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Sommet Immigration : pourquoi l’Europe ne trouvera aucune solution "technique" viable aussi longtemps qu’elle refusera de se confronter au tabou de son identité
©DENIS CHARLET / AFP

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Un sommet sur l'immigration se tient ce dimanche à Bruxelles. Il vise à promouvoir des solutions techniques de gestion des flux de migrants, mais n'adressera pas les angoisses des différentes populations européennes concernant l'identité du continent.

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Atlantico : Alors qu'un sommet sur l'immigration ce tiendra ce dimanche 24 juin à Bruxelles, à l'initiative de la Commission européenne, en vue de préparer le prochain conseil européen, les pays du groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, République tchèque et Slovaquie) ont exclu de participer à une telle réunion. Dans quelle mesure un tel sommet peut-il être symptomatique d'une approche européenne trop tournée vers la recherche de solutions techniques et pas assez vers la nécessité de répondre aux angoisses des différentes populations, notamment à l'est, mais également dans les autres pays européens, concernant l'affirmation de l'identité européenne ? En quoi un tel discours peut-il être nécessaire pour répondre cette angoisse ?

Paul-François Paoli : Il faut d'abord noter que ce conseil européen ne mobilisera surement pas les foules et ce d'autant moins que celles ci sont hypnotisées par le grand spectacle de la Coupe du Monde. Mais venons en au fond du sujet. il est étonnant de constater à quel point la question des migrants est dissociée de l'essentiel: à savoir le sentiment que beaucoup d’Européens ont de ne plus vivre en Europe. Comment ne pas se rendre compte que l'angoisse, sans doute disproportionnée en France, que suscite la venue de migrants est liée au sentiment que les Etats ne maîtrisent plus la destinée des peuples qui leur incombent. Ce que l'on appelle le populisme est une réaction viscérale de populations qui ne se sentent plus représentées par les institutions qui prétendent parler en leur nom. Dans les années 75, souvenons nous de la tragédie des boat people durant laquelle des dizaines de milliers de Vietnamiens ont fuit leur pays sur des radeaux de fortune pour se réfugier en France. A l'époque le président Giscard leur avait ouvert les portes et il y avait eu un vrai mouvement de générosité. Les Français seraient ils devenus xénophobes en 40 ans? Surement pas. Ce qui s'est passé c'est que les équilibres culturels et anthropologiques de ce pays ont été bouleversés par une immigration qui professe une religion, l'islam, qui rend impraticable les mécanismes d'assimilation qui ont fonctionné avec les immigrés européens mais aussi vietnamiens ou cambodgiens. C'est l'échec de l'assimilation depuis les années 80, échec dont témoignent les phénomènes de délinquance massive et la radicalisation islamique,  qui explique cette angoisse concernant les migrants. Trop d'immigration tue la tolérance migratoire. 

 S'ajoute à cela la prévision catastrophique concernant l'immigration africaine. Si l'on en croit le journaliste Stephan Smith l'Europe doit s'attendre à ce que des dizaines de millions d'Africains veuillent émigrer chez nous. Dans ces conditions quel est le pays, qu'on nous le cite, qui ne serait pas inquiet? Il est honteux à ce sujet de devoir subir les leçons d’éthique et de grandeur morale des professionnels de l'indignation médiatique. Les pays d'Europe centrale expriment un refus qui est aussi celui de ceux que l'on appelle, à l'ouest, les populistes. L'Europe s'est construite, notamment depuis Maastricht, sur la limitation du droit des peuples à disposer d'eux même. La religion des droits de l'homme et de l'Etat de droit a mis sous le boisseau les droit des peuples et des Etats. Il faut aujourd'hui à mon sens renverser la donne et privilégier le droit des Etats, notamment à avoir des frontières, sur les droits de l'homme. Les peuples ont le droit de perdurer dans leur être. Certains peuples, notamment en Asie, je pense aux Japonais refusent l'immigration et nul ne leur en fait le procès. Il est cocasse de voir des éditorialistes soutenir la cause du peuple kurde à avoir un Etat et des frontières, en somme une identité, tout en considérant que cette exigence est de nature populiste quand il s'agit des Hongrois ou des Polonais. 

Arnaud Lachaize : Le sujet ne cesse de s'aggraver depuis 20 ans.  On se souvient du Conseil européen de Séville en juin 2002. Les chefs d'Etat et de gouvernement, se sont affrontés entre ceux qui voulaient  sanctionner les pays sources et ceux qui s'y opposaient. En 2011, le printemps arabe a entraîné une nouvelle vague migratoire sur l'Europe. La déstabilisation du Moyen-Orient a provoqué une gigantesque vague d'arrivées d'un million de personnes en Allemagne au cours de l'année 2015 qui s'est poursuivie en 2016. Les gouvernements européens sont totalement désemparés. Ils sont tiraillés entre le politiquement correct des élites qui veulent faire de l'Europe une terre d'accueil ouverte inconditionnellement à tous les flux migratoires de la planète et leurs opinions publiques angoissées par l'incapacité des Etats à maîtriser la frontière. Ce sont toujours le mêmes débats qui reviennent notemment la répartition impérative des populations migrantes par quotas.  Cette ingérence touchant au peuplement des nations a été partout ressentie comme inadmissible. Elle explique la décomposition de l'Europe, à commencer par le Brexit, aujourd'hui la réaction du groupe de Visegrad et l'Italie. L'aveuglement des classes dirigeantes allemande et française est inouï. Elles ne veulent pas voir la réalité. 

Comment apporter une réponse politique efficace, liée à une affirmation d'une identité européenne, qui pourrait concilier les différences entre pays mais également satisfaire des opinions publiques à l'ouest défavorables à l’accueil ?

Paul-François Paoli : Le populisme est l'expression souvent chaotique et désordonnée d'une aspiration identitaire et sécuritaire légitime. On sait bien que le mot d'identité est un gros mot pour certains. Mais les groupes humains ne sont pas comme les individus, ils ont leur loi propre. Comment voulez vous aller à la rencontre d'un Nigérian, si vous ne savez pas qui vous êtes en tant que Français?  Nous avons, en tant qu'Européens, des histoires nationales complexes et tragiques. Nous nous sommes déchirés les uns les autres, notamment entre Allemands et Français et nul ne souhaite le retour à un nationalisme belligérant et guerrier. Par contre les peuples ont le désir légitime de continuer à vivre dans un pays que se ressemble. L'identité est revendiquée en particulier sur le mode patrimonial comme l'a bien vu le politologue Dominique Reynié. Mais ce patrimoine ne suffit pas. Nous sommes héritiers d'un culture grecque et chrétienne qui nous est absolument singulière. Les mondes africains et chinois se sont construit hors de nos schémas de civilisation. L'Europe a inventé la notion d'idéal. Et elle a aussi crée une certaine conception de la liberté centrée sur l'individu.

Arnaud Lachaize : Parler d'une "identité européenne" n'est pas la bonne réponse. Les populations européennes se moquent des grandes déclarations pompeuses. Ce qu'attendent les Européens, dans leur immense majorité, c'est que les Etats accomplissent la mission qui est leur raison d'être! Qu'ils protègent les frontières et mettent fin au grand chaos. La question n'est d'ailleurs plus celle de l'immigration mais de la guerre qui est livrée à l'Europe par des mafias criminelles. Des groupes esclavagistes extrêmement puissants sont en train de déstabiliser à la fois l'Afrique et l'Europe en amassant de gigantesques fortunes. Face à cette réalité, les gouvernements européens se montrent d'un aveuglement, d'une impuissance et d'une lâcheté  qui a peu de précédents historiques. Plus ils se déchirent et s'insultent mutuellement, et plus ils refusent de prendre leurs responsabilités. Nous assistons à une véritable débâcle de l'autorité politique en Europe. Cette défaillance est en train de déchirer le continent européen, de raviver les nationalismes hostiles.

Comment anticiper les décisions de ce prochain conseil européen ? Les lignes de fracture entre les différents pays peuvent-elles réellement être réconciliées en l'état ? 

Paul-François Paoli :  Je ne crois pas que l'Europe puisse se fonder sur le mépris. Quand le président Macron évoque la "lèpre populiste" il ne commet pas seulement un écart de langage il commet une faute politique qui a été très violemment ressentie en Italie et qui, au passage, n'a fait que renforcer le camp dit populiste. La France n'est pas et n'est plus l'éducatrice des peuples, ce qui est au passage une bonne chose au vu des désastres engendrés par la colonisation française, qui était une idée de gauche, puis par la décolonisation. Une réconciliation n'aura lieu entre les peuples européens que lorsque leurs aspirations civilisationnelles communes seront prise en compte.

Arnaud Lachaize : Oui, elles pourraient l'être! Il faut en finir avec la logique totalitaire des quotas d'accueil! Plutôt que de se déchirer, les grands Etats européens n'ont qu'un devoir à remplir vis-à-vis de leurs citoyens: d'une part mettre en place une force d'intervention commune pour frapper militairement les passeurs esclavagistes qui ensanglantent la Méditerranée, déstabilisent l'Europe et leur imposer un blocus; d'autre part s'engager dans la voie d'un gigantesque plan de développement économique et social de l'Afrique  tout en facilitant la mobilité entre les continents dans des conditions régulière et en respectant le droit d'asile en faveur des véritables victimes de persécutions par l'examen sur place des dossiers individuels, avant l'arrivée en Europe. Aujourd'hui, l'explosion politique de l'Europe et le grand chaos qui en résulte sont le prix à payer de l'indécision et de la faiblesse  sur ce dossier, mais aussi de la médiocrité intellectuelle des dirigeants européens et de leur manque de vision historique.  L'histoire est un éternel recommencement.  

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