Sneaker culture : ou l’accession de la basket au statut d’icône culturelle globale <!-- --> | Atlantico.fr
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Les baskets Air Jordan XIIIs de la finale NBA 1998 de Michael Jordan sont exposées à New York le 6 avril 2023 chez Sotheby's.
Les baskets Air Jordan XIIIs de la finale NBA 1998 de Michael Jordan sont exposées à New York le 6 avril 2023 chez Sotheby's.
©TIMOTHY A. CLARY / AFP

Succès planétaire

Une paire de baskets portée par Michael Jordan durant sa dernière finale de championnat en 1998 avec les Chicago Bulls a été vendue pour la somme record de 2,2 millions de dollars, ce mardi 11 avril, selon la société d'enchères Sotheby's.

Pierre Demoux

Pierre Demoux

Pierre Demoux est journaliste aux Échos et l'auteur de L'Odyssée de la basket - Comment les sneakers ont marché sur le monde (La Tengo, 2019).

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Atlantico : Dans votre ouvrage « L’odyssée de la basket », vous vous êtes interrogé sur le succès planétaire des sneakers. Mardi 11 avril, des baskets portées par Michael Jordan ont été vendues pour un montant record de 2,2 millions de dollars. Comment expliquer un tel engouement ? 

Pierre Demoux : Les baskets ont parcouru un long chemin depuis leur apparition il y a un siècle et demi. Elles sont passées des terrains de sport à la rue, à la mode, aux ventes aux enchères et enfin aux musées. Ce sont désormais des objets de pop-culture et certaines sont mêmes devenues des objets d’art contemporain. Certaines pièces, comme celles portées par Michael Jordan voient leur prix exploser, au même titre que des voitures de collection. Le marché des sneakers couvre une fourchette très large, qui démarre à quelques dizaines d’euros pour atteindre parfois plusieurs millions. Cette vente illustre aussi la très forte spéculation actuelle autour des baskets, et pas seulement sur les paires historiques comme celles portées par Michael Jordan, mais aussi sur les modèles grand public vendus en éditions limitées, que des acheteurs s’empressent de revendre sur des sites spécialisés. 

Vous écrivez que ces chaussures illustrent une certaine globalisation culturelle. Qu’entendez-vous par là ?

Les mêmes modèles, les mêmes marques, les mêmes égéries se vendent de la même manière tout autour de la planète. En plus d’avoir supprimé les barrières géographiques, les baskets ont également effacé des barrières sociales. Pendant des siècles, les chaussures étaient un moyen de distinction sociale, mais ce n’est plus le cas avec les baskets. Il n’est pas évident, d’un coup d'œil, d’estimer la classe sociale du propriétaire d’une paire de baskets. Les CSP+ portent des baskets, les dirigeants politiques comme Emmanuel Macron, les classes populaires... Enfin, cet effacement des frontières sociales se remarque aussi dans le fait qu’on porte désormais des baskets au aussi bien pour travailler, se détendre, aller à un mariage… 

Comment les sneakers sont-elles passées de simples chaussures à une véritable icône culturelle, au point d’avoir même des expositions dédiées au Design Museum de Londres en 2021 ou au Musée de l’Homme à Paris en 2022 ?

Il y a eu d’autres expositions à Lausanne, à New-York, à Bordeaux… Cette évolution me semble assez logique puisque depuis quelques temps, tous les créateurs se sont emparés des sneakers comme d’un objet qui permet de créer de nouvelles lignes, de nouvelles silhouettes, de nouvelles identités… Il y a toujours eu des échanges entre la mode, le design et les arts. À la fin des années 1980, le célèbre designer Tinker Hatfield révolutionnait les chaussures de sport avec la Air Max One, en s’inspirant du Musée Pompidou à Paris. Il s’agit d’un modèle phare, qui est entré dans l’histoire et que tout le monde peut reconnaître d’un simple coup d'œil grâce la bulle d’air visible sur la semelle. De célèbres créateurs comme Jean-Paul Gaultier et Karl Lagerfeld ont été parmi les premiers à inviter des baskets sur les podiums de haute couture, ce qui est devenu une étape obligatoire pour toutes les grandes maisons aujourd’hui. Mais les baskets sont aussi une icône du sport, de la musique, de la culture urbaine … En somme, les baskets reflètent les grandes évolutions de notre société, leur place dans un musée est tout à fait logique. 

Quelles sont les réalités du marché des sneakers en France et dans le monde ?

Globalement, on peut estimer que le marché pèse environ 100 milliards de dollars dans le monde. La tendance est à la hausse et une chaussure neuve sur deux vendue en France est une paire de basket. Homme, femme, enfant, seniors, tout le monde achète des sneakers. Le marché se porte donc très bien, contrairement à d’autres types de chaussures. Ainsi, chez les femmes, les ventes de chaussures à talons baissent en même temps que les ventes de baskets augmentent. La France est un des plus gros marchés d’Europe, mais loin derrière les États-Unis et la Chine.  

Ce qui est intéressant, c’est que les baskets sont un symbole de la mondialisation. Leur histoire commence avec la révolution industrielle et la maîtrise du caoutchouc dans la deuxième moitié du XIXe siècle (les matières plastiques viendront plus tard), puis leur fabrication passe de l’artisanat aux usines, avec des productions à grande échelle qui permettent de baisser de plus en plus les prix. Dans les années 1970, on a vu les marques délocaliser leur production dans des pays à bas coûts, fermer leurs usines en Europe et aux Etats-Unis pour confier cette tâche à des sous-traitants en Asie. Aujourd’hui, ces usines quittent la Chine, où les salaires augmentent, pour aller dans d’autres pays où les coûts sont moins élevés, le Vietnam, le Cambodge, l’Indonésie… De la conception à la vente en boutiques, en passant par les matières premières, la production, le transport maritime, ce sont des chaînes de fabrication mondialisées, et d’ailleurs les marques ont été touchées par toutes les perturbations provoquées par la crise du Covid. On constate aussi, comme dans d’autres secteurs, un début de mouvement de relocalisation, même s’il pèse encore peu dans le grand marché planétaire.

Pierre Demoux a publié « L'Odyssée de la basket - Comment les sneakers ont marché sur le monde », aux éditions La Tengo.

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