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Bac : La cata des maths
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Bachot

Les élèves de Terminale S ont rendez-vous mardi 21 juin avec l'épreuve des maths au bac. C'est l'une des disciplines les plus utiles. Et pourtant... L'enseignement des sciences et, en particulier des mathématiques, laissent à désirer à l'école, comme l'explique le mathématicien Jean-Pierre Demailly.

Jean-Pierre  Demailly

Jean-Pierre Demailly

Jean-Pierre Demailly est professeur de mathématiques à l'Université de Grenoble, il est spécialisé dans le domaine de la géométrie analytique.

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Atlantico : On remarque une certaine désaffection pour les  disciplines scientifiques : comment jugez-vous l’enseignement des mathématiques ?

Jean-Pierre Demailly : Les programmes d'enseignement des mathématiques sont malheureusement aujourd'hui de très mauvaise qualité - mais c'est le cas de presque toutes les autres disciplines ! Les réformes successives opérées depuis des décennies n’ont fait que niveler les contenus par le bas, sans donner la possibilité de valoriser le potentiel des élèves, collectivement ou dans leur individualité. On est arrivé aujourd’hui à une situation très grave parce que la nécessaire cohérence des progressions au fil des années n'a presque jamais été respectée.

Les élèves ont aujourd'hui besoin de soutien et de cours particuliers car ils ne peuvent suivre seuls la trame décousue qui leur est proposée. Cela vaut aussi pour le lien entre les mathématiques, leurs applications et les autres sciences.

C’est un problème fondamental pour la formation des scientifiques. On observe depuis au moins quinze ans une très nette désaffection. Les raisons sont multiples. Elles tiennent en particulier à ce que notre société du fric et du paraître déprécie systématiquement la valeur des connaissances scientifiques, qui seraient pourtant bien précieuses pour résoudre les grands problèmes de notre écosystème planétaire. Cela se traduit bien sûr dans les moyens mis en œuvre en termes d'encadrement et d'horaires ; la réforme en cours du lycée est de ce point de vue très défavorable pour l'ensemble des sciences.

C'est toute l’échelle des valeurs de notre société, entre autres celles issues du capitalisme néo-libéral, qui est à repenser. Les « vedettes » de la politique, de l'industrie ou de la musique reçoivent des salaires mirobolants et des placards dorés, et à côté de cela, certains des plus grands scientifiques de ce pays gagnent des salaires extrêmement modestes - sans oublier l'ensemble des autres travailleurs souvent réduits à des salaires de misère ! La finance internationale se moque en réalité éperdument de la connaissance, pourvu qu'elle puisse faire appel à de la matière grise délocalisée et bon marché. J’en appelle donc à des changements de société très profonds …

Pourquoi les réformes ont-elles été mal suivies ?

Les réformes sont en général implicitement pilotées par des questions de budget ou de gestion des flux. Il en est ainsi de la réforme Chatel du lycée qui vise surtout à diminuer le nombre d’enseignants. Mais quand on modifie un bout de programme ou un bout de cursus à un endroit, on ne se soucie guère des incidences que cela peut avoir sur l'ensemble de la scolarité …

Pour remettre sur pied un système éducatif efficace, il faudrait un aménagement cohérent des programmes de la maternelle jusqu'à l'université. Or, si les politiques sont prompts à se gargariser des réformes effectuées, il faut savoir que l'impact de celles-ci n'est jamais évalué en profondeur… Tout est donc à reconstruire, et en premier lieu, la méthodologie suivie pour les réformes, qui devrait être beaucoup plus ouverte et transparente, et surtout pensée au long terme.

Qu’en est-il de l’enseignement des fondamentaux, du calcul ?

On les enseigne très mal. En quelques décennies, la dégénérescence des programmes a abouti à ce qu'on enseigne aujourd'hui en fin de collège ce qui pouvait autrefois relever de l'enseignement primaire. Là-dessus, on voudrait construire des programmes de lycée pour  des élèves dont l'immense majorité ne pourra pas avoir les bases et la maturité requises ! On vient par exemple d’introduire en Terminale S de nouveaux programmes de mathématiques et d’informatique qui font vraiment pitié. Il est à prévoir que les enseignants, tout aussi victimes que les élèves de l'incurie des réformes, devront se rabattre sur le bachotage et sur des évaluations au rabais. Ce n'est pas cela qui peut susciter l'intérêt des élèves !

Des méthodes d’apprentissage efficaces et éprouvées ont parfois été balayées au nom de doctrines pédagogiques hasardeuses, en particulier  à l’école primaire. Avant les grandes réformes des années 65-70, on commençait à enseigner les quatre opérations simultanément dès le CP  - voire à partir de la grande section de la Maternelle ; chacun constatera d'ailleurs que de  jeunes enfants peuvent instinctivement faire des divisions par 2 de petits nombres.

Cette synergie de l'apprentissage de la numération et des 4 opérations facilite pourtant un accès précoce au sens et à la compréhension, à condition bien sûr que cela se place dans le cadre d'un enseignement riche, concret et manipulatoire, avec des horaires suffisants consacrés aux fondamentaux. Or on constate que la division n'est aujourd'hui plus vraiment introduite avant le CE2, même si les programmes Darcos de 2007 représentent dans ce domaine une légère amélioration par rapport à ceux de 2002.

En réalité, force est de constater que les programmes du primaire ne permettent plus depuis longtemps d'asseoir la maîtrise des opérations arithmétiques élémentaires, ni du point de vue du sens ni du point de vue des techniques opératoires, ce qui est ensuite un énorme handicap pour l'apprentissage des maths et des sciences au collège. Depuis plusieurs années, nous menons une expérience pédagogique intitulée SLECC (« Savoir Lire Écrire Compter Calculer »), dans des classes primaires expérimentales réparties aléatoirement sur le territoire. S'appuyant sur un enseignement concret, structuré et progressif, SLECC parvient à obtenir des résultats bien meilleurs que la moyenne nationale dans tous les savoirs fondamentaux, et ce, même dans des zones socialement défavorisées !

Pour intéresser de nouveau les élèves, il faut pratiquer un enseignement vivant, riche et exigeant, qui ne réduise pas au bachotage. L'enseignement des mathématiques doit les présenter comme une science vivante, en prise avec le réel et avec les applications. Ceci suppose des programmes bien construits, permettant un accès progressif au savoir et l'appropriation des connaissances. Il est essentiel que les démonstrations soient de nouveau introduites au collège – et même à l'école primaire – et que les élèves résolvent eux-mêmes de façon très systématique des problèmes demandant de la réflexion. Aujourd’hui, la « déperdition » est telle que de nombreux étudiants en sciences des premières années de l'université sont dans l'incapacité de mener un raisonnement élémentaire. Le nivellement par le bas est une politique suicidaire dont on ne pourra sortir qu'avec des programmes diversifiés et exigeants, tenant compte des capacités et des goûts des élèves, et s'adaptant sans démagogie aux diverses audiences.

Le moins qu'on puisse dire est que ce n'est pas la voie qui a été retenue pour la réforme du lycée ! Les maths en particulier ont perdu leur lustre et, du coup, les élèves ne peuvent souvent percevoir cette discipline que comme une matière abstraite et désincarnée ; certains des élèves parmi les plus aptes vont se rabattre vers des carrières techniques courtes en se disant : « Au moins, j’aurai un métier immédiatement, au lieu de me perdre  dans de longues études. »L'uniformisation européenne des cursus, dite LMD, a souvent aussi été le prétexte à la mise en place de formations « McDonald's » à la valeur pédagogique très réduite, peu stimulantes pour les étudiants en sciences de notre pays. On entend d'ailleurs de nombreuses récriminations des collègues européens, victimes eux aussi en la circonstance de ce que j'appellerais la technocratie bruxelloise…

L’enseignement a-t-il des répercussions sur la formation des ingénieurs, par exemple ?

L’économie de la France est dans un état préoccupant : le naufrage de notre système éducatif en est certainement une des causes profondes. On manque d’ingénieurs, on manque de techniciens, comment voudrait-on que l'industrie de haute technologie puisse se développer efficacement dans ces conditions ?

Ce que je mets en cause ici, ce ne sont bien sûr pas les enseignants eux-mêmes, mais ce sont les politiques de tous bords dont l’agenda est totalement déconnecté de l’intérêt général et des réalités du terrain, aussi bien au niveau national qu'européen. Peut-être le renouveau viendra-t-il de l'exemple des pays émergents comme l'Inde ou la Chine, qui ont aujourd'hui de nombreux centres de formation de haut niveau, et qui alimentent les centres de recherche nord-américains …

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