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Sondage exclusif : après l'Aquarius, toujours 54% des Français opposés à l'accueil de migrants en France
©JOSE JORDAN / AFP

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Les Français sont un peu plus favorable à l'accueil qu'il y a deux mois. Mais le casse-tête pour Macron reste entier, entre tentation de séduire la droite et soutien de son électorat à l'accueil des migrants.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : 46% des Français sont aujourd'hui favorables à ce que les migrants arrivant sur les côtes grecques et italiennes soient répartis entre différents pays d'Europe, soit 4 points de plus qu'en juin, et 7 points de plus qu'il y a un an. Quelle partie de l'électorat français a le plus contribué à cette évolution ?

Jérôme Fourquet : On constate effectivement un légère progression de la propension à l’accueil de migrants en France dans le cadre d'un plan européen de répartition de cet accueil entre les différents partenaires. Cette légère progression de l’adhésion par rapport au précédent épisode Aquarius peut s’expliquer justement, partiellement sans doute, de par la réitération de ce type de crises et de polémiques qui produit pour effet sur une partie de l’opinion que cette  dernière estime qu’il faut prendre le taureau par les cornes et qu’il est du devoir pour la France de participer à l'accueil. Et ce parce qu’on n’est pas face à quelque chose de ponctuel mais face à une problématique structurante. Et qu'en conséquence ils considèrent qu’il va falloir que la France ne reste pas à l’écart. Il faut dire aussi que la précédente affaire dite « Aquarius » date à quelques jours près de seulement deux mois. C’est un rythme très soutenu. Entre temps on a eu un certain nombre d'informations sur la hausse des arrivées sur les cotes espagnoles, sur la poursuite des noyades en Méditerranée centrale… Tout cela sensibilise quelque peu toute une frange de l’opinion publique française par rapport au mois de juin. 

Si on regarde, on va constater que les choses sont différentes selon qu’on regarde en termes de niveaux ou en termes d’évolution.

Tout d'abord si on regarde en termes de niveau, on est toujours sur un dossier qui est très fortement polarisé selon le vieux clivage gauche droite puisque qu’on a un électorat de gauche massivement favorable à l’accueil des migrants. Sur ce type de sujets, l'électorat d'En Marche se classe à gauche. Ce qui n’est pas sur le cas sur les sujets économiques et sociaux. Et on a en face un électorat des Républicains qui est massivement opposé à l’accueil, et un électorat frontiste qui est unanimement opposé à l’accueil. Si on a brouillage du clivage sur un certain nombre de thématiques, sur la question migratoire on retrouve parfaitement la distinction gauche droite avec, élément important, un centre de gravité des électeurs En Marche qui penche clairement du côté de la gauche. 2/3 des sympathisants Insoumis et En Marche sont pour l’accueil, ¾ des sympathisants PS, contre ¾ des Républicains qui y sont opposés et 92% des sympathisants RN qui s’y opposent. 

Cette opposition gauche-droite s'est encore davantage affirmée que lors de la précédente mesure, car c’est à gauche que l'adhésion à l'accueil à le plus progressé par rapport à la précédente arrivée de migrants. On voit bien que la réitération de ces affaires, les problèmes humanitaires que cela pose émeuvent ou sensibilisent une partie du public qui serait potentiellement favorable à l’accueil et qui finit donc d’être convaincu. On progresse de 4 points entre juin et août pour l’ensemble des Français, La progression est du double dans l'électorat insoumis, de 9 points dans l’électorat du PS et de 6 points dans l’électorat d’En Marche. C’est clairement à gauche que la progression s’est faite : on a +2% chez les LR et +4 au RN, sachant qu’on partait de très bas (96% d’opposés alors). Il y a un discours des humanitaires et des ONG qui a manifestement eu un écho. On a en tête aussi par exemple qu’une personnalité comme Jean-Claude Gayssot, qui n’est pas forcément une personnalité très connue mais qui est un ancien ministre des Transports aujourd’hui en charge du port de Sète s’est exprimé quand la polémique sur l’accueil à nouveau ou non de nouveaux migrants recueillis pas l’Aquarius. En tant que responsable du port de Sète, il s’était déclaré favorable à l’ouverture de ses installations pour l’accueil des migrants. On voit bien que du côté de la gauche, notamment la gauche la plus à gauche, les voix se sont faites entendre et qu’elles ont été manifestement entendues par des électeurs de gauche qui étaient plus frileux et réfractaires il y a deux mois et qui le sont moins aujourd’hui. 

En quoi cette question pose-t-elle un défi particulier au "en même temps" d'Emmanuel Macron ?

Cela pose une double difficulté pour Emmanuel Macron. D'une part une difficulté philosophique, rhétorique et de cohérence des propos dans le sens où Macron candidat était sur des positions très favorables à l'accueil et rendait hommage au courage et à l’humanité d’Angela Merkel qui avait ouvert très largement ses frontières aux migrants qui empruntaient alors la route des Balkans et l'Emmanuel Macron président qui est beaucoup plus sensible à la façon de voir de la place Beauvau, occupée par son bras droit Gérard Colomb, affichant une position de beaucoup plus grande fermeté vis-à-vis de l’accueil. Il s’agit pour lui d’articuler les deux positions. Lors de la première affaire Aquarius, Emmanuel Macron avaient eu un discours très dur vis-à-vis de Salvini qui faisait preuve pour lui d'absence d'humanisme alors même que la France refusait également d’accueillir le bateau mais acceptait de prendre en charge les occupants du bateau. Une tentative de concilier des contraires manifestement peu réussie au début donc. La difficulté pour Macron est d’arriver à être sur la ligne de crête, concilier les contraires tout en ayant une position relativement cohérente. 

La deuxième difficulté est beaucoup plus électorale, même si les deux sont liées : on le voit à la lueur de deux chiffres. Deux tiers de son électorat penche du côté de la gauche sur la question de l’accueil des migrants alors que l’électorat qu’il a en ligne de mire qui fait parti de l’électorat LR, et qu’il compte séduire dans la perspective des européennes puis des municipales pour élargir le cercle du macronisme est dans des proportions quasiment inversées, et donc opposé à l’accueil. Emmanuel Macron se pose la question sur la façon dont il peut satisfaire le canal historique tout en envoyant des signaux à l’électorat à conquérir qui se trouverait sur des positions radicalement opposées à celle de son électorat naturel.

Comment mesurer l'impact de la solution trouvée pour l'Aquarius -une arrivée à Malte et une répartition entre plusieurs pays- pourrait elle finalement ne convenir à personne ? Ni à ceux qui refusent l'arrivée de migrants, ni à ceux qui auraient souhaité voir l'Aquarius être directement accueilli en France ?

Vacances oblige peut-être, mais peut-être pas quand même : Emmanuel Macron s’est exprimé sur un certain nombre de sujets ces derniers jours, en dépit de son statut de vacancier présidentiel. Sur l'Aquarius "saison 2", on a eu silence radio du côté du fort de Brégançon alors qu'il avait jugé bon de monter au créneau sur le premier épisode avec un discours présidentiel qui était, nous l’avons dit, assez alambiqué. On a pas eu de prise de parole présidentielle mais on a juste entendu que la France comme lors de la première affaire n’ouvrait pas ses ports mais faisait parti là encore des pays qui s'étaient dévoués pour se répartir les occupants du navire. Il continue donc sur la même ligne tout en ne la claironnant pas. 

Est-ce le bon équilibre ? Ce n’est pas évident de se prononcer pour l’instant. Emmanuel Macron peut espérer pouvoir tenir l'argumentation que lui et ses proches avaient utilisé lors de la loi Asile et Immigration, affirmant que d'un côté à gauche on le traite de fasciste et à droite de laxiste, affirmant que c’était le signe qu’ils devaient sans doute se trouver au point d’équilibre acceptable pour concilier à la fois les valeurs humanistes qui les animent et les impératifs économiques et d’équilibre social qu’ils doivent surveiller compte tenu de la situation de la société française aujourd’hui. 

Concernant la question de l'Aquarius, on peut voir apparaître, fait inhabituel, une réelle rupture entre LREM (favorables à l'accueil à 59%) et le Modem (35%). Cet écart peut-il nuire à la cohésion de la majorité sur ces questions ? 

Ce qu’on voit si vous voulez, c’est qu’En Marche est proche du PS, un Modem qui se situe plus proche des Républicains et à mon avis un UDI qui se situerait certainement entre le Modem et LREM. On voit bien que la question migratoire continue de faire perdure le clivage gauche droite. La majorité présidentielle est un alliage fait de différentes sensibilités politiques, il est naturel qu’on retrouve ce clivage gauche-droite au sein même de la majorité présidentielle. Avec des électeurs du Modem qui sont plutôt de centre-droit et des électeurs de LREM qui étaient des anciens électeurs majoritairement du PS.  Sur ces questions-là, les anciens électeurs socialistes n’ont pas changé de point de vue ni de valeurs. Idem pour le Modem et les UDI voire les gens comme Philippe et les autres anciens LR qui sont sans doute plus d’accord avec l’électorat LR proche de Wauquiez mais moins que l’électorat LREM qu’il a rejoint. 

Jean-Pierre Raffarin dans un entretien récent donné au Monde s’est projeté sur quelle configuration et quelle stratégie la famille de droite libérale, humaniste et réformiste a laissé entendre que toutes les options étaient ouvertes. Bien évidemment, le camp présidentiel aura à cœur de convaincre cette famille de faire liste commune avec elle, même si Raffarin a indiqué que la définition d’une politique migratoire équilibrée serait une des clés de décision pour la droite qu’il représente. On voit bien qu’une politique trop favorable à l’accueil empêcherait le gouvernement de récupérer une partie conséquente de l’électorat de droite. En revanche, s’il mène une politique plus mesurée, la chance de captation grandira. Le sujet de la crise des migrants va continuer d’empoisonner le quotidien de l’effectif, notamment parce que l’Aquarius devrait repartir en mer et lui ou un autre navire posera le même type de problème. Le gouvernement va devoir trouver une solution pratique à cette situation, qui a dans le même temps une dimension éminemment européenne et éminemment politique au plan intérieur français et va peser sur les élections européennes à venir. 

L’enjeu d’une intégration, coopération et harmonisation au plan européen est importante pour En Marche, qui a besoin d’un bilan à présenter aux Français. Macron devrait chercher une réponse concertée tout en trouvant une réponse politique interne équilibrée pour ne pas s’aliéner ses soutiens historiques, qui sont pour l’accueil tout en tentant de convaincre la droite humaniste qui penche vers moins d’accueil avec une politique qu’elle jugerait crédible. 

Un autre enjeu majeur pour cette droite modérée sera aussi la position du gouvernement sur la réduction du déficit public. Là encore, la question va être complexe pour Emmanuel Macron. 

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