Séisme : les Marocains en veulent plus au gouvernement qu’au Roi et voilà pourquoi<!-- --> | Atlantico.fr
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Le roi du Maroc, Mohammed VI, s'est rendu au chevet des blessés suite au séisme meurtrier.
Le roi du Maroc, Mohammed VI, s'est rendu au chevet des blessés suite au séisme meurtrier.
©FADEL SENNA / AFP

Population endeuillée

Le pouvoir royal a été fortement critiqué en France pour avoir tardé à s’exprimer après le séisme meurtrier.

Bouziane Ahmed Khodja

Bouziane Ahmed Khodja

Bouziane Ahmed Khodja est journaliste à la télévision espagnole TVE et écrivain. Docteur en sociolinguistique, master en Sciences politiques et en journalisme. Spécialiste du djihadisme, du terrorisme et de l'Islam politique.
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Atlantico : Suite au séisme dévastateur qui a frappé le Maroc, comment le pays gère-t-il la situation actuellement ? A-t-on un bilan définitif ? 

Bouziane Ahmed Khodja : Le tremblement de terre de samedi dernier, qui selon les Marocains est de magnitude 7 et de 6,8, selon le service sismologique américain, est le plus puissant à avoir jamais été mesuré au Maroc. Il est trop tôt pour dresser un bilan définitif, car il reste encore des centaines de corps ensevelis sous les décombres des maisons en argile dans le Haut Atlas, la région la plus touchée. À mon avis, le nombre des victimes dépassera largement les 3.000 morts. Le Maroc est un pays dont la population rurale est estimée à plus de 13 millions sur l'ensemble des 36 millions de Marocains. Outre les constructions en argile, précaires, cette région montagneuse a un autre désavantage : elle est difficile d'accès pour les secours et l'approvisionnement. Les glissements de terrain n'ont fait qu'aggraver la situation. On redoute aujourd'hui, l'arrivée des pluies qui compliqueront encore plus la situation.

Volontaires et secouristes restent mobilisés car il y a toujours l'espoir de sauver des vies. Des miracles, on en a vu, par exemple lors du dernier séisme en Turquie où des victimes ont survécu pendant une semaine. La norme établie énonce qu'il est difficile de trouver d'éventuels survivants 72 heures après la catastrophe, mais même si les espoirs s'amenuisent quelques jours après le séisme, les équipes continuent les recherches. Il faut quand même retenir que la fenêtre pour trouver des survivants va bientôt se refermer.

Le pouvoir royal a été fortement critiqué en France pour avoir tardé à s’exprimer. Comprenez-vous les polémiques suscitées suite à ce séisme ? 

Aucun pays au monde, aucun gouvernement n'échappe aux critiques dans ce genre de circonstances. Le Maroc ne fait pas exception pour la réalité de la situation tant économique que sociale. Cependant, il faut noter que la perception de la critique est différente dans cette région d'Afrique du Nord. Critiquer le Roi n'est pas bien vu ici et les Marocains affichent un respect profond et une foi inébranlable envers leur souverain. Mais ce n'est pas le cas pour le Chef de l´exécutif et son gouvernement qui sont comptables aux yeux de la population de tout ce qui est relatif à une mauvaise gestion de la situation. Il faut, toutefois, nuancer le degré des critiques. Les Marocains en face de ce drame, ont réagi solidairement. Ils ne critiquent pas leurs gouvernants, pour le moment, mais s'attèlent à aider, contribuer et agir pour alléger les souffrances de leurs proches. La solidarité a été, est et sera un facteur important dans la gestion de la colère des Marocains.

Pour autant, on remarque qu’il y a eu peu de critiques au sein de la société marocaine. Comment l’expliquer ? 

Il y a un facteur important qui est souvent omis par ceux qui commentent cette actualité dramatique que vit le Maroc. C'est le facteur spirituel et religieux. L'Islam est sacré aux yeux des Marocains, tout comme le Roi. La perception d'un tel évènement douloureux est vécue comme « Une volonté d´Allah ». Si Dieu a décidé d'« examiner » ses créatures par un quelconque phénomène naturel, c'est sa volonté mais c'est surtout un test pour mesurer la patience et l'obéissance du musulman à son créateur. Dans la cosmovision de l'Islam, les drames sont acceptés par le sentiment d'une forte fatalité, le croyant accepte le fait et s'en réfère à la clémence du tout puissant, Allah. C'est cette attitude qui fait que la société marocaine n'a pas réagi violemment aux incapacités de l'État à faire face en urgence à cette catastrophe, tout en admettant, évidemment que la réalité du terrain a eu un impact important sur l'arrivée des secours dans les zones totalement enclavées.

Quant au silence du Roi ou son absence sur les lieux de la catastrophe, il me semble que les services de sécurité ont jouer un rôle primordial dans cette décision. Il fallait, à mon avis, sécuriser les lieux avant la visite du souverain marocain. Ce qui a été d'ailleurs fait, quatre jours après, en organisant une visite à Marrakech où le Roi avait visité un hôpital et fait un don de sang, largement médiatisé, d'ailleurs par les médias marocains et internationaux.

Cinq jours après la catastrophe, des questions demeurent sur la gestion de l'aide par les autorités, notamment concernant le refus de l'aide de certains pays, dont la Belgique et la France.

Le ministère de l’Intérieur marocain a annoncé dimanche avoir répondu favorablement aux propositions de quatre pays : l’Espagne, le Qatar, le Royaume-Uni et les Emirats arabes unis. C’est un choix qui veut dire quelque chose diplomatiquement parlant… Quelle image le pays entend-t-il projeter à travers le monde ? Comment expliquer le refus de l’aide de la France ? 

Il faut préciser en premier qu'un afflux incontrôlé de moyens matériels et humains peut être contre-productif si la situation n'est pas sous contrôle total du poste principal du commandement. Il s'agit de milliers de tonnes d'aides et de centaines voire de milliers d'intervenants. Il faut un chef d'orchestre sinon c'est le souk.

Mais au-delà de l'aspect organisationnel, il y a bien sûr, la politique. Le Maroc est un pays qui ne perd pas de vue ses objectifs diplomatiques en matière de relations internationales. La question du Sahara occidental est omniprésente. Elle régit tous les aspects politiques dans les relations avec les pays tiers. En cette circonstance, le royaume chérifien a accepté en premier et exclusivement l'aide de pays « amis » qui se sont prononcés en faveur du Maroc sur la question sahraouie. L'Espagne. Les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni ou le Qatar sont des alliés. Le refus d'accepter l'aide d'autres pays, comme la France, la Belgique, la Turquie et des dizaines d'autres nations, n'est pas à prendre de la même manière.

Je m'explique, le fait de ne pas accepter l'aide de la Turquie n'est pas le même que celui de ne pas répondre favorablement à l'offre française. Car entre la France et le Maroc, il existe des relations de plusieurs siècles d'histoire, la proximité etc… Le refus, en ce sens est un signe politique clair. Ceci signifie que le froid qui gèle toutes les relations entre les deux pays ne se réchauffe pas même dans des circonstances de drame et de crise humanitaire grave. La diplomatie des catastrophes n'échappe donc pas à la réalité des relations entre les pays, aux yeux du Makhzen.

Quelles pourraient être les conséquences de ce moment politique, pour les marocains comme pour Mohammed VI ?

Dans l'immédiat, nous n'allons enregistrer aucune réaction négative. Le Maroc enterre ses morts, panse ses blessures et tentera d'organiser au mieux les secours. Il y a urgence dans le logement, où abriter les sinistrés et comment organiser les camps avant l'arrivée des précipitations. Restera ensuite un long chemin pour trouver des solutions dans le logement et l'approvisionnement en eau potable, électricité et les produits alimentaires. La rentrée scolaire et sociale mettra le gouvernement marocain devant plusieurs défis.

Le Roi ne sera pas critiqué ni sera désigné du doigt c'est plutôt le gouvernement qui sera sous les feux de la rampe. Mais, la patience des Marocains est grande et leur résilience est inexorable. On verra, jusqu'où et jusqu'à quand la fatalité et la résilience s'éroderont. 2024, sera sans doute une longue année de complications politiques, si le peuple s'exprime, enfin. 

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