Si Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen n’existaient pas, le PS devrait les inventer pour avoir encore quelque chose à dire<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Si Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen n’existaient pas, le PS devrait les inventer pour avoir encore quelque chose à dire
©Reuters

Polémique sur la plomberie

Alors que l'ancien Président critiquait les propositions de la Commission européenne sur la crise des migrants, Manuel Valls lui a répondu en estimant que ses propos étaient "stigmatisants". Un choix qui met en lumière la difficulté pour le PS d'aborder le réel, s'en tenant aux mises en garde régulières de la xénophobie.

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

Voir la bio »
Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

Voir la bio »

Atlantico : Aux déclarations de Nicolas Sarkozy sur les solutions proposées par la Commission européenne sur la crise des migrants, Manuel Valls a souhaité dénoncé les "phrases stigmantisantes" plutôt que d'aborder le fond. Dans quelle mesure le Parti socialiste a-t-il besoin du Front national et de Nicolas Sarkozy pour tenir politiquement ?

Christelle Bertrand : "Non mais franchement, imaginez la scène : si Sarko se représente on appuie immédiatement sur le bouton anti sarkozysme et c’est gagné". Aquilino Morel n’était pas avide de confidences lorsqu’il était assis confortablement dans son bureau de l’Elysée. Il ne manquait pas d’aplomb non plus. A travers ces quelques mots, le conseiller de François Hollande reconnaissait, in petto, que le fond du programme présenté en 2017 ne serait finalement que superflu. Comme en 2012, les électeurs voteraient François Hollande par rejet de Nicolas Sarkozy. Facile ! Un peu trop ? Peu importe, la victoire justifie les moyens. L’homme qui aimait trop les chaussures n’avait oublié qu’un nom à la liste des épouvantails, celui de Marine Le Pen.

Alors que se dessine déjà la future campagne présidentielle, le message à destination des électeurs lancé par le PS est simple : vous ne voulez pas de Nicolas encore moins de Marine votez Hollande ! Comme si cet effet repoussoir allait permettre de dédouaner le candidat de réfléchir à un programme. De créer une envie, du désir, de l’espoir même, chez les électeurs. A l’heure où à gauche comme à droite chacun garde jalousement ses idées pour plus tard, pour la grande bataille de la présidentielle, attaquer ceux du camp d’en face ad hominem s’avère un sport facile et lucratif. Ainsi Manuel Valls, lors du congrès du PS à Poitiers, lançait "par ses pratiques dans l’opposition, Nicolas Sarkozy est déjà un problème pour le pays. Faire de la politique, ce n’est pas régler ses comptes personnels". Nicolas Sarkozy, de son coté, n’hésite pas non plus à critiquer, voir à se moquer, du Chef de l’Etat qu’il appelle "moi Je". De Manuel Valls il disait,  lors d’un meeting à Asnières en mars : "l’autre, qu’est-ce qu’il parle! Il regarde un dossier? Il réfléchit? Non : il parle. Il se saoule de sa propre parole". Les deux candidats se retrouvant dans les attaques envers la future candidate du Front National. Car chacun d’eux est persuadé que le danger FN devrait suffire à pousser les électeurs à voter pour eux et à plébisciter un nouveau second tour Hollande Sarkozy. Comme si personne n’imaginait une seconde que les électeurs, en 2017, puissent voter par adhésion au programme de l’un ou l’autre des candidats.

Comment expliquer que le PS ne se distingue que par son opposition plutôt que par une véritable vision ? Depuis quand observe-t-on ce phénomène ?

Jean Petaux: Le propre des congrès des partis politiques (de droite comme de gauche) est d’être, prioritairement, une "grand messe" (l’expression est d’ailleurs souvent employée) destinée  à "célébrer" l’unité du parti tout entier rassemblé. Il arrive parfois que l’opération ne fonctionne et que, tout au contraire, les querelles de famille s’étalent au grand jour voire que la scission tienne lieu de " bénédiction finale". En décembre 1920, à Tours, la SFIO se coupe ainsi en deux blocs d’inégale importance. La majorité avec Cachin, Frossard, Souvarine entre autres crée la SFIC qui adhère à la IIIème Internationale dirigée par Lénine ; la SFIO "maintenue", minoritaire, est dirigée par Blum qui "reste à garder la vieille maison" selon ses propres mots. C’est une situation limite car en règle générale, quand il n’y a pas de crise grave (comme à Rennes en 1990 ou à Reims en 2008 pour le PS) c’est l’union qui prévaut. L’union et la réconciliation. Mais pour y parvenir les voies et les voix sont multiples. Quand le parti qui tient congrès est dans l’opposition, l’union se fait soit sur la promesse d’un avenir radieux lorsque la victoire aura été acquise soit sur le choix du leader politique qui va emmener la troupe (réunie) au combat. En 1979 à Metz la lutte a été très sévère au PS entre les "mitterrandistes" et les "rocardiens". La question essentielle était la suivante : qui allait être le candidat du PS à la future présidentielle de 1981 de Mitterrand ou de Rocard ? Et pour "habiller" cette bagarre "au couteau" l’affrontement s’est fait sur des "lignes politiques" opposées… Avec l’ironie, bien sûr, qui a fait que le vainqueur de ce duel interne au PS, François Mitterrand, l’emporte sur une "ligne de gauche" face à Michel Rocard.  Tout cela pour appliquer le "tournant de la rigueur" au printemps 1983, plus à droite dans son contenu que ce que la "ligne Rocard" préconisait en 1979…

Donc, au milieu de tout ce jeu de rôles que constitue un congrès national pour un parti politique (encore une fois quel qu’il soit) où postures et impostures triomphent en quelque sorte, le meilleur moyen de se constituer un succès d’estime c’est de taper sur l’adversaire. Pendant que l’on fait vibrer une salle en dénonçant les comportements et les choix politiques du ou des camps opposés on ne s’attarde pas trop à évoquer les sujets qui fâchent (les défaites électorales aux élections locales) ou à tenter de justifier les choix politiques infructueux quant aux résultats économiques ou sociaux (la courbe du chômage…). Mieux, on crée un réflexe de solidarité presque automatique et instinctif qui galvanise le public militant toujours près à considérer "qu’on est trop gentils avec ceux qui nous critiquent" (médias inclus évidemment).

Ce qui s’est passé à Poitiers ce week-end n’est en rien original et nouveau. Quiconque a eu l’occasion d’assister à ces grands messes que sont les congrès des partis politiques aura pu constater combien la salle du congrès est amorphe et s’ennuie à mourir quand celle ou celui qui parle à la tribune défend une motion, fait une proposition thématique, tend à faire avancer le débat et combien cette même salle s’embrase quand l’orateur tire à boulets rouges, roses, bleus marines, bleus républicains, oranges ou verts (selon la couleur du parti) sur tel ou tel adversaire désigné. Même si la ficelle est grosse, il est tentant pour l’un ou l’autre des tribuns de ces deux partis de l’attiser pour s’attirer les applaudissements. C’est ce qui passé dimanche dernier au congrès fondateur des "Républicains", c’est qui vient d’advenir à Poitiers ce week-end pour le PS.

Pourquoi un rassemblement des sympathisants socialistes ne peut-il être mis en oeuvre à partir du projet gouvernemental, alors même que c'est sa direction qui a remporté l'adhésion fin mai à travers la motion A lors du Congrès de Poitiers ?

Jean Petaux : Jean-Christophe Cambadelis a émis l’idée qu’il pourrait y avoir la mobilisation de 400.000 sympathisants socialistes (c’est, dit-il, le nombre de sympathisants dont les fédérations du Parti Socialiste auraient les coordonnées…). C’est un chiffre totalement bidon, encore plus approximatif que celui des adhérents fournis par telle ou telle formation politique. Le seul chiffre dont on dispose en matière de "sympathisants" pour le PS c’est celui de la primaire socialiste d’octobre-novembre 2011 où, effectivement, 3 millions de "sympathisants" sont venus voter pour François Hollande ou Martine Aubry au second tour de ces "primaires citoyennes". En se déplaçant et en votant à ces primaires ils ont bien fait un acte de "sympathisants". Si les fédérations du PS ont profité de ce vote pour se constituer un fichier de sympathisants (à partir des listes électorales mises à disposition par les mairies) c’est non seulement lamentable mais c’est, sans doute, susceptible de sévères soucis avec la CNIL tout simplement. A quoi correspond donc ce chiffre de 400.000 personnes ? Cambadélis ne le dit pas mais en tout état de cause tous ces individus ne sauraient être assimilés à des adhérents. On voit bien l’intention : faire comme aux Etats-Unis et constituer une sorte de "machine électorale" qui viendrait, pour la prochaine présidentielle et dans les deux ans qui viennent, former un "club de supporters" de l’action gouvernementale. L’idée serait donc de dépasser largement les bases de la motion A (motion certes majoritaire mais qui a recueilli 60% des 50% qui se sont déplacés pour voter parmi les adhérents du PS pour ce congrès de Poitiers, soit au plus : 35.000 militants en tout et pour tout, autant dire rien). D’ores et déjà les "Hollandistes" "pur-sucre" s’organisent pour relancer l’activité du cercle de soutien que le candidat Hollande avait mis en place en 2010 dans la perspective de la présidentielle de 2012.

En fait pour le président et le premier ministre actuels l’équation est assez simple même si sa résolution est complexe : maitriser le PS (c’est le rôle confié à Cambadelis)  en évitant de trop fortes dissonances et encore moins des dissidences et dépasser le PS en mobilisant les sympathisants de gauche sur le double réflexe anti-sarkozyste et anti-frontiste.

La gauche ne semble unie que quand il s'agit de combattre le Front national mais est intellectuellement et idéologiquement absente du débat politique. La stratégie du "contre" ne la mène-t-elle pas droit dans le mur électoralement parlant ? La gauche a-t-elle encore un discours politique au sens noble du terme à proposer ? Quelle est sa vision du monde ?

Jean Petaux : La gauche, pour l’instant, n’est même pas unie quand il s’agit de combattre le Front national. Elle ne l’a pas été non plus en 2002 par exemple avec une multiplication de candidatures telles que Lionel Jospin s’est fait doubler par Jean-Marie Le Pen au soir du premier tour. Là encore Jean-Christophe Cambadélis a appelé au rassemblement de la gauche (il fait par exemple une proposition de "rencontre au sommet", essentiellement d’ailleurs avec les Ecologistes). En fait ce qui est en cause ici c’est la non-candidature de Cécile Duflot à la présidentielle de 2017 ou, à tout le moins, son isolement tel qu’elle n’osera pas s’aligner dans les starting-blocks. Une fois encore le projet n’est pas la priorité. Le temps où les formations de gauche se réunissaient des jours et des jours entiers pour "négocier ou re-négocier le Programme commun d’Union de la Gauche" (1972  puis 1977, avec la rupture d’ailleurs de cette renégociation pour "actualisation" en septembre 1977) semble appartenir au "Néendertalien" de la vie politique française. Mais, pour dire les choses simplement, déjà à l’époque, ces longues "nuits des petits couteaux" n’étaient-elles pas des mises en scène destinées à masquer l’essentiel : l’intérêt stratégique de s’unir ou de courir sous leurs propres couleurs pour le PS, le PCF et le MRG alors ? La "cosmogonie" (la vision du monde) de la gauche française est, aujourd’hui, totalement éclatée et on voit mal ce qui pourrait rapprocher les conceptions programmatiques d’un Laurent, d’un Mélenchon, d’une Duflot et d’un Valls.

Au sein même du PS, on l’a bien vu avec la tribune publiée par Pigasse et Montebourg (deux représentants d’une gauche intransigeante, anti-capitaliste, deux "durs à la peine", porte-paroles des ouvriers en lutte et des très pauvres et des deshérités… !  Ironie naturellement !)  dans le "Journal du Dimanche", les postures des uns et des autres semblent produire leurs effets. Autant dire qu’il faudra attendre encore quelques mois pour que sorte du PS par exemple une vision du monde particulière qui pourrait tenir lieu de programme pour 2017… C’est là le principal obstacle auquel se heurtent en règle générale toutes les équipes gouvernementales qui candidatent à leur réélection, en l’espèce et pour cette fois, cela ressemble pour le PS davantage à l’Himalaya qu’à un "double oxer" au concours olympique d’équitation…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !