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Star power : Barack Obama était-il vraiment le président cool qu’Emmanuel Macron et les Européens veulent croire ?
©DR

Obamania

Barack Obama était à Paris ce samedi 2 décembre à Paris, dans un climat d'Obamania" pour une conférence donnée à un réseau professionnel, Les "Napoléons". A priori Obama devait parler d'économie, il aura aussi beaucoup parlé de société en confiant ses craintes vis-à-vis de l'information diffusée sur les réseaux sociaux et la peur de la propagande en faisant référence aux pratiques de Donald Trump.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Comment interpréter ce qu'incarne encore aujourd’hui Barack Obama, alors que ses deux mandats se sont soldés par l'élection de Donald Trump ?  N'est-ce pas un peu hypocrite de la part de l’ancien président de faire le procès de l’utilisation des réseaux sociaux (valable sur le fond) alors qu'il a été le premier à parfaitement utiliser ces mêmes réseaux pour sa communication personnelle ? 

Rémi Bourgeot : L’Obamania, par sa superficialité et les illusions qui la caractérise, est en fait cruelle pour Barack Obama puisqu’elle tend à le réduire, de façon injuste, à la ligne inconséquente d’Hillary Clinton. N’oublions pas qu’Obama est arrivé au pouvoir en 2008 en pleine crise financière américaine et mondiale, après les deux mandats catastrophiques de George W Bush, aussi bien sur le plan économique, avec le gonflement d’une bulle immobilière extraordinaire, que sur le plan géopolitique avec les désastreuses guerres d’Irak et d’Afghanistan. Obama a malgré tout apporté une approche quelque peu renouvelée échappant dans un premier temps à la logique du néoconservatisme notamment et avait agi avec pragmatisme, au contraire du cas européen, pour endiguer la crise financière, en oeuvrant notamment au nettoyage des comptes du système bancaire américain.

Si cela a permis de sortir le pays de la crise financière, cela n’a évidemment pas changé le fond de la tendance en cours depuis trente ans, avec la pression qui s’exerce notamment sur les classes populaires dans le cadre de la mondialisation. Et rattrapé par le conformisme du parti et des cercles washingtoniens, Barack Obama s’est transformé au fil des années en grand défenseur de traités de libre-échange qui allaient à l’encontre des intérêts productifs américains et des classes populaires, alors que cette approche avait dès le début des années 1990 fait dérailler le modèle de croissance du pays. Sur le fond économique, l’élection de Donald Trump est néanmoins bien plus le résultat des erreurs des vingt années Bush-Clinton-Bush, marquées pas les conséquences de deux crises financières historiques (internet puis subprime), que de Barack Obama.

Sur la question de la communication, des « fake news » et de la manipulation en général, les pratiques de Donald Trump sont évidemment dérangeantes. Mais il serait effectivement erroné d’y voir une véritable nouveauté. Barack Obama a certes fait un usage très poussé des réseaux sociaux et a, d’une certaine façon, contribué à préparer le terrain à la dérive actuelle. Rappelons-nous tout de même de l’ampleur des manipulations, d’un tout autre ordre, et de leurs conséquences désastreuses sous la présidence de George W Bush en tandem avec Tony Blair au Royaume-Uni. Nul besoin de Twitter. Il est impossible de défendre l’idée selon laquelle les « fake news » seraient une nouveauté de l’ère Trump… Sur ce plan, Trump est plutôt dans la continuité, ou disons l’exacerbation d’une tendance très ancrée au surréalisme communicationnel qu’avait parfaitement analysée Christopher Lasch il y a trois décennies et qui remonte à John Kennedy, côté démocrate, et à Richard Nixon, côté républicain.

Il a été répété, notamment durant la campagne présidentielle française, qu'Emmanuel Macron avait pu prendre exemple sur le président américain. Qui sont les dirigeants occidentaux qui incarnent encore cette vision "nouvelle" de la politique, semblant reposer sur des "valeurs", mais aussi sur une image qualifiée de "cool" ? Qu'ont ils en commun ?

Alors que l’ensemble du monde développé est balayé par une crise politique de fond, nous avons vu se développer cette thèse quelque peu déconcertante selon laquelle Angela Merkel et Justin Trudeau, bientôt rejoint par Emmanuel Macron, auraient repris le flambeau de la démocratie libérale. Cette thèse s’écroule au même rythme que l’idée selon laquelle la vague populiste se serait évaporée sur les rives de l’Europe continentale après le Brexit et l’élection de Donald Trump. La profonde crise politique que traverse l’Allemagne, entre autres, dépasse la simple question d’un accident électoral ou de l’échec de négociations de coalition. Barack Obama, transformé en saint ou en star, est injustement utilisé comme figure de ralliement par les partisans d’un statu quo en plein naufrage.

Ces dirigeants de l’axe du bien n’ont pas grand-chose en commun sur le fond programmatique si ce n’est peut-être qu’ils ont tendance à se mettre d’accord sur la mise en place de grands projets d’accords de libre-échange. On a été jusqu’à inventer rétrospectivement, après l’élection de Donald Trump, que Barack Obama et Angela Merkel auraient eu une relation fusionnelle et que le premier aurait remis à la seconde le flambeau de la démocratie libérale lors de son dernier voyage présidentielle en Europe. Mais Barack Obama s’était pourtant montré très critique quant à la gestion politique de la Chancelière, non seulement au sujet de la crise de l’euro mais aussi du déséquilibre commercial allemand et de ses conséquences sur l’économie mondiale. Le choc de l’élection d’un personnage comme Trump semble avoir fait basculer l’analyse politique dans le déni et la fuite dans une vision fantasmée de la politique mondiale, en réactivant notamment la notion de « mondialisation heureuse ». Mais comme plus personne n’y croit vraiment, on a vu émerger cette obsession malsaine de la « coolitude » qui fait écho à l’injonction du vide narcissique véhiculée par l’univers du coaching. Justin Trudeau, pensé comme antithèse septentrionale de Donald Trump, use et abuse de cette stratégie déconcertante. La situation européenne est trop grave pour que les dirigeants se laissent complètement ou insouciamment aller dans la durée à cette tendance, dont il faut d’ailleurs reconnaître qu’elle n’est pas à portée de tout le monde et représente évidemment une impasse. 

Comment la "starisation" politique est-elle devenue un piège ? Dans quelle mesure cette starification peut elle être contre-productive ? N'est ce pas également un piège ne pouvant entraîner que la déception, faute de pouvoir délivrer des actons à la hauteur des attentes ? 

D’un côté le vide dont procède la starification répond à un modèle psychique qui s’impose un peu partout. De l’autre, la dislocation sociale et la précarité creusent les clivages et créent les conditions d’un rejet radical. Néanmoins il faut noter que le populisme vient lui-même s’inscrire dans la starification et Donald Trump, star de téléréalité, en est l’exemple absolu. Le vide répond au vide, dans un inquiétant mécanisme de résonnance. Les failles de nos modèles de croissance apparaissent béantes, et certains responsables politiques parviennent à les identifier. Cela a notamment été le cas de Theresa May, avant qu’elle ne soit accaparée par la crise politique latente et des négociations chaotiques. Mais l’affaissement des mécanismes démocratiques d’opposition et d’alternance, dans un contexte de dislocation intellectuelle, empêche le développement d’une vision alternative sérieuse. Cela est particulièrement manifeste dans l’impasse qui est faite sur les questions technologiques et scientifiques, malgré la technophilie de salon qui s’affiche partout, alors que ces questions étaient au cœur des politiques d’après-guerre. Il est difficile d’être optimiste en observant l’évolution des débats, marqués par la transe verbale et des positionnements centrés sur la satisfaction de lubies.

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