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Sous prétexte de soutenir la croissance, les taux d’intérêt négatifs reviennent à créer un impôt mondial perçu sur l’épargne des classes moyennes
©Andrew CABALLERO-REYNOLDS / AFP

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Les taux d’intérêt négatifs représentent une opportunité pour financer des dettes gratuitement... Sauf qu’ils agissent comme un nouvel impôt mondial perçu sur l’épargne populaire pour financer des déficits publics.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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En fin de semaine dernière, la Réserve fédérale américaine a encore baissé ses taux directeurs de 0,25%, entrainant une nouvelle baisse des conditions de crédit partout dans le monde des opérations de crédit. Les particuliers peuvent s’endetter pour acheter de l’immobilier à des taux proches de zéro. Quant aux grandes entreprises, aux Etats prospères comme l’Allemagne ou la France, c’est « champagne » : ils peuvent financer leurs dépenses budgétaires à des taux négatifs. 

A priori, c’est tout bénéfice et sans doute très durable. C’est même assez miraculeux puisqu’à ces conditions, plus on s’endette, plus on s’enrichit. Cette situation très inhabituelle provoque une évolution dont on a du mal à évaluer les effets à moyen et long terme, mais crée des débats sérieux auxquels on a du mal aujourd'hui à apporter des réponses.

Le premier débat porte sur l’impact macroéconomique des taux bas. A priori les banques centrales en sont venues à baisser les taux d’intérêt avec à la clef des masses de liquidités. Cette politique monétaire accommodante avait pour objectif de soutenir l’activité économique. Le raisonnement se tient. Avec des taux bas, les agents économiques peuvent s’endetter facilement et investir dans l’activité. Sauf qu’aujourd’hui, la plupart des pays sont sortis de la crise de liquidités née en 2008-2009, qui avait bloqué tous les modèles économiques. L’économie américaine, par exemple, tourne à plein régime et est même en situation de plein emploi. Dans beaucoup de pays développés, les taux bas ou même négatifs n‘ont pas entrainé de croissance mais ils ont autorisé des bulles spéculatives sur l’immobilier (le prix au mètre carré a dépassé les 10 000 euros dans la plupart des grandes métropoles mondiales)  et sur les actifs financiers – avec des marchés d’actions au plus haut. Les taux négatifs ont permis aussi aux États de financer leur déficit budgétaire plutôt que de travailler à la réduction des déficits. C’est évidemment le cas de la France. Donc au niveau macro-économique, l’effet produit n’a pas été celui qui était attendu.  Ces taux ont cependant le mérite de permettre aux gouvernants de ne pas demander des efforts de rigueur.  La hausse des indices boursiers provoque aussi un effet richesse qui calme le jeu social, surtout aux Etats-Unis où les épargnants ont leur retraite investie sur des marchés actions.

Le deuxième débat porte sur la gestion des banques et des sociétés d’assurance. Les banques et les sociétés d’assurance ont beaucoup de mal à rester en équilibre. Leur métier, c’est de faire des crédits à un taux légèrement supérieur à celui auquel elles rémunèrent les épargnants ou les déposants. Si les taux sont durablement négatifs, les banques et les sociétés d’assurance se retrouvent dans le rouge. Elles ne savent pas gérer une telle situation d’autant que les ratios prudentiels qu’on leur impose en Europe leur interdisent de prendre des risques. Donc, les banques et les sociétés d’assurance évitent de reprendre des risques dans l’économie de marché et d’une façon générale opteront pour des placements garantis par l‘Etat (obligations publiques) ou garantis par une valeur d’actifs sécurisés. D ‘où le succès de l’immobilier et la hausse des prix. Cette situation ne peut pas durer, d‘où la tentation des systèmes financiers de faire payer les dépôts et l’épargne en général.

Le troisième débat va ouvrir la porte à la rémunération des dépôts. Les clients de la banque Rothschild viennent d’être prévenus. Ils vont payer pour leurs dépôts en banque. Certaines banques qui gèrent des fortunes avaient déjà levé le tabou en faisant payer les dépôts, supérieurs à plusieurs millions, qui dormaient sur des comptes courants. L’épargne de précaution, pour le plus grand nombre, pourrait devenir payante dans les banques plus traditionnelles. La plupart d’entre elles inventent actuellement des subterfuges pour récupérer des recettes auprès de leur client. Elles augmentent leur frais de fonctionnement, font appel au digital et facture quantités de services autour du dépôt ou des paiements. Bref d’une façon ou d’une autre, il va falloir payer pour que l’argent puisse dormir en paix. 

C’est assez incroyable parce que cette affaire de taux d’intérêt négatif revient à imposer une nouvelle taxe aux épargnant. 

Le quatrième débat va porter sur cet impôt nouveau qui ne dit pas son nom et pourtant. On a supprimé l’impôt sur la fortune dans la plupart des pays occidentaux (la France a été le dernier à le faire) mais en acceptant et même en souhaitant des taux négatifs, on crée un nouvel impôt qui ne dit pas son nom mais qui agit comme tel. 

Alors, ça n’est pas la première fois que l’économie fonctionne avec des taux négatifs. Le demi-siècle précédent (entre 1950 et 2000) a été financé à des taux négatifs. Les taux d’intérêt perçus sur le crédit étaient de 8% en moyenne avec une inflation à plus de 10%. Ça voulait dire que le taux réel était de -2%, négatif. La génération issue de la guerre a financé la reconstruction des routes, des écoles, l ‘immobilier et le plein emploi avec des taux réels négatifs. 

La formule n’était pas si mauvaise. Sans doute, sauf qu‘aujourd’hui, elle est inapplicable. 

Les taux réels négatifs étaient possibles parce que le crédit finançait principalement des équipements et des investissements longs ... et parce qu‘il y avait une inflation qui masquait les taux réels et donnait l’illusion de l’enrichissement. La croissance servait à l’impôt et à l’amélioration de la vie quotidienne. L’inflation mettait de l’huile dans les rouages sociaux. Mais l’inflation n’était possible que parce que les économies étaient fermées. 

Ne rêvons pas, l’inflation avait beaucoup de défaut qui sont devenus à partir des années 1970, insupportables et qui freinaient la machine. En généralisant les taux réels négatifs, elles faisaient payer les épargnants et les rentiers. La capacité d’épargne a été une vertu en voie de disparition. D’où les politiques anti-inflationniste et de rigueur. Au niveau budgétaire comme au niveau monétaire. 

Le cinquième débat pour profiter des taux zéro ou négatifs. Avant que l’épargne ne disparaisse, les banques centrales qui ont racheté quantité de crédit de mauvaise qualité pour garantir les liquidités, multiplient les appels à l’investissement de long terme. 

D’où les projets de financer les équipements collectifs et la transition écologique à taux négatifs. D’où l’idée de desserrer les ratios prudentiels des banques européennes pour les autoriser à prendre plus de risques qu’elles en n’en prennent actuellement. Et si les banques prenaient plus de risques en finançant l’économie de marché, elles pourraient mieux rémunérer les épargnants ou les déposants.  

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