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Sincérité des élections municipales : que peut faire le Conseil constitutionnel ?
©FREDERICK FLORIN / AFP

Conséquences politiques

Didier Maus évoque le rôle du Conseil constitutionnel sur la question, sensible et cruciale en ces temps de pandémie de Covid-19, des résultats des élections municipales.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Il y a presque trois mois que le Conseil constitutionnel aurait dû être appelé à se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions de la loi du 23 mars 2020 d’urgence sanitaire relatives aux élections municipales. À l’époque, malgré quelques incitations en ce sens, personne n’a voulu prendre le risque de saisir le juge constitutionnel. Et pourtant ! La question de fond était déjà présente ; elle l’est toujours. Elle est simple à formuler : les conditions qui ont entouré le scrutin du premier tour des élections municipales, le 15 mars, sont-elle de nature à remettre en cause la sincérité des résultats proclamés ce jour-là, qu’il s’agisse de l’élection d’équipes au complet dans 30 000 communes ou de la nécessité de procéder à un second tour dans les 5 000 autres villes et villages ? En deux mots, le climat de montée en puissance de la pandémie dans la semaine précédente avec son cortège d’images à la télévision, les déclarations alarmistes du Président de la République, le 12 mars, et du Premier ministre, le 14 mars (douze heures avant l’ouverture du scrutin), ont-ils découragé environ 20% de l’électorat de se rendre dans les bureaux de vote, alors que les élections municipales sont traditionnellement des élections très populaires ? Pour la première fois dans une consultation de ce type (à la différence, par exemple des élections européennes), moins d’un électeur sur deux a participé au scrutin. On se souvent que Mme Buzyn, ancienne ministre de la Santé, a utilisé à ce propos le terme de « mascarade » et encore il y a quelques jours Luc Ferry a estimé que ce scrutin du 15 mars était « biaisé à la racine » (Le Figaro, 11 juin 2020). Dans son entretien au Figaro du 18 avril le président Laurent Fabius avait d’ailleurs estimé qu’il serait logique que le Conseil constitutionnel soit saisi d’une manière ou d’une autre et avait rappelé qu’il  existe un principe constitutionnel de sincérité des élections.

Grâce à une question prioritaire de constitutionnalité déposée par des électeurs du village de La Brigue (Alpes-Maritimes) et à son renvoi au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État la question est clairement posée : les dispositions législatives qui valident les résultats du 15 mars sont-elle contraires au principe constitutionnel de sincérité des élections tel qu’il découle de l’article 3 de la Constitution, lui-même interprété dans ce sens par le Conseil constitutionnel dans une décision du 20 décembre 2018 à propos de la loi relative à la manipulation de l’information. L’enjeu est sérieux : si les résultats du 15 mars sont jugés non sincères, il faut tout recommencer. S’ils sont jugés sincères, il pèsera toujours sur eux le soupçon de l’insincérité, même si celui-ci s’atténuera au fil des mois et des années.

Le Parlement avait senti le risque qui avait entouré le 15 mars. C’est la commission mixte paritaire (sept députés, sept sénateurs) qui a introduit dans la loi définitive une référence à l’article 3  de la Constitution, espérant par là garantir la pérennité des résultats. Par définition, le Conseil constitutionnel doit apprécier la conformité de la loi à la Constitution à la date de son adoption, le 22 mars, et non en fonction du contexte d’aujourd’hui, au moment où l’état d’urgence sanitaire va prendre fin. Sans faire preuve d’un excès d’imagination, trois solutions sont envisageables.

Il peut être jugé que malgré un environnement et des circonstances défavorables, les électeurs ont pu se rendre librement dans les bureaux de vote et que, par conséquent, la montée en puissance de l’abstentionnisme ne remet pas en cause la sincérité des résultats. Cette position, conforme à la jurisprudence locale traditionnelle, ne prend pas en compte le caractère national très exceptionnel et imprévisible de l’épidémie de Covid 19. 

Une deuxième possibilité, à l’inverse, consiste à insister sur les aspects anxiogènes qui ont entouré le 15 mars et à considérer que, notamment, les mesures annoncées par MM. Macron et Philippe ont détourné un nombre important d’électeurs, quel que soit leur âge, d’aller vers les urnes. Dans ce cas, la sincérité des résultats, c’est-à-dire la capacité d’exprimer librement son choix, est atteinte et il convient de juger que la loi est contraire à la Constitution, ce qui implique l’annulation de tous les résultats du 15 mars. Il devient alors indispensable, dans un délai de quelques semaines (au maximum de quelques mois), d’organiser de nouvelles élections municipales. Cela ne soulève aucune impossibilité constitutionnelle.

Les conséquences, politiquement graves, de cette hypothétique solution, conduisent à imaginer une alternative. Tout en décidant que les résultats du 15 mars sont contraires à l’exigence constitutionnelle de sincérité, il pourrait être fait appel à un autre principe constitutionnel, celui de la continuité des pouvoirs publics. Dans ce cas, le juge constitutionnel, en France comme ailleurs, met en balance les avantages et les inconvénients du respect ou de la méconnaissance de chacun des principes, les circonstances de l’espèce et tente de faire prévaloir et le bon sens. C’est la très fameuse théorie du curseur, sous sa forme juridique de la proportionnalité : quel est l’équilibre raisonnable entre des solutions contradictoires ?

Les parlementaires, au fond d’eux-mêmes, savaient, les 18 et 20 mars, qu’il aurait été préférable de reporter le premier tour des élections municipales. Cela n’a pas été fait. On peut le regretter. Faut-il alors privilégier l’enfer ou les bonnes intentions ? La Constitution fournit des clés. Elle n’ouvre pas automatiquement les serrures.

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