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Sexisme : le long combat à mener pour la fin des stéréotypes dans le monde du travail et au coeur de la société française
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Angélique Gérard publie "Pour la fin du sexisme ! Le féminisme à l'ère post #MeToo" aux éditions Eyrolles. Le sujet des femmes est brûlant. En 2017 éclate le scandale #MeToo. À partir de ce formidable élan pour l'égalité, on a assisté à une nouvelle prise de conscience à l'échelle mondiale. Extrait 2/2.

Angélique Gérard

Angélique Gérard

Angélique Gérard est l'un des dirigeants historiques du groupe ILIAD (Free). Présidente de huit filiales du groupe, elle accompagne un effectif d'environ 7 OOO personnes affecté à la Relation Client du groupe. En 2O15, elle succède à Emmanuel Macron à la première place du classement Choiseul des « 1OO leaders économiques de demain ». En octobre 2O17, Angélique Gérard est décorée de l'insigne de chevalier de l'ordre national du Mérite. Elle rejoint en 2O18 le mouvement Led by HER en tant que mentor d'entrepreneuses.

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1978. Le mot « sexisme » entre au dictionnaire. Il apparaît dans les années 1960 aux États-Unis et seulement une dizaine d’années plus tard en France. Le terme regroupe à la fois des croyances et des comportements qui tendent à stigmatiser, à délégitimer, à inférioriser les femmes en raison de leur sexe. Ses manifestations sont très diverses et prennent la forme d’un continuum : des formes à l’apparence anodine (stéréotypes, « blagues », remarques) jusqu’aux plus graves (discriminations, violences, féminicides). 

L’ancienne ministre du Travail Myriam El Khomri, vice-présidente du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, en préface du dossier de presse Agir contre le sexisme au travail, l’évoquait en ces termes très justes : « Aux fortes pesanteurs qui subsistent en matière de salaire, d’avancement, de recrutement, s’ajoutent donc ces remarques, ces plaisanteries, ces comportements sexistes du quotidien, conscients ou inconscients, toujours justifiés et toujours déplacés, qui viennent symboliquement renforcer un plafond de verre encore épais. Car il faut comprendre que le sexisme est un tout, qui fait système. Couper irrespectueusement la parole à une femme en réunion, c’est nier sa légitimité et ses compétences. Insister constamment sur l’apparence physique d’une collègue, c’est la renvoyer à autre chose qu’à son statut professionnel et l’enfermer dans un rôle passif et dégradant. Les uns après les autres, ces actes tissent un filet invisible qui limite le potentiel d’émancipation et d’épanouissement des femmes au travail. » 

Le sexisme, c’est le combat particulier de Simone de Beauvoir, qui déposait en 1974 un projet de loi antisexiste consistant à faire reconnaître les injures sexistes au même titre que les injures raciales. Un projet qui ne verra pas le jour, mais dont l’essence sera reprise par les lois successives sur l’égalité professionnelle, sur la répression des propos sexistes et homophobes, et sur l’égalité réelle. Lorsque le terme entre au dictionnaire, elle affirmera : « On pensera peut-être que cette conquête est mineure : on aura tort […] Nommer, c’est dévoiler. Et dévoiler, c’est agir. »

Les définitions à connaître

Selon le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle  entre les femmes et les hommes (CSEP)

• « Le sexisme ordinaire se définit comme l’ensemble des attitudes, propos et comportements fondés sur des stéréotypes de sexe, et qui, bien qu’en apparence anodins, ont pour objet ou pour effet, de façon consciente ou inconsciente, de délégitimer et d’inférioriser les femmes, de façon insidieuse voire bienveillante. Il se manifeste au quotidien, par exemple, à travers des blagues et commentaires sexistes, des stéréotypes négatifs, des marques d’irrespect, des pratiques d’exclusion. » Art. L. 1142-1 du code du travail. 

• « L’agissement sexiste est défini, selon la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, comme “tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant”. » Art. L. 1142-1 du code du travail.

Je tombe sur une vignette style BD, en scrollant sur les réseaux sociaux. Des femmes debout, qui discutent autour d’une table, en réunion. Un homme ouvre la porte : « C’est une réunion Tupperware ? » L’expression, sur le visage des femmes, documents à la main, PC posés sur la table, n’a besoin d’aucun commentaire supplémentaire. Cette affiche fait partie de la campagne interne antisexiste lancée chez Bouygues Telecom et vue en 2019 sur Twitter. Le sexisme au travail peut prendre différentes formes : le sexisme dit « bienveillant » ou « ordinaire », comme des surnoms familiers inappropriés (« ma poule », « ma chérie »), les stéréotypes négatifs à l’humour grivois, déplacé et irrespectueux (« Tu es directrice ? Quoi, il n’y a pas d’hommes dans ton entreprise ? », « Dis donc, elle est courte ta jupe ! Tu vas demander une promotion ? », « Tu devrais t’inscrire dans une salle de gym, pour ressembler à un homme, un vrai ! »), ou l’objectification (regards appuyés sur certaines parties du corps), les situations dévalorisantes et d’exclusion (oubliée d’une réunion, attribution de tâches ingrates), actes de discrimination, de harcèlement, d’abus et de violences. D’après une enquête du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes publiée en 2016, 80 % des femmes salariées interrogées considèrent être régulièrement confrontées à des attitudes ou décisions sexistes, 59 % se sentent exclues ou marginalisées et 54 % d’entre elles estiment avoir rencontré des freins professionnels en raison de leur sexe (refus d’embauche, d’augmentation ou de formation, de promotion, attribution de tâches peu valorisantes, etc.). Le chiffre qui parlera à toutes : 81 % des femmes victimes de sexisme au travail ont adopté une conduite d’évitement, consistant à s’abstenir de porter certaines tenues vestimentaires, tout faire pour ne pas croiser certains collègues ou participer à certains événements par exemple. Le pire : 63 % d’entre elles ont décidé de ne pas réagir ou de dénoncer ces comportements par résignation ou par crainte de représailles. Conséquences : des répercussions directes sur le bien-être au travail et sur le sentiment de compétence et de légitimité des personnes discriminées, les victimes peuvent connaître des problèmes de santé, de dépression notamment. 

Je me dis parfois qu’il nous faudrait un buzzer, un outil tout simple installé sur chaque rangée de bureaux et dans les lieux de détente. À chaque propos sexiste, on n’aurait plus besoin de se justifier/répondre/convaincre/rappeler à l’ordre. Un simple buzz plein d’ironie, pour signifier que la limite est franchie, et nous pouvons partir, dignement et sans effort. 

Une amie me confiait récemment combien le sexisme au travail était permanent. Elle le rencontre tous les jours sans exception, à tous les coins de couloir. Elle m’a transmis un florilège de vraies perles, que je trouve plutôt éloquentes : 

• Un groupe de collègues, lorsque l’on évoque le sujet du sexisme : « Le sexisme en entreprise ? Je ne connais pas, je ne m’arrête qu’aux trois premières lettres… » Rires gras. 

• « On ne voit pas beaucoup de parité dans les instances dirigeantes ! — Parité ? Si ! Il y a mon assistante ! » Réponse d’un représentant interpellé lors d’une réunion d’une instance dirigeante. 

• « Les femmes ont déjà dix semaines de congé maternité, je ne vois pas pourquoi elles devraient avoir le même salaire que nous [les hommes] ! » Échange lors d’un déjeuner à propos de l’égalité femmes-hommes… 

• « Qu’est-ce que tu as aujourd’hui, tu as trouvé un mec ? » Remarque d’un collègue à une femme alors qu’elle était simplement de bonne humeur et discutait avec un ton enjoué. 

• « Tu as travaillé et même dépassé tes objectifs, mais comme tu n’étais présente que sept mois avec ton congé maternité, nous ne pouvons pas te mettre une bonne note. » À mon retour de congé maternité, lors de mon entretien de restitution avec le directeur France. J’ai atteint 120 % de mon objectif, mais mon congé maternité m’a empêchée d’avoir une promotion et d’être notée à ma juste valeur… 

• « Tu sais sous quel bureau il faut passer ! » Quand je parle de mes souhaits d’évolution à mon manager. 

La blague est facile, et l’on peut nous reprocher de ne pas avoir d’humour, mais la banalisation d’actes qui ont brisé beaucoup d’entre nous n’est tout simplement pas tolérable. Faudrait-il rappeler à ce manager à l’humour grinçant que c’est en 1992 qu’est enfin signée la fin de ce genre de « promotion canapé ». La loi pénalise enfin, en même temps que les violences conjugales, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Depuis 2012, il est même redéfini et la prévention améliorée : « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. » Le sexisme peut prendre toutes les formes, revêtir des habits différents, passer presque inaperçu parfois. Il blesse et rabaisse pourtant tout autant. 

Extrait du livre d’Angélique Gérard, "Pour la fin du sexisme ! Le féminisme à l'ère post #MeToo", publié aux éditions Eyrolles. 

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