SOS société en danger : cette rage du ressentiment à laquelle nous a mené l’obsession victimaire <!-- --> | Atlantico.fr
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Les membres du Selected First Motorcycle Club se joignent à d'autres dans la prière à un mémorial de fortune pour les victimes d'une fusillade sur le campus de l'école Covenant, à Nashville, Tennessee, le 28 mars 2023.
Les membres du Selected First Motorcycle Club se joignent à d'autres dans la prière à un mémorial de fortune pour les victimes d'une fusillade sur le campus de l'école Covenant, à Nashville, Tennessee, le 28 mars 2023.
©BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

Tuerie à Nashville

Trois enfants et trois adultes ont été tués dans une fusillade dans une école de Nashville dans le Tennessee par un individu transgenre de 28 ans. Cette personne était une ancienne élève de cette école chrétienne.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Une tuerie a eu lieu à Nashville. Le tireur était un ancien élève de l'école et les officiers ont déclaré qu'ils pensaient que le "ressentiment" pouvait être un motif. Ce ressentiment est-il une conséquence “logique” de la culture victimaire dans laquelle les Etats-Unis, et nos sociétés en générale, sont en train de s’enfermer ?

Bertrand Vergely : La victime étant le masque mis en avant pour faire passer sa violence, la culture victimaire n’est en aucun cas la raison des tueries qui se passent aux États-Unis et ailleurs.

Lorsqu’Hitler envahit la Pologne, il ne fait que se défendre. Lorsque Poutine envahit l’Ukraine, lui aussi ne fait que se défendre. Les dictateurs et les bourreaux ne cessent de dire qu’ils sont des victimes qui ne font que se défendre. Les tueurs dans les collèges sont à leur image. Quand il s’agit d’expliquer pourquoi ils sont allés dézinguer leurs profs et leurs copains, ils racontent tous qu’ils ont été humiliés, maltraités et victimes d’injustices.

Rien ne justifie et n’explique que l’on fasse une descente dans son collège afin de tuer. D’où l’ambiguïté consistant à accuser la victimisation. Quand on l’accuse d’être à l’origine du ressentiment qui tue, on a l’impression d’en  sortir. On continue celle-ci sous d’autres formes en se pensant comme ses  victimes.

La victimisation n’explique en  rien. les phénomènes de tuerie dans les écoles qui ont lieu plusieurs fois par an aux Etats-Unis depuis un certain nombre d’années. Ressentiment, soit, mais à propos de quoi ? Victimisation, soit, mais à la suite de quoi ? Sans préciser pourquoi et à la suite de quoi on se sent victime et on est en colère, il est impossible de comprendre ce qui est en train de se dérouler à travers les tueries. De ce point de vue, seule la justice est sage, celle-ci ne parlant de coupable et de victime qu’après un travail d’enquête.

Si on veut pouvoir comprendre celles-ci, il importe de ne pas oublier que ce phénomène est américain, qu’il concerne les jeunes, qu’il se passe dans des collèges et qu’il s’inscrit dans un phénomène de propagation mimétique. Il y a aux États-Unis une culture du cow-boy qui rentre dans le saloon en flanquant un grand coup de pied dans la porte. Cette culture de la toute-puissance est très présente chez les adolescents qui rêvent d’être quelqu’un dont on parle. En la démystifiant par une culture fondée sur le langage et la réflexion, l’École est l’ennemie à abattre. Quand un jeune va dans son collège tuer ses profs et ses copains, il tue parce qu’il se dit qu’ainsi il va pouvoir devenir le héros américain d’une libération de la toute-puissance.

Andy Warhol a défini la modernité comme ce régime où tout individu devient célèbre durant deux minutes. Quand un  jeune tue dans son collège, durant un soir, on ne parle que de lui. Il est célèbre. N’oublions pas par ailleurs que toute la culture américaine se reconnaît dans ce mot d’ordre « No limit ». Mettez bout à bout la toute-puissance, du cowboy, l’École transformée en ennemie de ce fantasme, la quête de célébrité et le rêve d’un monde sans limites, vous avez les ingrédients du  cocktail détonnant qui conduit aux carnages qui défrayent l’actualité.

Pourquoi et comment. avons-nous laissé prospérer la victimisation et le ressentiment qu’elle entraîne ?

Bertrand Vergely : La victimisation est le pur produit de la culture révolutionnaire héritée du 19ème siècle. Pendant longtemps, l’Europe a été chrétienne. Durant cette période religieuse, le dolorisme a triomphé. Le Christ avait souffert. On devait souffrir comme lui. On devait donc obéir et subir dans ce monde. Le pouvoir politique a largement utilisé ce dolorisme afin d’installer son autorité et ainsi afin de faire régner l’ordre. Au 19ème siècle, changement de perspective. La culture révolutionnaire reprend le dolorisme chrétien en l’inversant. La douleur n’est plus l’arme qu’utilise le pouvoir pour faire obéir. Elle est l’arme qu’utilise le rebelle, le révolté, le révolutionnaire pour ne plus subir et ne plus obéir. On a souffert ? On souffre ? Donc, on a droit à la violence. Alors que la bourgeoise crée à travers la richesse l’aristocratie de ceux qui ne souffrent pas, la révolution crée à travers le prolétaire l’aristocratie de ceux qui souffrent. Notre monde en porte les traces voire les stigmates. Aujourd’hui, celui qui souffre a tous les droits. Il se donne tous les droits. Il commet des attentas ? Il casse tout ? Il faut le comprendre. Il souffre. Dans l’imaginaire contemporain, il est le Christ dans un monde sans le Christ, la religion d’un monde sans religion, l’espérance d’un monde sans espérance.

La victime est devenue aujourd’hui un phénomène culturel qui a pris possession de nos discours. Il suffit d’écouter nos discussions. Quand on veut avoir raison, on endosse le statut de victime ou on prétend parler en leur nom. Avec le statut de victime, on est sûr de pouvoir tout faire passer en matière de revendication. Procédé ingénieux. Face à la souffrance, que voulez vous que l’on dise ? On ne va pas être pour. Résultat : les profiteurs de la souffrance ne se gênent pas pour prendre le pouvoir et le garder.

A quel point ce cercle vicieux (victimisation-ressentiment - passage à l’acte) menace-t-il nos sociétés ?

Bertrand Vergely : Ce phénomène ne menace pas la société. Il est créateur de société sous la forme d’une société perverse. La société est une chose noble quand elle rassemble des hommes et des femmes qui se relient entre eux à travers l’intelligence et le respect. On oublie toutefois qu’il existe une société perverse qui se rassemble autour de la haine et de la bêtise. Quand le dévoiement du statut de victime se produit, il ne menace pas tant la société que la société intelligente au profit de la société perverse. Heureusement, la société intelligente veille et régule les passions ainsi que les discours. Le discours victimaire étant bête et lassant, il finit assez vite par retomber. Les medias qui sont les premiers à lui faire une place afin d’avoir une audience facile sont les premiers aussi à le laisser choir afin de revenir à un minimum de pensée.

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