont manifestées par la suite pendant le quinquennat.

Aujourd'hui, la situation est différente puisque le combat qui aura lieu pendant cette primaire se fera justement autour de ces fractures aujourd'hui béantes. Dans un sondage Ifop-JDD publié ce week-end, on constate que Manuel Valls serait largement en tête au premier tour avec 45% de souhait de victoire, mais il est favori parce qu'il est le seul dans son couloir (réformiste) alors que plusieurs candidats se disputent les voix de la gauche du PS. Or, quand on regarde les résultats de ce sondage pour le second tour, on observe que Manuel Valls et Arnaud Montebourg sont à 50-50... On voit donc bien deux lignes qui s'affrontent et qui pèsent (aujourd'hui) un poids équivalent.

C'est problématique parce que ces fractures ne sont pas nouvelles et devraient s'exacerber dans les semaines qui viennent, mais également parce que le rapport de force de la primaire de la droite (environ deux tiers des voix pour François Fillon au deuxième tour, voire 75-25 si l'on enlève la frange d'électeurs de gauche venus voter) impliquait un rassemblement sans doute plus facile à effectuer. A gauche, on est en présence de deux blocs qui pèsent un poids égal, et cela rend les choses plus complexes. Par ailleurs, les argumentaires sont assez violents et la charge contre le bilan de ce quinquennat a d'ores et déjà été sonnée par les supporteurs d'Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon, sans compter ceux qui sont à l'extérieur de cette primaire et qui ne vont pas se gêner pour souffler sur les braises.

Il y a une donnée supplémentaire au problème : non seulement l'électorat socialiste est aujourd'hui central à gauche mais minoritaire, mais il est de surcroît bordé par deux candidatures (Emmanuel Macron au centre, Jean-Luc Mélenchon à gauche) qui bénéficient toutes deux d'une certaine dynamique.

Christophe Bouillaud : Au moins dans un premier temps, la multiplication du nombre de candidats devrait donner une impression de complet désordre. Par ailleurs, la personnalité de certains candidats probables comme Gérard Filoche laisse envisager des débats qui risquent d'être amusants. Cependant, il n'est pas certain que l'ensemble des personnes qui se déclarent candidates à la primaire y participent effectivement. Un filtre sera sans doute fait par le nombre de parrainages.

Par ailleurs, sauf s'il n'y avait aucune participation populaire importante à cette primaire, il me semble que le vainqueur du second tour sera nécessairement approuvé par une masse importante d'électeurs. De fait, la victoire au second tour assurée par des centaines de milliers d'électeurs donnerait au candidat désigné une légitimité très forte pour représenter la Belle Alliance Populaire.

Au regard des enquêtes actuelles, et notamment d'un sondage Ifop pour le JDD publié ce week-end qui donnait Manuel Valls et Arnaud Montebourg à 50-50 au second tour, peut-on considérer qu'un score serré représenterait un danger pour l'avenir du PS ?

Christophe Bouillaud : Il me semble qu'il est assez prématuré de réfléchir à partir des sondages sur cette primaire, d'autant plus que la primaire de la droite et du centre vient de démontrer aux yeux du monde que l'évolution de l'électorat dans un tel exercice peut s'avérer très rapide et violente. Qui aurait dit que François Fillon allait en quinze jours-trois semaines remonter son handicap au point d'arriver nettement en tête du premier tour de la primaire ? Un tel scénario peut tout à fait se reproduire au sein de la primaire de la Belle Alliance Populaire. Nul ne sait qui sera le vainqueur de ce scénario surprise.

Même en cas de victoire serrée de l'un des candidats, la règle majoritaire donnerait une très grande légitimité à ce candidat. Nous sommes dans le cadre de la Vème République. Les primaires sont une sorte de mini-présidentielle pour chaque camp et personne ne songerait à remettre en cause la légitimité d'un président de la République, même élu avec un tout petit peu plus de 50% des voix. Quel que soit le vainqueur, il aura une légitimité suffisante pour se présenter, sachant que le perdant du deuxième tour devra bien sûr soutenir le gagnant, comme s'y sont engagés tous ceux qui participent à cette primaire, y compris d'ailleurs les personnalités les plus radicales telles que Gérard Filoche.

En cas d'éparpillement des voix et de résultats serrés, quelle personnalité hors-primaire pourrait en bénéficier le plus d'un point de vue électoral (Emmanuel Macron, François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon) ?

Jérôme Fourquet : Tout d'abord, on ne sait pas encore si François Bayrou sera candidat. Ensuite, tout dépendra du déroulement de cette primaire et de l'intensité et de la violence des affrontements pour savoir si la réconciliation est possible. Il faudra également voir qui sortira vainqueur de l'élection, et dans quelles proportion. Si c'est Arnaud Montebourg à 51 ou à 58%, ce n'est pas pareil que si c'est Manuel Valls à 51 ou 58%.

Évidemment, si Manuel Valls sort vainqueur, ce sera tout bénéfice pour Jean-Luc Mélenchon. Inversement, si c'est Arnaud Montebourg, ce sera plutôt bénéfique à Emmanuel Macron, et encore plus si les débats ont été violents.

Aujourd'hui, l'électorat socialiste pèse assez peu, est très divisé sur la ligne et le bilan du quinquennat, et reste flanqué sur ses deux ailes par deux candidats bien installés dans le paysage politique, tant au niveau de leur score potentiel que de leur positionnement clair et cohérent.

Le risque, c'est que le match se fasse finalement en-dehors du Parti socialiste. C'est d'ailleurs un argument de campagne pour les candidats à cette primaire : souligner le fait que compte tenu de la situation très particulière que nous connaissons, il est important de rassembler. Premièrement, pour éviter une finale entre la droite et l'extrême-droite à la présidentielle, et deuxièmement pour éviter que la gauche ne soit rayée du paysage, impliquant une implosion du PS.

Le constat est globalement partagé par les candidats, mais ils ont bien sûr des lectures radicalement différentes de ce qu'il convient de faire pour arriver à ce rassemblement. Manuel Valls insiste sur le besoin d'un homme d'expérience et de gouvernement, alors que les autres pointent l'impossibilité selon eux que le théoricien des gauches irréconciliables soit le porte-drapeau du parti.

Christophe Bouillaud : L'éparpillement des voix n'est pas tant important que le résultat du second tour : si le candidat de la droite du parti (Manuel Valls) l'emporte, Jean-Luc Mélenchon en tirera un grand bénéfice et Emmanuel Macron en sera gêné. La situation sera inverse si c'est la gauche du parti qui l'emporte et la situation de Jean-Luc Mélenchon apparaîtra alors comme plus compliquée qu'avant.

Par ailleurs, je voudrais insister sur le fait que ni Jean-Luc Mélenchon, ni Emmanuel Macron n'ont la garantie absolue d'avoir les 500 parrainages nécessaires. Autant le candidat désigné par la primaire de la Belle Alliance Populaire aura nécessairement l'appareil du Parti socialiste qui lui garantira les 500 signatures, autant Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron ne sont pas totalement certains d'avoir ces signatures, d'autant plus que pour la première fois cette année les parrainages seront tous rendus publics. On pourrait imaginer une tactique de la droite qui consisterait à donner les signatures manquantes à Jean-Luc Mélenchon pour qu'il puisse être candidat, mais cette tactique serait très difficile à assumer – du fait de la nouvelle règle de transparence – aussi bien pour la droite que pour Jean-Luc Mélenchon. La même remarque s'applique à Emmanuel Macron, qui aurait des difficultés à se faire aider de manière trop visible par Les Républicains.

Au-delà de la course à la primaire, est-ce que l'éventualité d'un Parti socialiste éclaté pourrait inciter une personnalité telle que Ségolène Royal, Martine Aubry ou Christiane Taubira à se positionner pour apparaître comme le "sauveur" de l'unité du parti ?

Christophe Bouillaud : De facto, tout dépendra du résultat réalisé par le candidat socialiste choisi à la primaire. Si ce candidat réussit à faire une performance acceptable dans les circonstances présentes, il sera considéré comme le leader naturel du parti. S'il fait une contre-performance par rapport à ce qui pourrait être attendu – faire un score catastrophique de moins de 10% au premier tour de la présidentielle –, les jeux s'ouvriront complètement. Le candidat sera jugé par rapport à une aune très faible : celle d'avoir une honorable défaite. Il devra surtout éviter l'humiliation de se retrouver derrière Jean-Luc Mélenchon ou Emmanuel Macron.

Parmi les personnalités que vous avez citées, aussi bien Martine Aubry que Christiane Taubira me semblent trop âgées pour représenter l'avenir du Parti socialiste et de la gauche en général. Elles peuvent cependant avoir un rôle de "garantie morale", mais il est très probable que ce qui se reconstituera avec le Parti socialiste défait en 2017 sera nécessairement un parti qui cherchera un très fort rajeunissement. On voit bien que l'électorat veut un renouvellement et on peut imaginer que les sections socialistes seront envahies par de jeunes électeurs frustrés par les résultats de 2017. Au lendemain d'élections perdues, l'histoire politique nous enseigne que les sections sont souvent investies par des jeunes qui se mobilisent pour redresser leur camp, on l'a notamment vu en 1981 à droite.

Est-ce que même un François Hollande, qui a dit dans son discours de renoncement qu'il veillerait attentivement à l'unité de sa famille politique, pourrait être tenté de revenir si le PS explose en janvier ?

Christophe Bouillaud : On peut en effet faire de la politique-fiction avec un François Hollande qui se déciderait finalement à se présenter à l'élection présidentielle au vu de ses meilleurs sondages ! Mais cela me paraît quand même utopique. Malheureusement pour lui, son avenir est dans les livres d'histoire.

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