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Stratégie du clivage : pourquoi la sulfureuse question du regroupement familial masque les vrais problèmes liés à l’immigration
©Reuters

Paré pour la campagne

L'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, publie ce mercredi 24 août son ouvrage "Tout pour la France". Dans son livre-candidature, il détaille plusieurs mesures qui lui semblent primordiales et s'attarde sur la question du regroupement familial.

Xavier Saincol

Xavier Saincol

 Xavier Saincol est haut fonctionnaire. Il s'exprime ici sous pseudonyme.

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Atlantico : L'une des propositions phare du nouvel ouvrage de l'ancien président de la République, paru ce mercredi 24 aout, consiste à mettre un terme au regroupement familial tel qu'il était pensé par Valéry Giscard d'Estaing. Il écrit notamment "La deuxième erreur fut en 1976 d'autoriser le regroupement familial. Cela partait d'une intention louable. […] La lucidité impose le constat qu'il est impossible de continuer ainsi." Quels sont les enjeux du regroupement familial en France, et qui concerne-t-il ? 

Xavier Saincol : Il est essentiel de distinguer le "regroupement familial" et "l'immigration pour motif familial" en général. Le regroupement familial stricto sensu est le droit pour une personne étrangère, après 18 mois de séjour en France, d'accueillir sa famille sous trois conditions : être bien intégré, disposer d'un logement adapté à la taille de sa famille et d'un revenu suffisant pour qu'elle puisse vivre dans des conditions dignes (au minimum le SMIC). 20 000 personnes s'installent chaque année à ce titre. De fait, le regroupement familial, défini par une loi de Nicolas Sarkozy du 26 juillet 2006, est une procédure qui fonctionne très bien. Cependant, l'immigration pour motif familial ne se limite pas au regroupement familial. Les "conjoints de Français" sont les étrangers qui ont épousé un Français, parfois originaire du même pays qu'eux, et viennent s'installer en France pour vivre leur vie familiale. Ils sont beaucoup plus nombreux : 50 000 par an. En outre, la France compte environ 20 000 régularisations chaque année au titre de la "vie privée et familiale", bénéficiant à des personnes sans droit de résider en France qui obtiennent des papiers du fait que l'essentiel de leur vie privée et familiale se déroule sur le territoire français. Aujourd'hui, abroger le regroupement familial au sens strict serait une erreur car cette voie est sans doute la mieux maîtrisée et la mieux organisée de toute notre politique migratoire. En outre, cela ne concernerait pas les conjoints de Français, la grande masse de l'immigration familiale : nul ne peut interdire à un Français de se marier et de faire venir son conjoint.

Selon Nicolas Sarkozy, notre politique migratoire n'est pas la bonne et il souligne l'impact du regroupement familial dans cet échec "aucun des responsables de l'époque n'anticipa les conséquences que cela aurait sur les entrées sur les territoires, les difficultés d'intégration qui s'ensuivraient". L'ancien président de la République fait-il le bon constat ? Quelles sont effectivement les erreurs de notre politique migratoire ?

Le droit à la vie familiale pour un étranger installé dans un pays est reconnu universellement par toutes les grandes démocraties. Il figure dans les principes de valeur constitutionnelle, au titre du Préambule de 1946. Il figure à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ratifiée par la France et socle des principes démocratiques en Europe. Nicolas Sarkozy entend-il la dénoncer ? En outre, le regroupement familial est désormais inscrit dans le droit européen, notamment par une directive de 2003 adoptée quand il était ministre de l'Intérieur. Il n'est pas possible aujourd'hui, sauf à sortir de l'Union européenne, d'abroger le regroupement familial. Les grandes erreurs, depuis des décennies, se résument à une seule erreur : le renoncement, la politique de l'autruche. Il existe des lois votées par le Parlement élu au suffrage universel, prévoyant dans quelles conditions une personne est autorisée à entrer et à séjourner en France. Elles ne sont pas appliquées. La France ne reconduit pas ou si peu à la frontière les migrants en situation irrégulière, pas plus aujourd'hui que du temps où Sarkozy était au pouvoir. 95% des demandeurs d'asile déboutés, selon un rapport de la Cour des Comptes restent sur le territoire français. Il sont 70 000 chaque année en ce moment. Les dirigeants politiques français adorent agiter des chiffons rouges : droit du sol, déchéance de nationalité, regroupement familial. C'est tellement plus facile d'exciter les foules que de remplir son devoir en faisant appliquer la loi...

S'agit-il d'une proposition réalisable, ou s'agit il, avant tout, pour Nicolas Sarkozy, d'agir sur le symbole ? Quelles seraient les mesures les plus efficaces afin "d'améliorer" la politique migratoire de la France ?

Cette proposition est irréaliste. Pour la mettre en oeuvre, il faudrait dénoncer la CEDH, sortir de l'Union européenne, abroger le Préambule de 1946 qui a valeur constitutionnelle... Et surtout, elle ne servirait à rien car les personnes qui n'auraient plus droit au regroupement familial entreraient illégalement, et vivraient dans la clandestinité jusqu'à une éventuelle régularisation, sans la garantie de revenu et de logement que permet aujourd'hui le regroupement familial. Il n'existe pas de solution miracle pour maîtriser l'immigration mais il faut une volonté politique forte, notamment dans la lutte contre l'immigration irrégulière : lutter contre les embarquements clandestins dans les aéroports ou sur les plages par une présence des forces de l'ordre en amont, ce qui suppose des négociations internationales, tenir un discours de fermeté consistant à dire que les personnes qui entrent en Europe ou en France dans l'illégalité sans être des réfugiés politiques, devront repartir dans leur pays. Avec la crise des migrants, les repères sont brouillés. A force de renoncer à faire respecter la loi, on en arrive à des propositions qui sont à la fois irréalistes et dangereuses.

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