Sommet franco-allemand : qui de Paris ou Berlin tient le manche aujourd’hui en Europe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le chancelier Scholz et le président Macron, le lundi 9 octobre 2023, FABIAN BIMMER / POOL / AFP
Le chancelier Scholz et le président Macron, le lundi 9 octobre 2023, FABIAN BIMMER / POOL / AFP
©FABIAN BIMMER / POOL / AFP

Jeux de pouvoir

Le président Macron et le chancelier Scholz se sont rencontrés en Allemagne ce lundi 9 octobre 2023, à l'occasion d'un nouveau sommet franco-allemand. L'ambiance, dit-on, n'est pas au beau fixe. Ce qu'il faut retenir de l'évènement.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Pierre-Emmanuel Thomann

Pierre-Emmanuel Thomann

Pierre-Emmanuel Thomann est docteur en géopolitique.

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Atlantico : Emmanuel Macron et Olaf Scholz se sont rencontrés en Allemagne, à l’occasion d’un énième sommet franco-allemand organisé le lundi 9 octobre 2023. La presse décrit au mieux “une entente refroidie”, quand il n’est pas simplement question de l' absence d’accord sur la quasi totalité des sujets. Comment expliquer la distance qui sépare aujourd’hui les dirigeants Français et Allemand ? Quel est l’impact exact de cette mésentente sur l’Union européenne ?

Rodrigo Ballester : Le Chancelier et le Président se sont réunis dans le au sein d’un séminaire, pas d’un sommet, comme ils l’ont eux mêmes rappelés, dans un cadre informel, ce dont ils semblaient satisfaits sans trop savoir pourquoi. Entente refroidie, sûrement, désaccords majeurs également sans que cela ne suppose une rupture. Le tandem Macron-Scholz n’est pas le plus flamboyant et l’alchimie personnelle entre les deux n’est pas au rendez-vous même si cela a été parfois le cas dans le passé, notamment entre Chirac et Schroeder ou Pompidou et Brandt. Tous les couples franco-allemands n'avaient la superbe du tandem Kohl-Mitterrand ou même Merkel Macron et cela ne doit pas pour autant masquer plusieurs décennies de coopération bilatérale et de canaux administratifs qui continuent de fonctionner. 

Cependant, sans cette chimie au plus haut niveau, et sans un agenda commun sur des sujets cruciaux, cette machine se grippe et ne parvient plus à mener la barque européenne avec l’aisance d’antan. Mais attention, ne soyons pas myopes, ne mettons pas l’influence décroissante du tandem seulement sur le dos de cette mésentente, l’UE est devenue de plus en plus multipolaire, surtout avec la montée en puissance de la Pologne à l’aune de la guerre et dans une moindre mesure, un retour d’une Italie moins « suiveuse » et politiquement plus stable.  Donc, couple ou pas, ces mésententes sont également le symptôme d’une certaine décadence des deux puissances traditionnelles de l’UE. Le sont-elles encore, et pour combien de temps ? La question mérite d’être posée.  

Pierre-Emmanuel Thomann : La relation franco-allemande aujourd’hui n’est pas bonne. Paris et Berlin ont des visions du projet européen totalement différentes. Depuis les accords sur le charbon et l’acier dans les années 50, la réconciliation française entre De Gaulle et Konrad Adenauer ; les visions européennes et mondiales des deux pays ont toujours été différentes. Ils camouflent leurs désaccords.

L’idéologie du couple franco-allemand, qui est une représentation géopolitique, permet de mettre en avant un certain équilibre entre les deux nations. C’est aussi une relation de pouvoir vis-à-vis des autres membres de l’Union Européenne. Grâce à ce couple, les français et les allemands se mettent au sommet du pouvoir. Mais derrière cette belle image, il y a une rivalité permanente. Le projet européen est issu de cette rivalité. Aujourd’hui elle devient de plus en plus explicite. C’est une tendance qui s’aggrave depuis la réunification allemande et l’élargissement de l’Union Européenne vers l’Est.

Dans la communication politique, les dirigeants essayent de mettre en avant une proximité personnelle. Les français parlent de couple mais les Etats n’ont pas d’amis. Il y a toujours des intérêts. Les allemands parlent de coopération beaucoup plus fonctionnelle. Les allemands considèrent que la France est un partenaire parmi d’autres. 

Quels sont les principaux points de grief entre l’Allemagne et la France ? 

Rodrigo Ballester : La politique énergétique, en particulier la réforme du marché de l’électricité où deux visions et deux traditions totalement différents s’affrontent : un attachement pour les énergies renouvelables et un concept des politiques vertes plus dogmatiques du côté allemand, une vision plus pragmatique (notamment dans la détermination du prix de l’électricité) et un retour en vogue de l’énergie nucléaire du côté français. De ce conflit découlent également des frictions autour de la politique industrielle, notamment autour du soutient au prix de l’électricité, Berlin souhaitant un contrôle plus strict alors que pour Paris, il en va de la compétitivité de l’industrie française. 

Pierre-Emmanuel Thomann : Les allemands et les français ne sont d’accord quasimment sur rien. Il y a un seul domaine où ils sont pour l’instant en phase, c’est de préserver le marché unique européen et l’euro.

Sur le projet de défense européen, les français aimeraient une autonomie stratégique, cela veut dire être indépendant. Pour les allemands, même s’ils peuvent s’accorder sur le mot « autonomie stratégique pour l’Europe » ; c’est uniquement une marge de manœuvre accrue mais au sein du partenariat Europe-atlantique avec l’OTAN et la relation avec les Etats-Unis qui est primordiale. Les français ont l’arme nucléaire. Les allemands ne l’ont pas et ils dépendent du parapluie nucléaire américain. Les priorités géopolitiques sont aussi différentes. Les allemands ont toujours privilégié le flan oriental de l’Union Européenne, c’est-à-dire les Balkans. Tandis que les français privilégient d’abord le sud, la méditerranée et l’Afrique.

Avec la guerre en Ukraine, les français se sont positionnés fortement en soutien à Kiev contre la Russie. Avec un peu d’opportunisme. Le complexe militaro-industriel se positionne pour essayer de montrer qu’il y a nécessité d’un projet de défense européen où la France serait leader ce qui permettrait de contre-balancer l’Allemagne qui est la puissance centrale dans l’Union Européenne, surtout sur les questions politico-économiques

Peut-on encore espérer réchauffer les relations entre ces deux piliers de l’Europe de l’Ouest, selon vous ?

Pierre-Emmanuel Thomann : Pour un approfondissement de la relation franco-allemande de façon fondamentale (systémique), il faudrait que la France et l’Allemagne s’accordent sur une finalité européenne et mondiale. C’est impossible dans la configuration actuelle. 

Les français ont toujours cette idée d’avoir une Europe autonome au niveau stratégique et une Europe de la défense qui soit moins dépendante des Etats-Unis. Les français ont l’arme nucléaire tandis que les allemands dépendent du parapluie nucléaire américain. Berlin privilégie toujours l’OTAN et la relation avec les Etats-Unis. Encore plus aujourd’hui avec la rivalité contre la Russie. 

Quel aura été l'événement (ou la leçon ?) marquant de ce sommet ? Que peut-on en retirer, sur les plans politique et européen ?

Rodrigo Ballester : Franchement, pas grand-chose, pour ne pas dire rien. Ce séminaire, c’est un non-évènement, une réunion presque de courtoisie, pour la galerie, dont la grande nouveauté est qu’elle est « informelle », sans déclaration écrite et, selon le communiqué de presse, sur « des questions structurelles, c’est-à-dire non directement liées à l’actualité, telles que la transformation industrielle, le renforcement de la souveraineté technologique de l’Europe ou encore la réduction de la bureaucratie ». Bref, sur des sujets tellement vagues qu’ils en disent long sur la vacuité de l’agenda réel. Quand deux pays n’ont pas grand-chose à se dire et ont peu de progrès concrets à partager, cela donne un « séminaire informel » aux contours flous dont l’insignifiance en dit plus que les généralités et les timides mises en scène.   Donc, la leçon principale est d’une banalité affligeante : le couple franco-allemand ne traverse pas son meilleur moment, merci de nous l’avoir confirmé à travers ce séminaire informel…et probablement inutile.   

D’aucuns disent de l’Europe qu’elle se fait de plus en plus française. Dans quelle mesure cela résulte-t-il de l’affaiblissement du chancelier Olaf Scholz ? Est-ce à dire, par ailleurs, que la France profite davantage du partenariat que ne le fait l’Allemagne… ou l’équation est-elle plus complexe qu’il n’y paraît, en vérité ?

Rodrigo Ballester : C’est plus complexe. l’Europe est désormais plus multipolaire et donc, moins franco-allemande. Est-elle moins allemande ? Sûrement. Plus française ? J’en doute. 

Certes, les deux pays gardent une forte influence à Bruxelles, notamment l’Allemagne au sein d’une Commission totalement pétrie d’influence allemande (comme je le rappelais récemment, tous les chefs de cabinet des Présidents de la Commission depuis 2009 ont été allemands à une année près !). Mais à un niveau plus géopolitique, les deux poids lourds sont en perte de vitesse et, en affichant leurs désaccords, ont perdu une partie significative de leur leadership. 

Surtout, ne l’oublions pas, les deux pays sont affaiblis sur le plan intérieur. En Allemagne, une coalition au plus bas dans les sondages, dysfonctionnelle et considérée par certains comme « amateur ». Des revers électoraux à répétition au niveau régional, dont les derniers camouflets cinglants en Bavière et Hesse, une montée en flèche de l’AfD qui tétanise le gouvernement, une perte de vitesse de l’industrie allemande,  un programme de gouvernement des plus dogmatiques, et une colère liée à la politique migratoire. En outre, des relations exécrables avec son voisin polonais.  En France, situation comparable : un gouvernement en minorité, une situation sociale à fleur de peau après la réforme des retraites et les émeutes, malaise migratoire et un Rassemblement National qui cararacole dans les sondages. 

Comment ce couple pourrait-il faire carburer l’UE avec de tels problèmes domestiques ? Son affaiblissement ne provient pas simplement de leurs mésententes et du manque d’alchimie, il est également la conséquence directe de leur délitement interne. 

Pierre-Emmanuel Thomann : C’est de la communication. Paris essaye de montrer qu’il prend le leadership en prenant une position en pointe sur l’Ukraine et en essayant de promouvoir un projet de coopération sur les questions de défense.

En réalité, l’Allemagne reste la puissance centrale de l’Union Européenne. Elle est située géographiquement au centre de l’Union Européenne depuis l’élargissement. C’est elle qui participe le plus au budget européen. C’est aussi l’Allemagne qui a un retour financier plus important par ses entreprises en Europe centrale et orientale. Même si l’Allemagne a des difficultés avec la montée du protectionnisme et la crise économique mondiale ; elle est plus forte économiquement et elle a une base industrielle plus forte. Sans compter que Berlin a toujours des relations privilégiées avec les Etats-Unis. Donc dans les décisions au niveau européen, c’est l’Allemagne qui mène la danse. Pas la France.

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