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Souhaits d’alliances des Français pour les régionales : le sondage qui devrait inquiéter la gauche
©Wikimedia Commons

Eviter les mésalliances

A trois mois des élections régionales, la question des alliances entre partis taraude les appareils politiques. Les électeurs, eux, ont des préférences parfois différentes, surtout à gauche. C'est l'un des enseignements stratégiques que révèle le sondage Harris Interactive, réalisé pour Atlantico entre le 4 et le 7 septembre.

Eddy  Fougier

Eddy Fougier

Eddy Fougier est politologue, consultant et conférencier. Il est le fondateur de L'Observatoire du Positif.  Il est chargé d’enseignement à Sciences Po Aix-en-Provence, à Audencia Business School (Nantes) et à l’Institut supérieur de formation au journalisme (ISFJ, Paris).

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Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy

Jean-Daniel Lévy est directeur du département politique & opinion d'Harris Interactive.

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Atlantico : Dans quel contexte ce sondage a-t-il été réalisé ? Et quels en sont les enseignements principaux ?

Jean-Daniel LévyA quelques semaines des élections régionales, des débats traversent un certain nombre d’organisations politiques. Ceux-ci reposent essentiellement sur des considérations de stratégie d’alliance pour les prochaines échéances électorales. Les principaux enseignements sont les suivants :

A gauche comme à droite, une nette majorité des électeurs se positionnent en faveur d’alliances. L’hypothèse de forces politiques présentant chacune leur liste au premier tour est minoritaire.

- Deuxième enseignement : le point faisant le plus débat actuellement (alliance ou pas entre listes du Front de Gauche et Europe Ecologie Les Verts d’un côté le Parti Socialiste se présentant « seul ») n’est pas majoritairement porté à gauche. 8% des électeurs privilégient cette hypothèse. Au sein des familles directement concernées, les jugements sont clairs : un tiers seulement des proches du Front de Gauche se positionnent sur cette stratégie, et… 2% de ceux proches d’EELV. Notons que, quand bien même Jean-Luc Mélenchon adopte des positions frontales avec François Hollande et le Parti Socialiste, le choix privilégié par une majorité des sympathisants du Front de Gauche est celui d’une liste commune à l’ensemble de la Gauche.

- Troisième enseignement : dans le cadre du second tour les électeurs se positionnant à gauche – et ce quelle que soit leur famille partidaire de référence -  optent à 89% pour une fusion de listes.

- Quatrième enseignement : même si le débat semble en voie d’être tranché à Droite et au Centre, on observe des tendances d’opinion similaires à savoir une union, même partielle, privilégiée. Reste une plus grande réticence chez les proches du Modem à s’allier à la formation politique « Les Républicains »

- Cinquième enseignement : la porosité entre les comportements électoraux des électeurs des « Républicains » et du Front National existe toujours, elle apparait être un peu moindre que par le passé chez les proches de la Droite… et un peu plus importante à l’extrême-droite. A ce titre les hypothèses de fusion dès le premier tour ne sont que minoritaires et circonstanciées lorsque l’on se projette vers le second.  

A l'approche des élections régionales au mois de décembre, la question des alliances entre les partis, les regroupements en listes communes taraude les appareils politiques. Pourquoi cette question est-elle plus délicate à traiter à gauche qu'à droite ? 

Jean-Daniel Lévy : On peut y voir deux raisons principales : une raison de fond, une autre tactique. Sur le fond, on ne peut que constater les désaccords entre le Front de Gauche, Europe Ecologie et le Parti Socialiste au niveau national. Le gouvernement n’est pas soutenu par ces formations et la constitution des listes régionales découle de ces désaccords nationaux. Ce n’est pas tant le projet régional qui est interrogé que le positionnement politique plus global. Concernant la tactique, on le sait EELV réalise traditionnellement ses meilleurs score dans le cadre des élections régionales. Et afin de maximiser leur nombre d’élus, ils considèrent que leur intérêt est de se compter. Tout ceci dans un contexte particulier de désaffection du vote à Gauche, d’une mobilisation de cet électorat difficile et d’un Front National espérant disposer de scores importants. A Droite, l’opposition ne connait pas d’affrontements internes liés – et pour cause – à la gestion du pouvoir que ce soit nationalement ou régionalement. Ajoutons à cela la considération suivante : il vaut mieux – pensent quelques analystes des Républicains et de l’UDI voire du Modem – arriver en tête avec une union forte que second ou troisième. La dynamique de second tour n’en serait que meilleure. 

Bruno CautrèsLa première raison est que la gauche aborde ces élections régionales dans une plus mauvaise position que la droite ; non seulement les sondages (certes réalisés hors de la période de la campagne) laissent prédire une défaite de la gauche en voix et en nombre de régions perdues (même si le périmètre des nouvelles régions rend la comparaison avec les élections régionales de 2010 délicate), mais la composante de vote d’insatisfaction vis-à-vis du gouvernement va continuer à s’exprimer. Or, cette insatisfaction touche non seulement la droite et le FN mais aussi des pans entiers de l’électorat de gauche, notamment EELV ou Front de gauche. Les logiques centrifuges sont donc fortes à gauche malgré les appels à l’unité exprimés par François Hollande ou Manuel Valls. On voit donc dans plusieurs régions, par exemple en Nord-Pas-de-Calais Picardie, des listes EELV ou Front de gauche qui vont se présenter sans alliance avec le PS. Et pour compliquer le tout, la gauche qui n’est pas au gouvernement est en pleine période de réflexion et de recherches de nouvelles formes d’alliances hors du PS. A droite la situation est plus simple : une fois réglés les problèmes des têtes de listes UDI,  qui avaient entraîné quelques tensions UDI-UMP malgré leur dynamique des élections départementales, la perspective est assez opposée à celle de la gauche : Les Républicains sentent qu’une victoire supplémentaire s’annonce et leur électorat pense déjà l’étape d’après, c’est-à-dire les élections de 2017. 

Eddy Fougier : Du coté de la droite, les Républicains ne veulent pas entendre parler d'alliance au premier tour. Au deuxième, on ne voit pas l'émergence d'un front de droite contre la gauche, et donc la ligne n'est pas encore définie. Il y a fort à penser que les alliances avec le centre se fera au cas par cas. 

A gauche, c'est un peu plus ambiguë : n'oublions pas que Jean-Christophe Cambadélis a appelé à des alliances aussi larges que possibles... Idée qui n'a pas forcément trouvé beaucoup d'écho chez les Verts, ou même du côté du Front de gauche. Finalement les électeurs semblent s'y tenir. Il peut y avoir d'un certain point de vue une correspondance entre les dirigeants du PS et les sympathisants. Néanmoins, le sujet est  plus complexe dans la réalité, puisque il peut y avoir des alliances entre les Verts et le Front de gauche, mais aussi des candidats Verts qui se présentent seuls... Donc entre les propos de Cambadélis et les souhaits des sympathisants, le mot de corrélation est peut-être un peu fort... Peut-être qu'il s'agit plutôt d'une coïncidence. 

Entre la droite et les sympathisants, c'est beaucoup plus clair lorsqu'il s'agit des Républicains et de l'UDI. Les rapports avec le Modem étant toujours plus compliqués. Par ailleurs, les sympathisants du Modem sont très cohérents avec la position de François Bayrou, peu séduit par une alliance avec Nicolas Sarkozy. Le chef du Modem a suffisamment annoncé qu'il se présenterait dans le cas où Nicolas Sarkozy sortait vainqueur des primaires.

Au regard du sondage Harris Interactive, en quoi les souhaits d'alliance des sympathisants de gauche ne sont-ils pas toujours raccords avec les positions de leurs cadres ?

Jean-Daniel Lévy : Il suffit de voir les débats, les raisons affichées du départ – par exemple – de François de Rugy et de Jean-Vincent Placé d’Europe Ecologie Les Verts et ce que disent les électeurs. Ajoutons que ce qui anime les militants, voire même les dirigeants des formations politique, n’émeut que peu les électeurs. On le voit ici. On a pu le remarquer lorsqu’il s’agit de questionner la participation gouvernementale aussi bien des écologistes que du Front de Gauche. Les proches de ces formations politiques y sont favorables quel que soit leur jugement à l’égard de François Hollande ou de la politique menée par le gouvernement de Manuel Valls. Les électeurs de gauche, dans leur grande majorité, souhaitent la réussite de l’exécutif. Et non son échec. Ce qui ne les empêche pas d’être critiques. Mais ce qui les conduits à considérer les pistes permettant d’avancer plutôt que d’offrir une sanction que certains considèrent comme salvatrice et permettant de poser les bases d’une reconstruction politique.

Bruno Cautrès : On voit bien, à travers cette enquête le relatif éclatement des souhaits d’alliances des sympathisants de gauche. Notons tout d’abord la tendance générale qui effectivement va à contre-courant des positions des cadres de EELV ou du Front de gauche : les sympathisants de gauche  expriment majoritairement (71%) qu’ils souhaitent des alliances dès le premier tour dans leur région avec au moins deux des principales formations de gauche (Front de Gauche, EELV ou PS) plutôt que de voir chaque parti présenter seul ses candidats (une hypothèse soutenue par 28% des sympathisants de gauche). Il y a plusieurs explications : la culture des électeurs de gauche est fortement marquée par des décennies « d’union de la gauche », une thématique qui résonne pour eux  et notamment dans des élections locales qui ont toujours entraîné des dynamiques d’union à gauche; par ailleurs, beaucoup d’électeurs de la gauche ont encore en mémoire le « gauche plurielle » sous Lionel Jospin (1997-2002) qui était composé par une alliance entre le PS, le PC et les Verts de l’époque; enfin, les sympathisants de gauche ont sans doute en ligne de mire le souvenir du « 21 avril 2002 » alors même que ces élections régionales pourraient voir le FN marquer à nouveau par ses résultats dans certaines des régions. 

Il faut néanmoins remarquer que si l’on scinde l’analyse de l’enquête Harris Interactive par sympathie partisane, au-delà du souhait général d’unité, on voit apparaître un certain éclatement qui révèle des lignes de fractures au sein des sympathisants de gauche: tout d’abord, le souhait majoritaire des sympathisants de EELV ce sont des listes séparées et sans alliance aucune (43% soutiennent cette hypothèse alors que seuls 26% des sympathisants PS et 22% de ceux du Front de gauche y adhèrent). On voit bien que les sympathisants de EELV sont travaillés par les débats internes à leur parti et qu’ils s’interrogent après l’expérience d’une participation de EELV au gouvernement. Par ailleurs, si l’on met à part les souhaits de listes communes des trois composantes de la gauche ou de listes séparées sans aucune alliance (ces deux souhaits qui sont opposés représentent l’essentiel des souhaits exprimés par les sympathisants de gauche), on voit que la combinaison préférée des sympathisants du PS ou de EELV ce sont des listes entre ces deux formations tandis que le souhait préféré des sympathisants du Front de gauche ce sont des listes avec EELV mais sans le PS (un tiers des sympathisants de Front de gauche soutient cette alliance et ce souhait arrive en second chez eux). Le tableau est donc loin d’être aussi unitaire et homogène. 

Qu'en est-il des sympathisants de droite ? Retrouve-t-on les souhaits d'alliance habituels ?

Bruno Cautrès : Les sympathisants du Centre et de Droite sont également très largement favorables à des alliances entre au moins des principales composantes de leur camp : 7 sur 10 expriment un souhait d’alliance entre Modem, UDI et Les Républicains, réunissant au moins deux de ces trois formations politiques. Comme à gauche, c’est le souhait d’une alliance large entre les trois formations à la fois qui est majoritaire (35% des sympathisants de la droite et du centre soutiennent ce scénario), mais, comme à gauche, cela n’empêche pas des nuances de s’exprimer. Les autres souhaits d’alliances impliquant uniquement deux formations politiques recueillent des préférences moins fortes : 18% pour des alliances Les Républicains  et UDI, 13% pour la combinaison UDI et MoDem, et 4% seulement pour Les Républicains avec le seul Modem.  Mais on voit s’exprimer, à travers les souhaits d’alliance une coupure entre les sympathisants du Modem et les deux autres formations : les sympathisants du Modem, fidèles au fond au message d’indépendance vis-à-vis de la droite de François Bayrou, privilégient l’absence d’alliance de leur parti préféré que cela soit avec Les Républicains ou l’UDI. De même lorsque les sympathisants des Républicains expriment le souhait d’une alliance avec seulement une autre formation de la droite et du centre et non les deux autres à la fois, c’est avec l’UDI et pas du tout avec le Modem. On voit bien ici que si l’alliance des Républicains et de l’UDI est un souhait très largement soutenu à droite, l’alliance avec le Modem continue de poser question à ses sympathisants. Ces souhaits d’alliance nous en disent long sur le passif entre les sympathisants des Républicains, ex-UMP, et ceux du Modem. En toile de fond, on voit bien s’exprimer ici toute l’ambiguïté de l’expression « de la droite et du centre » lorsque l’on parle de la primaire de 2016 et de la vocation « de droite et du centre » des Républicains. 

Il est à noter que seulement 5% des sympathisants républicains souhaitent une alliance systématique avec le Front national au premier tour, soit 10 points de moins qu'en décembre 2014 pour les départementales. A l'inverse, cette tendance se retrouve également chez les sympathisants frontistes. Doit-on y voir un repli de chacun de ces deux électorats, contrairement à la barrière poreuses que l'on pouvait observer ?

Bruno Cautrès : Oui, on voit bien ici que les deux formations politiques ont des stratégies finalement bien soutenues parmi leurs sympathisants : le souhait majoritaire parmi leurs sympathisants est celui de la non-alliance avec l’autre. Les sympathisants des Républicains sont déjà mobilisés par l’après régionales et ils savent que le FN  constitue un danger pour permettre à leur parti de gagner des régions ou de sécuriser la place de leur futur candidat au second tour de la présidentielle.  Ceux du FN sont également déjà dans l’étape d’après. Mais deux nuances de taille doivent être apportées : d’une part, l’enquête Harris Interactive montre bien que si c’est pour empêcher la gauche de remporter ou de conserver  une région, le souhait d’une alliance entre la droite et le FN est toujours soutenu par un gros tiers des sympathisants de droite ou du FN. Par ailleurs, il faudra voir le second tour des élections régionales et les configurations particulières aux différentes régions même si le niveau national des Républicains exercera sans aucun doute un très fort cadrage sur l’absence totale d’alliance avec le FN au sein des régions. 

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