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Sondage exclusif : L’effet Macron ? L’enquête qui montre comment 55% des Français ont peur de la pauvreté
©ludovic MARIN / POOL / AFP

Evolution chez les citoyens

Un sondage exclusif Ifop pour Atlantico montre l'évolution chez les Français du regard sur la pauvreté et la responsabilité de l'Etat sur cette question. 55% des Français se sentent plus menacés qu"avant par la pauvreté.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico: Selon notre sondage 55% des Français se sentent plus menacés qu'avant de tomber dans la pauvreté, parmi eux 43% des cadres, mais seulement 28% des sympathisants LREM. Que nous apprend ce sondage sur le niveau d'angoisse dans la société, et sur cette exception des LREM ?

Christophe Boutin : Un taux de personnes craignant de tomber dans la pauvreté qui, très logiquement, est, de toutes les catégories socio-professionnelles interrogées, le plus faible chez les cadres : on monte à 62% chez les ouvriers, à 69% chez les employés et à 57% chez les professions intermédiaires. Un résultat logique en tenant compte du fait que, si les cadres craignent de perdre du pouvoir d’achat lors d’une crise, ce serait, ils l’espèrent, sans descendre au seuil de pauvreté.
L’autre chiffre important est donc que plus d’un Français sur deux se sent directement menacé, avec, vous le signalez, d’importants écarts entre les différentes catégories. Par tranche d’âge, ce sont sans surprise les retraités qui sont le moins inquiet (37%), mais si ce sont les 35-49 ans qui le sont le plus (63%), les moins de 35 ans sont eux aussi inquiets à 58%. En fait, ce sont donc les retraités, avec leur score particulièrement bas, qui amènent ce résultat de 55% pour l’ensemble des Français, alors que les Français qui travaillent seraient plus proches d’une moyenne de 60%. Une crainte également partagée d’ailleurs entre salariés des secteurs privé (60%) et public (58%), avec, bien sûr, un pic de crainte chez les chômeurs (82%).
Quant aux autres éléments, il faut noter que, seuls sont vraiment confiants, puisque 35% seulement se disent inquiets, les titulaires d’un 2e cycle (M2, bac plus 5) ou 3e cycle (doctorat, bac plus 8) du supérieur. Pour tous les autres niveaux d’éducation, y compris pour les titulaires d’un premier cycle du supérieur (Licence, bac plus 3), on dépasse les 50% d’inquiets. Dernier élément, il n’y a qu’en région parisienne qu’une minorité (44%) est inquiète, partout ailleurs il s’agit d’une majorité, mais si l’on affinait, on trouverait sans doute une minorité de craintifs dans les métropoles régionales.
La conclusion est claire : celui qui n’est pas inquiet, aujourd’hui en France, de tomber dans la pauvreté, est un diplômé des 2e ou 3e cycles du supérieur, cadre, habitant en région parisienne. C’est la confirmation de la thèse de Christophe Guilluy sur la « France périphérique » et la division de la France en deux, avec d’un côté ceux qui sont les bénéficiaires des récentes évolutions et de la mondialisation et de l’autre ceux qui en subissent les conséquences… et le stress.
Or, effectivement, on ne peut pas ne pas faire un parallèle avec un autre chiffre, celui de ces 28% seulement d’inquiets dans les rangs de LaREM, - le seul autre parti qui soit en dessous de la moyenne étant le MoDem avec 48%. C’est logique, le parti arrivant en tête dans les métropoles, et notamment Paris, et étant très présent chez les diplômés du supérieur, bref chez les « winners » de la mondialisation, parfaitement à l’aise dans le système actuel.
Sans surprise ensuite, plus l’on va vers les extrêmes, vers les anti-système, et plus la crainte s’accroît : on passe ainsi, à gauche, à 51% de crainte (PS), puis 58% (les Verts) pour arriver à 68% à la France Insoumise ; et à droite de 51% (LR) à 53% (DLF) puis 69% (RN). Les exclus de la mondialisation cherchent naturellement un appui dans des partis qui dénoncent le système en place, à droite comme à gauche.
Jérôme Fourquet : Un des premiers enseignements de ce sondage est que malgré l'accumulation d'un certain nombre d'indicateurs qui mesurent une amélioration de la situation économique et sociale de la France, il y a un vrai sentiment, une vraie peur du déclassement qui s'exprime chez plus de la moitié des Français qui craignent, un jour, de tomber dans la pauvreté. C'est une réalité subjective qui est intéressante et qui est à prendre en compte car les discours sur l'amélioration de la société française s'heurtent à cette angoisse sociale qui est très répandue. Elle est répandue chez la majorité de la population donc, mais il convient de faire des distinctions en fonction des classes sociales. On note une corrélation très nette entre le niveau de diplôme et l'inquiétude de tomber un jour dans la pauvreté. Ce sentiment est évidemment plus fort dans les catégories les moins diplômées qui sont celles qui, aujourd'hui, sont les plus soumises à pression dans un système où l'on délocalise beaucoup et où le travail peu ou pas qualifié est de plus en plus automatisé.
Pour revenir aux cadres, quand on regarde dans le détail, l'on voit que ces derniers sont moins inquiets que la moyenne des Français mais on peut quand même parler de tendance vue que plus de 40% d'entre eux se sentent plus fragiles qu'avant. Une piste explicative à cette tendance pourrait être les débats actuels sur l'âge du départ à la retraite. En prévoyant de faire reculer ce moment, l'on va susciter beaucoup d'inquiétudes, y compris chez les cadres.
En comparaison, les sympathisants de LREM sont le groupe sociologique le moins inquiet pour l'avenir. On sait que La République en Marche recrute principalement chez les cadres et il faut maintenant expliquer pourquoi le taux (28%) est encore plus bas que la moyenne des cadres. Une des pistes explicatives pourrait être qu'il y a encore un écart sociologique vis-à-vis des cadres et que les sympathisants LREM ne seraient que des "super cadres" mais cela ne tient pas debout car si c'était le cas le candidat Macron n'aurait pas fait 24% au premier tour de l'élection présidentielle.
On l'a vu lors de précédentes études sur l'électorat macronien notamment pendant l'élection de 2017, cette catégorie d'électeur se démarque par son optimisme envers l'avenir. Cela s'explique par des raisons objectives (niveau de diplôme, statut social…) et plus subjectives (psychologie). A l'époque ils étaient 71% à se dire confiants en l'avenir et c'est peut-être là que l'on trouve l'explication la plus tangible pour expliquer cette différence nette avec les cadres.
Depuis septembre 2016, la proportion de Français qui pensent que les aides sociales donnent aux pauvres la possibilité de se maintenir la tête hors de l'eau et de pouvoir rebondir a augmenté, passant de 48 à 55%. Faut-il y voir une réaction des Français par rapport à la politique menée par Emmanuel Macron ?
Christophe Boutin : Effectivement, avec une progression, qui vient en partie de l’apport des indécis du précédent sondage, cette catégorie perdant 4 points. Mais ce ne sont pas les électeurs de LaREM qui sont les moins nombreux à penser que les aides sociales soient une aide (54%), ce sont ceux de LR (41%) et du RN (39%). LaREM reste donc en la matière un parti centriste, et c’est toujours la droite qui se montre réticente à privilégier les aides sociales, quand la gauche les plébiscite : 80% à FI, 76% au PS. Il n’est pas certain que l’évolution constatée entre 2016 et 2017 soit uniquement due à la politique sociale d’Emmanuel Macron, dont on sait qu’une partie de la gauche la considère effectivement comme étant trop « de droite », mais il est possible que cela ait joué.
Pour affiner, il faudrait corréler les réponses faites à cette question à celles apportées par les sondés à une autre, la question de savoir si ce sont les individus qui sont responsables de leur bien être, et qu’ils doivent donc se prendre en charge, ou si c’est au gouvernement de le faire. Entre les mêmes dates de 2016 et 2018, l’évolution est ici très importante : 61% des Français pensent aujourd’hui que les individus doivent se prendre en charge, quand ils n’étaient que 48% en 2016. Et c’est ici LaREM qui a le score le plus important, 78% estimant que c’est aux individus d’agir, contre seulement 50% pour l’ensemble des partis de gauche, et 70% même pour les partis de droite.
On comprend alors que c’est bien l’ensemble de la première question qui doit être pris en compte pour expliquer les réponses données : certains sondés ont surtout entendu qu’on se proposait d’aider les pauvres pour qu’ils puissent « rebondir », et non pour les maintenir dans une posture d’assistanat, d’autres ont certainement privilégié la nécessité de leur « maintenir la tête hors de l’eau ».
Jérôme Fourquet : L'évolution la plus flagrante est ce que l'on constate sur la première question. On passe en un an de 48 à 61% de Français qui estiment que les individus sont responsables de leur propre bien être (ce qui est plus large que la pauvreté) et doivent eux-mêmes se prendre en charge. La notion de "se prendre en charge" renvoie à l'initiative et à la démarche individuelle. Aujourd'hui l'on voit qu'une large partie de la population française est en phase avec la grille de lecture, le logiciel macronien, très libéral de ce point de vue.
Maintenant cette évolution nette de l'opinion sur la question des aides sociales peut paraître paradoxale compte tenu de ce que l'on vient de dire mais elle s'explique par ce que l'on appelle communément dans les enquêtes d'opinion "l'effet thermostatique". Pour l'expliquer simplement et concrètement, lorsqu'une politique publique est mise en place, cela va induire automatiquement une montée des oppositions à son endroit. Par exemple lorsqu'un gouvernement de gauche est en place, il y a une aspiration de l'opinion à une politique qui soit plus à droite et vice et versa. En l'espèce on peut en déduire que la politique menée par Emmanuel Macron sur les aides sociales est assimilée par l'opinion comme étant une politique située à droite de l'échiquier politique, d'où cette augmentation depuis 2016 du fait que les Français considèrent que les aides sociales donnent aux pauvres la possibilité de se maintenir la tête hors de l'eau et permettent à ces mêmes individus de "rebondir". C'est là un jeu de balance qui traduit un rééquilibrage des aspirations libérales.

Quels sont les autres enseignements de ce sondage ?

Christophe Boutin : On a déjà noté plusieurs éléments importants que l’on peut tirer de ce sondage. On retrouve d’abord, sur cette thématique de la crainte de la pauvreté, la division théorisée par Christophe Guilluy entre la France des métropoles et la « France périphérique », et le fait que l’électorat LaREM soit largement composé de ceux qui profitent de la situation économico-sociale actuelle.
Plus intéressant encore est le fait que les Français pensent majoritairement que c’est aux individus de se prendre en charge, écartant la tutelle étatique, ce qui prouve que certains principes libéraux portent. Mais qu’il y ait en même temps prise de conscience d’une véritable détresse des pauvres et de l’utilité des aides sociales nous montre qu’il ne s’agit pas d’un ultra-libéralisme à l’individualisme absolu, mais que la question de la solidarité est aussi importante pour les Français, et que nous serions donc plutôt devant ce que l’on pourrait qualifier comme étant un libéral-conservatisme.
Reste la question : « À qui faites-vous le plus confiance pour sortir les gens de la pauvreté », aux réponses particulièrement instructives. Un quart des Français ne font en effet confiance à personne, et 6% seulement aux entreprises privées. Restait à choisir entre les associations, l’État, et « les pauvres eux-mêmes », et si l’État reste stable entre 2016 et 2018 (15% et 16%), les Français font maintenant plus confiance à une prise en charge par les pauvres eux-mêmes (26% en 2018 contre 20 % en 2016) et moins aux associations (26% en 2018, 31% en 2016).
Mais c’est en affinant ces réponses par tendances politiques que qu’apparaissent d’autres vérités. Les associations restent en effet privilégiées par la gauche (33% pour FI, 43% pour le PS), sont dans la moyenne pour LaREM et LR, mais n’ont la confiance que de 13% des électeurs du RN, et c’est aussi à RN que l’on fait le moins confiance à l’État (8%), quand, là encore, la gauche lui fait plus largement confiance que la moyenne. Et comme RN est dans la moyenne pour les choix portant sur la confiance dans « les pauvres eux-mêmes » ou dans « les entreprises privées », on aboutit pour ce parti à un score record de 46% de ses électeurs ne faisant confiance « ni aux uns ni aux autres », soit 20 points de plus que la moyenne nationale.
Cette défiance envers les associations et l’État pour lutter contre la pauvreté chez les électeurs RN s’explique sans doute par le sentiment qu’ont nombre d’entre eux que ces deux éléments favorisent l’aide à une pauvreté allogène, et l’impact de la crise migratoire joue très certainement ici un rôle majeur. Une partie de ces Français qui « craignent la pauvreté » (rappelons le chiffre, 69% des lecteurs RN ont cette crainte) n’ont aujourd’hui pas l’impression de faire partie des priorités des caritatifs, quels qu’ils soient, et plutôt, à tort ou à raison, celui d’être devenus des pauvres de moindre importance, de second rang. Un tel sentiment est grave, et il y a là une confiance à restaurer avant que les tensions ne s’exacerbent.
Jérôme Fourquet : Un des enseignements majeurs de l'étude est que l'on est aujourd'hui à des niveaux très élevés de responsabilisation individuelle par rapport à l'attente que l'on peut avoir vis-à-vis des pouvoirs publics. On peut l'interpréter comme une validation de la politique menée par Emmanuel Macron par l'opinion. Un autre enseignement intéressant est le décalage qu'il peut y avoir entre les familles politiques sur la question de la peur de tomber un jour dans la pauvreté entre les partisans des Républicains et ceux de LREM. Si les deux bords politiques sont tout à fait d'accord sur le fait que c'est d'abord à l'individu de se prendre en charge, ce qui est une confirmation d'un précédent sondage que l'on avait fait pendant l'élection présidentielle. Clairement sur la question du lien entre l'individu et la puissance publique, l'opinion penche vers des idées libérales.
Cette conception assez individualiste des rapports sociaux qui a été portée par Emmanuel Macron se retrouve soutenue dans l'opinion. Néanmoins cette dernière ne semble toutefois pas prête au "grand saut libéral" si l'on se réfère à la question 2 de l'étude où les Français déclarent qu'il est nécessaire que l'Etat joue un rôle de "filet protecteur" à travers les aides sociales. Peut-être sommes-nous arrivés à la croisée des chemins car ces attitudes contradictoires traduisent aussi un équilibre plutôt instable.

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