Sondage exclusif : 58% des Français pensent que dans 10 ans l’UE sera plus fragile et faible qu’aujourd’hui <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Sondage exclusif : 58% des Français pensent que dans 10 ans l’UE sera plus fragile et faible qu’aujourd’hui
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Pessimisme

Un sondage exclusif Ifop pour Atlantico montre aussi que les Français sont extrêmement divisés sur l’évolution de la situation politique italienne.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

Voir la bio »

Atlantico : La décision initiale du président de la République italienne de s'opposer à la formation du gouvernement proposé par les deux partis qui avaient remporté les élections (la Ligue et le Mouvement 5 étoiles) partage les Français, 34% estimant qu'il s'agit d'une bonne décision, 31% jugeant qu'il s'agit d'une mauvaise chose, tandis que 35% d'entre eux ne se prononcent pas. Comment interpréter cette perception des Français ?

Jérôme Fourquet : Il y a plusieurs éléments qui apparaissent à la lecture de ses résultats.

Arrêtons-nous un moment sur les 35% de Français qui ne se prononcent pas. C'est un fait qu'on observe assez peu sur des questions de sondages. Cela peut s'expliquer par le fait qu'il s'agisse d'une affaire politique italienne qui échappe peut-être à la connaissance d'un certain nombre de nos concitoyens qui n'ont pas suivi les tenants et aboutissants de cette histoire. Ils peuvent ne pas s'être jugés aptes à répondre et à se prononcer. On remarque d'ailleurs que plus le niveau de diplôme des interviewés est faible, plus le taux de personnes qui ne répondent pas est élevé.

Nous sommes face à une belle question de philosophie politique. On constate que cette question coupe le pays en deux. Il y a un dilemme moral ou philosophique entre deux légitimités et deux conceptions des choses. D'une part, le fait de donner le dernier mot à la souveraineté populaire exprimée à travers les urnes et donc de respecter cette volonté en n'interférant pas dans le choix des personnalités qui composent un gouvernement ; et de l'autre, l'attachement à la Constitution italienne qui permet au président de refuser la nomination de tel ou tel ministre. Ce sont les deux visions des choses qui se font face dans cette crise italienne. De la même façon qu'elle coupe notre pays en deux, elle plonge une partie de nos concitoyens dans la perplexité. Ils ne savent pas dans quel sens arbitrer.

À peu de chose près, nous sommes sur une opinion publique qui s'est coupée en deux.

34% estiment qu'il s'agit d'une bonne chose, 31% d'une mauvaise chose. Nous voyons bien que cette crise politique italienne a des répercussions et des incidences en France comme en Europe. Mais les interférences vont bien au-delà, dans la mesure où elles révèlent au grand jour un choc de vision entre ce que nous appelons un camp souverainiste - qui place la souveraineté populaire au-dessus de tout - et ceux qui disent que l'appartenance à l'Union européenne s'inscrit au-dessus de l'exercice démocratique.

Cliquez sur les tableaux pour les agrandir

Ces deux visions qui ne sont pas nouvelles. Nous avions constaté cela en France en 2005 après le référendum constitutionnel où, en dépit de la volonté populaire, Nicolas Sarkozy avait décidé de faire ratifier par le Parlement le traité constitutionnel européen. Certains criaient alors que la volonté populaire n'avait pas été respectée, d'autres répondaient que les circonstances avaient changé et que ce qui compte avant tout, c'est la poursuite de la construction européenne. Idem aujourd'hui sur le débat à propos du Brexit. On a bien ces deux visions au cœur du débat européen. La crise italienne les remet de nouveau en confrontation. Si un tel débat venait en France, le pays serait clairement coupé en deux.

Ceux qui soutiennent la décision du président italien se retrouvent dans les rangs de La République En Marche (66% d'avis positifs, contre 16% qui estiment que c'est une mauvaise chose). Encore une fois, la crise italienne révèle ces fractures et intervient un an avant les élections européennes.

On sait d'ores et déjà qu'Emmanuel Macron veut faire de ce rendez-vous politique un évènement de première grandeur et compte porter haut et fort le drapeau de la poursuite de la construction européenne. En ce sens, il est massivement soutenu par son électorat. Clairement, dans la bataille européenne qui s'engage, l'électorat LREM apparaît comme étant le plus pro-européen. On s'aperçoit aussi que les électeurs des deux autres grands partis, le PS et Les Républicains, sont majoritairement favorables à la décision du président italien de barrer la route aux populistes. 44% contre 25% au PS et 56% contre 26% chez LR.

Cela pose un certain nombre de questions sur la ligne de Laurent Wauquiez très eurocritique. Autre élément, on voit que si le sentiment pro-européen est moins fort en France, Emmanuel Macron pourra compter sur le soutien de son électorat, mais aussi sur celui d'une partie de l'électorat socialiste ou républicain.

Un quart de l'électorat est sur une position plus souverainiste. Ce n'est pas rien, mais cela reste minoritaire. Les postures hostiles à l'attitude du président italien deviennent majoritaires quand on s'éloigne du centre de l'échiquier politique. 44% contre 33% chez la France Insoumise, 54% contre 16% au Front national.

Pour le FN c'était attendu. On voit une nouvelle fois à cette occasion qu'entre l'électorat des Républicains et celui du FN, il y a un véritable gouffre sur cette question européenne. Aussi, l'électorat de Marine le Pen est en phase avec son leader.

Pour la France insoumise, l'électorat est majoritairement à classer dans le groupe souverainiste, même si les résultats sont tout de même plus partagés qu'au FN. Autant Marine le Pen peut se permettre de tirer à boulets rouges sur ce genre de pratique, autant Jean-Luc Mélenchon doit composer avec un électorat plus hétérogène sur ses questions européennes. Il est, et se doit d'être, plus prudent qu'elle.

Plus inquiétant, seuls 23% des Français ont une anticipation favorable de l'avenir de l'Union européenne sur une perspective de 10 ans, jugeant qu'elle sera plus solide et plus forte. Ne peut-on pas voir ici un paradoxe entre l'attachement que les Français peuvent porter au projet européen et leur pessimisme à son égard ? Quel est le risque d'un tel sentiment ? Quels sont les partis qui bénéficient le plus d'un rejet, ou d'un pessimisme européen ?

Ce n'est pas forcément paradoxal. L'attachement de l'opinion publique française à la construction européenne doit être nuancé. On est passé d'un attachement chaud à un attachement tiède pour ne pas dire froid au fil du temps. Toutes les enquêtes le montrent, aucune majorité ne va vers une sortie de l'euro. Nous ne sommes pas dans cet état d'esprit. Mais le sentiment qui prévaut, c'est celui d'un attachement résigné. Il n'y a pas de majorité pour le Frexit, mais nous sommes sur un attachement froid.

Ce que l'on voit aujourd'hui, c'est qu'une majorité de nos concitoyens ont conscience que l'Union européenne fait du surplace. L'engouement pour cette aventure s'en trouve considérablement rabaissé. Tout cela a été nourri par la crise italienne mais aussi par le Brexit, par la crise de la zone euro, la crise migratoire, où le chacun pour soi a régné en maitre.

Autre élément, ceux qui pensent que la situation sera plus fragile qu'aujourd'hui représentent 29% alors que ceux qui font le pari d'une amélioration ne sont que 6%.

Les conséquences de tout cela est que lorsqu'Emmanuel Macron vendra aux Français une relance du projet européen, on peut dire qu'il tapera dans le mille car sa volonté de relance correspond bien avec le diagnostic majoritaire qui est que "si rien n'est fait, ça va se dégrader". Mais il va quand même être décalé par rapport à l'état d'esprit général qui prévaut en France. Cela peut s'expliquer par le fait qu'Emmanuel Macron mise, à juste titre, sur une abstention massive aux Européennes. Il fera le pari de parler à la France minoritaire qui croit et s'intéresse à l'Europe. Et majoritairement comme je le disais, ce sont ses sympathisants.

Seuls les sympathisants de la République en Marche affichent leur optimisme soit 50% qui jugent que l'Union européenne sera plus forte et plus solide. Et seuls 46% des électeurs d'Emmanuel Macron partagent cet avis. Ne peut-on pas ici voir un danger, en considérant que la crédibilité prêtée au chef de l'Etat de "réorienter" l'Europe montre un niveau aussi faible ? Le cœur de l'électorat "européiste" n'est-il pas en plein doute ?  

Il serait difficile de ne pas se poser de question. Nous n'avons même pas évoqué la guerre commerciale qui se profile avec Donald Trump où l'on verra Angela Merkel négocier de son côté pour préserver ses intérêts…

Bien évidemment, l'édifice européen est mis à rude épreuve depuis un certain nombre d'années, à la fois sur le plan démocratique avec le choc populiste, sur le plan identitaire et migratoire, mais aussi sur le plan économique avec la crise de l'euro. Pour autant, on voit qu'il y a une frange encore conséquente de l'opinion publique qui a envie d'y croire. Ceux-là sont en phase avec le discours présidentiel. Ce que vous dites est vrai, ce sentiment est minoritaire et le doute s'installe quand même. Partant de ce constat, il y a une réflexion à avoir du côté de l'état-major macronien. Il faut mesurer le ton employé. Pas de doute que la campagne pour les élections européennes sera euro-positive. Mais il ne faut pas être trop décalé au risque de rater le sujet.

Cette attitude est déjà celle pour laquelle Emmanuel Macron a opté au moment de la présidentielle. Il a pris ce risque et ça a fonctionné.

Macron semble minoritaire sur le papier, mais comme il est seul sur ce couloir, il peut le faire. Ce sont ses convictions et celui de son électorat. Mais on voit bien à la lueur des chiffres de cette enquête qu'il y a un doute manifeste sur la poursuite de la construction européenne.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !