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Silicon Valley ou pas (et quasi plein-emploi ou non), les Etats-Unis sont confrontés à une chute historique de leur productivité et ça ne pourra pas être indolore
©Reuters

Ca va faire mal

Nombreux sont les commentateurs à affirmer que les Etats-Unis connaissent une période de relance économique, avec des chiffres du chômage tendant pratiquement vers le plein-emploi. Or, ce discours trahit une réalité qui est toute autre : la baisse de la productivité américaine.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Il y a un problème avec la productivité américaine : on entend partout des discours sur le tourbillon des innovations technologiques, mais on n’en voit nulle trace dans les statistiques, bien au contraire. Des gains inférieurs à 1%/an depuis 2010 : ce n’est pas glorieux. Pour qui se souvient de la fin des années 1990, c’est même minable, et assez inquiétant au regard d’un certain nombre d’évolutions salariales, démographiques et fiscales.

Et comme je le disais dans ces colonnes il y a quelques jours, ce n’est pas parti pour s’améliorer, du moins si l’on en croit un indicateur un peu controversé, le prix des équipements high tech: avant le très beau parcours de la productivité du travail de la fin des années 1990, il y avait eu au préalable une forte baisse des prix dans ce secteur au cœur de l’innovation. Or, la comptabilité officielle (mais il est vrai qu’elle sous-estime probablement les baisses de prix dans ce secteur) ne pointe pas dans cette direction depuis quelques années :

Pour une vue plus optimiste, il y a toujours Torsen Slock, de Deutsche Bank, avec le joli graphique ci-dessous qui pointe vers un surgissement imminent des gains de productivité américains suite au redressement des investissements en recherche-développement. La R&D est perçue comme un signe avant-coureur de l’innovation, un indicateur avancé de l’efficacité des travailleurs. Pourquoi pas, mais je notais déjà il y a quelque mois un certain retard à l’allumage dans cette corrélation ; et puis Torsen s’est tellement trompé ces dernières années, sur les taux d’intérêt notamment…

En attendant d’y voir plus clair, les basses eaux de la productivité US conduisent déjà à quelques messages désagréables, et à quelques révisions déchirantes :

a/ cette crise a certainement eu des conséquences (longtemps sous-estimées) sur la croissance future, avec des effets d’hystérèse un peu partout, et des changements dans les comportements de base des acteurs économiques. Le tout sur un trend déjà ancien de bureaucratisation croissante des économies ;

b/ la Sillicon Valley est une réussite fabuleuse en termes de création de valeur (l’ensemble des banques de la zone euro, pourtant perfusées par les uns et endettées vis-à-vis des autres, valent moins en bourse que Google, une boite crée par deux types il y a 15 ans…), mais cela n’a que très peu d’effets d’entrainement sur l’emploi américain, et sur la productivité globale : le discours baba-techno est très stimulant, mais il ne stimule pas la macroéconomie qui reste une affaire sérieuse, structurelle et monétaire (et on peut donc valoriser toutes les " french tech " possibles, cela ne changera pas les principaux chiffres de l’économie française) ;

c/ les chiffres de l’emploi depuis quelques années doivent être retraités vers le bas aux Etats-Unis (et ailleurs…) car il faut tenir compte de ces faibles gains de productivité. Ci-dessous, BCA propose une estimation contre-factuelle de ce qu’auraient été les créations d’emplois si la tendance ancienne (1990-2010) des gains de productivité avait été maintenue. On aboutit à des NFP (créations nettes d’emplois dans le secteur privé américain) de 80K/mois, et non de 200K/mois comme depuis deux ans et demi ; et surtout, le chômage serait resté scotché à 10% au lieu de fondre à 5%. Ce qui implique, peut-être, qu’il y a une part de non-emploi qui se dissimile aux Etats-UNis , non seulement dans l’inactivité, mais aussi à l’intérieur de l’emploi… et ce qui devrait inciter la FED à la plus extrême prudence dans son rythme des hausses de taux !!

Bien entendu, ce type de calcul est assez " tentant", d’autant qu’on ne sait jamais bien mesurer la productivité du travail avec précision (produit par heure travaillée ? par personne employée ? prise en compte de la productivité du capital ? de la productivité du secteur public ? etc.). Mais il y a tout de même de quoi se poser des questions, sur l’ampleur du sous-emploi, sur la valorisation des entreprises, et sur la pérennité de toutes ces choses au cas où la FED resserrerait fortement sa politique.

Pour terminer, tout ce qui précède ne doit pas nous conduire à une vision trop noire de l’Amérique ballotée entre une productivité famélique et un sous-emploi persistant, et à la recherche d’un arbitrage (s’il existe) entre ces deux pôles : car la plupart des autres pays font bien pire !! +1%/an, ce serait, depuis la crise, un chiffre considéré comme très bon partout ailleurs :  

NB : le chiffre de la France ne semble pas si calamiteux, mais au-delà de ce graphique, nous sommes plombés par nos services publics qui, pour la plupart, évoluent en productivité décroissante tous les ans.

NB 2 : le chiffre germanique est minable, et depuis longtemps. Je le dis ici depuis des années : que l’on cesse de nous raconter des histoires sur le modèle allemand et sur le miracle des reformes (qui certes ont fluidifié le marché du travail, mais à qui on prête trop de vertus), et que cesse ce discours de Tartuffe où l’on demande aux autres pays des efforts de " compétitivité " sur les coûts unitaires du travail au moment même où on relâche totalement les efforts outre-Rhin.

En conclusion, disons que nous devrions marcher sur nos deux jambes : ne jamais considérer seuls les chiffres de l’emploi sans faire mention des chiffres de productivité. La leçon de l’URSS, où le plein-emploi était assuré, n’a pas été retenue. Si l’on procédait de cette façon, depuis 2008, on s’apercevrait mieux que la macroéconomie confite dans la déflation est vraiment malade (même aux Etats-Unis), et que les anticipations d’inflation, comme les gains boursiers, sont très aléatoires dès que le quantitative easing n’est pas en marche.

Pensons maintenant aux solutions. Primo, préventivement, évitons un 2e cycle du type 2008-2015 ; donc une nouvelle cible et un nouveau management pour la Banque centrale : on a encore vu jeudi dernier lors du discours de Mario Draghi ce que pouvaient donner la collusion d’intérêts avec les banquiers, l’indépendantisme extrême et le mépris de la transparence (injonctions contradictoires, pluralité d’instruments en chasse d’une pluralité d’objectifs, etc.). Deusio, pensons à un quantitative easing directement adressé vers le peuple, soit monnaie hélicoptère (Friedman) soit remise des dettes (Thoris). Plusieurs pistes sont à l’étude et certaines se concrétisent (Japon). Réduits à jouer les Sisyphe pour des dettes passées (qui n’avaient pas été contrôlées par la BCE et qui ont été magnifiées par la déflation de la BCE), les citoyens-consommateurs-contribuables de la zone euro ne sont pas très incités à donner le meilleur d’eux-mêmes : les gains de leurs efforts sont déjà préemptés ; et ils n’ont pas de perspectives claires devant eux, avec une forward guidance monétaire qui se compte en semaines. Si on effaçait une partie de l’ardoise (par cantonnement des dettes les plus improductives et les plus odieuses dans le bilan de la BCE, en vue d’une annulation : swap vers des titres quasi-perpétuels à taux négatif, puis effacement), ils redéployeraient peut-être leurs efforts, et l’on sait que les gains de productivité de demain sont les hausses de salaires d’après-demain. 

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