Soupçons d’emplois fictifs dans l’entourage de Laurent Wauquiez : voilà pourquoi ces accusations sont dommageables pour la démocratie française<!-- --> | Atlantico.fr
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Quatre personnes figurant ou ayant figuré dans l’organigramme de la région travailleraient en réalité à la préparation d’une candidature de Laurent Wauquiez pour la présidentielle 2027.
Quatre personnes figurant ou ayant figuré dans l’organigramme de la région travailleraient en réalité à la préparation d’une candidature de Laurent Wauquiez pour la présidentielle 2027.
©JEFF PACHOUD / AFP

Confusion

Pourquoi confondre des emplois politiques justifiés avec des emplois fictifs ? Qu’ils visent Laurent Wauquiez, le Modem, le RN ou les Insoumis, les Torquemada du financement de la vie politique feignent d’ignorer que la démocratie a un coût.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Selon une enquête de Radio France, quatre personnes figurant ou ayant figuré dans l’organigramme de la région travailleraient en réalité à la préparation d’une candidature de Laurent Wauquiez pour la présidentielle 2027. Un conseiller qui travaille sur une réflexion politique. Peut-on vraiment parler d’emploi fictif ? Qu’est-ce d’ailleurs qu’un emploi fictif ? Dans quel cadre les accusations seraient-elles justifiées ?

Christophe Bouillaud : Tout d’abord, il faut bien comprendre qu’il existe deux niveaux possibles dans une telle mise en cause : soit on prétend que quelqu’un est littéralement payé pour ne rien faire du tout, sinon s’occuper de ses affaires personnelles ; soit on prétend que quelqu’un est payé à faire autre chose que ce que pour quoi il est payé officiellement par l’institution qui le paye. Dans ce second cas, on ne devrait pas utiliser le même mot que dans le premier. Il faudrait plutôt parler de « couverture » comme on parle de la couverture d’un agent dans un roman d’espionnage.

Il y a en effet un monde entre la situation où quelqu’un fait rémunérer par une institution, publique ou privée d’ailleurs, un ou une proche pour lui offrir un revenu sans qu’aucune contrepartie correspondante pour l’institution en question ne puisse être repérée et sans qu’aucune activité, autre que de loisir, ne puisse être alléguée par celui qui est ainsi payé à ne rien faire, et celui où quelqu’un fait rémunérer une personne pour travailler à une tâche différente de celle qui se trouve dans les attributions de l’institution. Entre faire payer son petit neveu, sa maîtresse, ou son amant, par exemple, et faire payer un conseiller de l’ombre, il y a tout de même une grande différence.   

Selon l’enquête de Radio France, on se trouverait clairement dans le second cas. Il y aurait bien eu un travail effectué, mais il n’aurait pas eu de lien avec les attributions officielles de la région Auvergne Rhône-Alpes. Il resterait donc à déterminer à quel point ces travaux s’éloignent des compétences de la région Auvergne Rhône-Alpes, sachant que ces dernières sont très larges. En principe, ce sont en effet les régions qui sont en charge de toute la stratégie économique régionale, en partenariat certes avec l’Etat central. Cela veut dire qu’un président de région est de fait invité à s’intéresser à presque tout : qu’est-ce qui, en effet, n’a pas d’incidences économiques ? Pour être enseignant à Science Po Grenoble, je ne peux pas ignorer non plus que Laurent Wauquiez se trouve être en plus un président de région activiste, qui ne cesse de mettre en avant l’action régionale sur beaucoup de domaines, y compris ceux où la région n’a presque pas de compétences officielles, à des fins politiques, entendues comme l’élargissement de son audience auprès de l’électorat . Il peut donc tout à fait avoir un staff dédié à cet activisme. Cela ne serait pas très étonnant, et cela serait difficilement critiquable en soi. Après tout, qui va interdire à un élu de vouloir être populaire par son action et ses propos ? C’est un peu dans le rôle de base de l’homme ou de la femme politique.

Laurent Wauquiez dément ces emplois fictifs. Comment prouver sa bonne foi ?

Dans le cas présent, comme il est le président d’une des plus importantes régions françaises, il aura beau jeu de montrer que ces personnes, si j’ai bien compris basés à Paris, lui permettaient de maîtriser les tenants et les aboutissants de la politique nationale, de ce qui se trame dans les ministères, et de ce que les grands opérateurs économiques du pays préparent. Il aura sans doute la même défense que lorsqu’il a été accusé d’avoir organisé une réunion un peu trop festive avec des personnalités dans un château de la région Auvergne Rhône-Alpes. Il s’abritera derrière l’intérêt régional bien compris. Vu son poids relatif dans l’économie française, il est en effet logique que son président essaye d’être en relation avec toute personne qui peut lui apporter des investissements. On peut le regretter ou l’admettre comme une contrainte inévitable de la vie contemporaine : comme les Etats, les régions doivent séduire les investisseurs ou ceux qui les conseillent. Le carnet d’adresses et les liens faibles du président de région avec tout ce qui compte dans le pays et dans le monde sont un atout pour la région.  

Evidemment, si un document sans ambiguïté sortait dans la presse qui serait par exemple le brouillon d’un projet présidentiel pour 2027 et qui aurait été établi par ces personnes sur leur temps de travail dans les locaux loués en plus par la région, Laurent Wauquiez serait en grande difficulté. Ce n’est bien sûr pas le rôle des finances publiques régionales de financer la préparation de la campagne présidentielle du Président de Région à la présidentielle de 2027.

Les règles sont-elles bien faites ?

Dans le cas d’espèce, plutôt oui. Elles séparent ce qui est de l’ordre de l’activité large d’un responsable d’exécutif local et ce qui est de l’ordre de la préparation d’une présidentielle. En l’occurrence, Laurent Wauquiez, si des preuves tangibles sortaient dans les médias que ces personnes travaillaient essentiellement, voire uniquement, à la préparation de la campagne de leur mentor pour 2027, et si la justice finissait par valider d’une façon ou d’une autre ces preuves, serait surtout victime de sa propre incapacité à prendre la tête des Républicains. En effet, dans le cadre du financement public des partis, et du rôle qui leur est conféré par la Constitution, il est vraiment légitime qu’un parti dépense son argent, celui du financement public, celui des donateurs, celui des militants, dans la préparation des prochaines échéances électorales. Les LR le font d’ailleurs, puisqu’ils viennent de promouvoir à leur vice-présidence Emmanuelle Mignon en charge justement de leur programme pour 2027. Cette revenante en politique  a d’ailleurs eu droit à un portrait fort élogieux dans le Monde à cette occasion. La situation se compliquerait donc uniquement parce que Laurent Wauquiez aurait voulu faire, en quelque sorte, cavalier seul, en préparant tout seul sa propre candidature en abusant de l’argent de la région qu’il gère. Si tel était le cas, on se consolerait toutefois en faisant remarquer que, selon l’enquête de Radio-France, Laurent Wauquiez ne bénéficierait pas de fonds privés pour cette pré-campagne. Il resterait donc totalement indépendant d’un achat de sa personne par des intérêts bien dotés en argent. Il serait en quelque sorte son propre maître.

De mon point de vue de politiste comparatiste, sur un plan plus général, si Laurent Wauquiez en était vraiment venu à cet expédient, ce qui n’est nullement prouvé à ce stade, cela serait encore là un effet de cette situation aberrante dans laquelle se trouvent les deux grands partis historiques français, les LR d’un côté, le PS de l’autre, dans un monde de politique personnalisée, à savoir d’avoir des chefs officiels qui ne sont pas leurs leaders naturels pour la prochaine élection présidentielle. Il y a bien de l’argent, public et privé, dédié à la vie partisane, donc à la préparation de la présidentielle de 2027, mais il n’est pas contrôlé par le futur candidat.

La politique ne pâtit-elle pas de ces accusations faites à l’emporte-pièce ?

Bien sûr, d’autant plus que les citoyens ordinaires ont du mal à admettre que la politique est une activité qui nécessite des moyens et qui suppose des efforts en équipe. En utilisant le terme d’ « emploi fictifs », les citoyens voient tout de suite l’image du fainéant payé à ne rien faire,  celle  du petit neveu paresseux payé par l’entreprise d’un oncle protecteur, celle de l’amante défrayée sur fonds publics, de l’assisté en quelque sorte.  Cette image de politiciens qui vivent aux crochets du  bon peuple de France entre en résonance avec l’impression d’inefficacité de la politique qui domine actuellement les esprits. Il y a sans doute de bonne raisons d’être insatisfaits des politiques publiques, mais elles ne sont pas dans une supposée inactivité des politiciens et de leurs staffs. Ils sont actifs, mais ne font pas nécessairement les bons choix. On peut travailler dur, et se tromper quand même.

Pour prendre un autre exemple, arrive devant les juges les affaires du Modem et du RN portant sur les « emplois fictifs » qu’aurait payés l’argent du Parlement européen. Or ces emplois ont surtout consisté à faire travailler à Paris sur des sujets politiques des employés du parti payés par l’argent européen. On pourrait s’interroger sur le sens en 2023 de la règle qui limite l’emploi de l’argent européen aux seules affaires européennes stricto sensu – en gros ce qui se passe dans l’enceinte du Parlement européen –, alors même qu’on demande aux députés européens et aux partis nationaux représentés au Parlement européen de faire le lien avec l’électorat national. Il est pourtant certain que ces deux affaires seront vues par le grand public comme la preuve de la corruption de ces partis et même des partis en général, or, en réalité, ils n’ont fait qu’utiliser les fonds européens à leur disposition pour leur travail politique, dont ils sont en démocratie seuls juges, auprès de leurs concitoyens. Il faut ajouter que la règle européenne d’étanchéité entre financement européen de la vie politique européenne et financement de la vie politique nationale a été prise essentiellement pour gêner l’activité des petits partis qui réussissaient à avoir des élus au Parlement européen, et donc un financement à ce niveau, mais qui étaient incapables d’avoir des élus au niveau national et n’avaient pas de financement national. C’est là une règle visant à préserver le statu quo, et à limiter la concurrence subie par les anciens partis nationaux de la part de leurs challengers ayant trouvé leur salut électoral dans les élections européennes. Il serait plus simple en 2023 d’admettre que la vie politique européenne et la vie politique nationale sont en réalité une seule et même chose.

Quoi qu’il en soit, cette tendance à aller chercher la corruption supposée des politiques, plutôt que les défauts de leurs idées ou de leurs projets, constitue sans doute un signe inquiétant pour notre démocratie. Pendant qu’on s’indigne sur les supposées frasques des uns et des autres, on ne prend pas le temps de discuter au fond.

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