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Savez-vous combien de Français et d’Allemands se souviennent de ce qu’ils ont vécu le 8 mai 1945 ?
©REUTERS/Alain Jocard/Pool

Témoins

La France célèbre l'armistice de la Seconde Guerre mondiale. Un jour historique dont la mémoire est entretenue par les millions de personnes qui ont vécu l'événement.

En partant du postulat que la tranche de la population susceptible d'avoir vécu les événements de la Seconde Guerre mondiale et de s'en souvenir est aujourd'hui âgée d'au moins 75 ans, on compte environ 5,8 millions de personnes en France.  Pour l'Allemagne (chiffre des 80 ans et plus), cette population est approximativement de 4,4 millions.

Atlantico : Le poids démographique que représente la frange de la population susceptible de se souvenir des événements de la Seconde Guerre mondiale est-il suffisant pour changer des choses dans la construction de l'Europe et de la relation franco – allemande ?

Jérôme Sainte-Marie : L'argument historique a tendance à jouer, et ce depuis le traité de Maastricht, déjà, en faveur d'un oui à la construction européenne et à la relation franco – allemande. On constate que les plus vieilles générations sont le plus souvent favorables à un référendum. C'est, indéniablement, un impact de l'argument de la paix qui n'a rien d'un mythe, bien que cela tende à disparaître puisque de moins en moins de gens ont vécu la guerre. Il faut remonter assez loin dans les années, et cette population tend à disparaître. La jeunesse étant moins sensible à cet argument de la paix, cet élément joue nettement moins.

Il est, par ailleurs, possible que les événements d'Ukraine ravivent la flamme qu'on retrouvait lors du traité de Maastricht. L'argument de la paix dépend d'un contexte international – si cela avait si bien marché lors de Maastricht, c'est également en raison du conflit en ex-Yougoslavie. Les générations les plus anciennes pourraient potentiellement s'avérer sensibles au conflit ukrainien.

Comment peut s'effectuer le transfert de connaissance et de savoir ?

Jean-Louis Crémieux-Brilhac :Le transfert de connaissance et de savoir s’effectue essentiellement par l’école. L’enseignement a un rôle capital à jouer dans ce domaine. Qui n'est, à mon sens, pas suffisamment remplit car les programmes ne consacrent pas à ce qu’a été la France libre, ni à la résistance, une place suffisante. Je pense qu’il faudrait leur consacrer certainement une place plus importante dans les programmes. D’autre part les historiens français n’ont étudié de façon sérieuse que très tardivement la France libre, la deuxième guerre mondiale et la résistance française pour des raisons diverses dont l’une était que des archives n’étaient pas ouvertes. Il y a aussi une autre raison qui est que de nouveaux événements au courant des 70 dernières années se sont précipités et qui sont d’une importance extrême : la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, la disparition de l’Empire, la décolonisation, la mondialisation… Et tout cela, ce sont autant d’événements dont il faut que les enfants prennent également une certaine conscience. C’est-à-dire que cette extension inévitable de l’histoire ne peut se faire qu’au détriment d’une partie du passé. À mon sens, la place faite à la Résistance française et à la France libre ne sont pas suffisantes.

Organiser des rencontres entre des anciens, des survivants de la résistance ou de la France libre et des élèves et regrouper des anciens et des jeunes pour des journées vécues comme des colloques est une chose très importante et qui a lieu, qui se fait de façon assez fréquente. Un des meilleurs témoignages de cette activité est le concours annuel de la résistance qui finit quand même par rassembler près de 40 000 élèves. D’autre part il ne faut pas oublier que la télévision tourne des documentaires ou des films de fiction sur la Deuxième Guerre mondiale mais l’importance des investissements faits par les américains et par les anglais pour faire des films phares a effacé dans une certaine mesure, au profit de l’action des anglais et des américains (Jour J, Le jour le plus long, …), l’action proprement française. Je pense que les Français ne se rendent pas suffisamment compte de ce qu’ils doivent au Général de Gaulle pour la période de guerre. Ils ne se rendent pas compte que l’action de la France libre a été une action politique et donc pas une action militaire d’une importance exceptionnelle.

Quel est le regard que peuvent porter les survivants sur cette période ? A-t-il évolué avec le temps ?

Jean-Louis Crémieux-Brilhac : Le regard a sûrement évolué avec le temps, sans aucun doute dans la mesure où la vision qu’on a de l’Allemagne aujourd’hui s’est très sensiblement tempérée. La proximité des relations franco-allemandes dans le cadre de l’Europe et le temps passé font que la vision que la majorité des Français avaient de l’Allemagne dans la période nazie ou sous l’occupation, immédiatement d’après la guerre donc les 30 années qui ont suivi la guerre, s’est essentiellement modifiée d’une part. D’autre part des aspects ont été mis en évidence qui pendant plusieurs dizaines d’années qui ont suivi la guerre n’avaient pas été à ce point sensibles à l’opinion. La douleur de la Shoah et le rôle et l’horreur de ce qu’a été l’extermination des juifs par les Allemands. Au final aujourd’hui c’est beaucoup plus clair sur la conscience au point de faire passer la Shoah, qui est évidemment un ensemble d’événements monstrueux et d’une importance européenne, quelques fois avant l’histoire proprement dite de l’action résistante française.

Le 8 Mai 1945, l'Allemagne nazie capitulait. Aujourd'hui, 69 ans plus tard, nous continuons de célébrer cette date hautement symbolique. Pour autant, est-ce que ce symbole ne s'efface pas un peu de la mémoire des gens ? Le souvenir de la seconde guerre mondiale est-il vivace et bien entretenu chez les Français ? Et chez les Allemands ?

Jean-Louis Crémieux-Brilhac : Le souvenir de la Deuxième Guerre mondiale, oui il reste vivace chez les Français mais il est souvent beaucoup plus précis en province qu’à Paris même et que dans certaines grandes villes parce que des épisodes locaux d’une violence exceptionnelle ou le rôle joué par des personnalités sortant du commun au service de la résistance sont localement implantés et n’ont pas une audience nationale.
Ce souvenir est aussi très vivace chez les Allemands, beaucoup plus vivace que celui de la Première Guerre mondiale qui est, de façon étonnante pour des Français, très largement gommée des mémoires. Le souvenir de la Deuxième Guerre mondiale, des destructions subies par les Allemands et de l’occupation soviétique en 1945 sont très présents dans les mémoires allemandes.

La transmission de mémoire se fait-elle différemment chez les Allemands ou les Français ?

Jean-Louis Crémieux-Brilhac : Oui, elle s’est fait d’une façon méthodique et systématique en Allemagne, beaucoup plus qu’en France. Il suffit d’aller à Berlin et de voir les monuments qui évoquent la deuxième guerre mondiale pour s’en rendre compte. Encore qu’en France le nombre de musées de la résistance ou de musées beaucoup consacrés à la résistance soit considérable, mais il est singulier par exemple qu’il n’y ait pas dans la région parisienne un musée national de la Résistance en dehors de celui de Champigny qui n’a pas l’extension qu’il pourrait avoir et qui a été longtemps politiquement orienté.

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