Suède : des "espions" russes arrêtés ...<!-- --> | Atlantico.fr
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La maison où un service de sécurité a arrêté deux personnes soupçonnées d’espionnage, dans la région de Stockholm, le 22 novembre 2022
La maison où un service de sécurité a arrêté deux personnes soupçonnées d’espionnage, dans la région de Stockholm, le 22 novembre 2022
©FREDRIK SANDBERG / AFP

Espionnage russe

Les services de sécurité suédois ont mené une impressionnante opération policière visant un couple de ressortissants russo-suédois le 22 novembre à 06 h du matin. Il s’agit de Sergey Skvortsov, 59 ans et de son épouse Yelena Kulkova, 58 ans.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Les services de sécurité suédois ont mené une impressionnante opération policière visant un couple de ressortissants russo-suédois le 22 novembre à 06 h du matin. Il s’agit de Sergey Skvortsov, 59 ans et de son épouse Yelena Kulkova, 58 ans. Les grands moyens ont été employés puisque deux hélicoptères Blackhawk des forces armées suédoises ont été engagés pour acheminer des commandos armés afin que les suspects n’aient pas le temps de faire disparaître des indices qui serviront au dossier d’instruction. Cette opération digne des meilleurs films d’espionnage a été baptisée « Operation Spjut » (« opération lance »). Le 25 novembre, le juge d’instruction a décidé le maintien en détention de Sergey mais la remise en liberté de Yelena bien qu’elle reste soupçonnée de complicité avec son mari…

Des membres de la police de sécurité (Säpo), du département opérationnel national de la police (Noa) et des forces armées suédoises ont perquisitionné leur résidence à Saltsjö-Boo. 

L’accusation fait part d’« activités de renseignement illégales contre la Suède […] et contre un pays tiers [NdA : les États-Unis] » qui auraient eu lieu de janvier 2013 à novembre  2022. Selon le bureau du procureur en charge de l’affaire, le service de renseignement militaire GRU serait impliqué, les suspects ayant espionné au profit de la Russie et de son industrie d’armement. 

Le couple marié au milieu des années 1990 est arrivé en Suède en 1997. Ayant obtenu la nationalité suédoise, il dirigeait deux entreprises spécialisées dans le domaine de l'import-export, particulièrement de composants électroniques et de technologie industrielle. Leur chiffre d'affaires serait de plus de 30 millions de dollars par an. Leur domicile avait déjà été perquisitionné en 2016 mais à la demande du ministère des finances…

The alleged photo of the suspects / Dossier Centre

La chasse aux « espions russes » est donc aujourd’hui au premier plan en Occident. Cela rappelle étrangement le temps du maccarthysme (1950-1954). Les Britanniques, hantés par l’héritage des « cinq de Cambridge » sont en pointe dans ce combat agissant parfois via des sociétés « privées » comme Bellingcat qui dénonce régulièrement des agents infiltrés russes. C’est d’ailleurs ce site qui semble avoir attiré l’attention du contre-espionnage suédois sur le couple révélant qu’il possédait depuis 1999 un appartement 36 rue Zorge à Moscou dans un immeuble où résideraient de nombreux officiers identifiés comme membres du GRU : Denis Sergeev, un des tueurs chargé d’assassiner Sergei et Yulia Skripal en Grande Bretagne en 2018 ;  Andrey Averyanov, chef d’une unité militaire secrète responsable d’une explosion survenue en 2014 dans un dépôt de munitions dans le village tchèque de Vrbetice ; Andrei Ilchenko ayant participé à une campagne de désinformation autour du crash du Boeing de Malaysian Airlines au dessus du Donbass en 2014… La fille du couple résiderait dans l’appartement de ses parents rue Zorgue. Elle travaillerait pour une entreprise suédoise appartenant à son père en compagnie d’un ancien officier du renseignement suédois de haut rang. Bellingcat a aussi relevé la présence d’un colonel du GRU à la retraite dans une des sociétés du couple basée à Chypre.

Il est vraisemblable que le contre-espionnage suédois ne s’est pas contenté de ces informations aimablement mises à sa disposition (par le renseignement anglo-saxon, cette petite société ne pouvant à l’évidence découvrir seule les infos très détaillées qu’elle diffuse) et qu’il a procédé à une enquête approfondie sur le couple suspecté. Dans ce genre d’affaire, il est important de savoir quel a été leur passé en Russie (leur parcours universitaire), les contacts qu’ils ont développé en Suède et en Europe (voire aux États-Unis), à quelles informations sensibles ils ont pu avoir accès et surtout, comment ils communiquaient avec Moscou… S’il s’agit d’« illégaux », leurs objectifs s’inscrivaient dans le long terme et pas dans l’actualité « immédiate » comme la guerre en Ukraine ou La candidature d’adhésion de la Suède à l’OTAN.

Ce ne sera que sur la présentation de preuves recevables en justice qu’ils pourront être condamnés - s’ils sont vraiment coupables -. Leur spécialisation dans l’import-export de composants électroniques peut laisser à penser que c’était surtout dans ce domaine qu’ils pouvaient intéresser les services russes.

Depuis des mois, et bien avant l’invasion de l’Ukraine, une certaine paranoïa semble s’être emparée du monde occidental. Elle est alimentée par les Anglo-saxons et, depuis les resserrements des liens de l’OTAN (et les candidatures), les pays européens semblent vouloir prouver à Washington leur pugnacité vis-à-vis de Moscou. C’est à qui sera le « premier de la classe ».

La Suède a connu plusieurs affaires d’espionnage dont l’une passe actuellement en justice. À savoir que deux frères d'origine iranienne sont jugés depuis le 25 novembre pour espionnage pour le compte de la Russie.

L’Europe expulse à tout va des diplomates russes. L’ambiance est délétère mais, au moins sur le plan psychologique, le monde occidental sait qu’il est en guerre non déclarée avec Moscou. David Marlowe, le chef des opérations de la CIA a déclaré que la Centrale américaine souhaitait recruter tout Russe opposant à Poutine lors d’une table ronde universitaire tenue au Hayden Center de l’Université George Mason : « nous cherchons dans le monde entier des Russes aussi dégoûtés par les actions de Poutine comme nous le sommes […] nous sommes ouverts aux ‘affaires’ ». En clair, Langley est prêt à payer en « cash et en dollars »(1). D’ici à penser que des moyens de pression pourraient également être exercés contre les expatriés russes qui ne souhaitent pas coopérer avec la CIA comme une bonne vieille accusation d’espionnage… Dans le domaine de la guerre secrète qui ne s’arrête jamais, tout est envisageable (même la culpabilité des prévenus).

C’est le retour à la Guerre froide - certes sous d’autres formes -. Il semble que plus personne ne veuille, ou ne puisse, éviter la glissade vers une situation de plus en plus catastrophique.

  1. Si la communauté du renseignement US qui regroupe 18 Agences est excellente (elle a permis de localiser et de neutraliser les émirs successifs d’Al-Qaida et de Daech), la recherche par moyens humains ne semble généralement pas être sa priorité en dehors des défecteurs.

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