Sarkozy : "3 ans qu’ils se trompent ou mentent", comment le procès en incompétence de Hollande va structurer le match retour présidentiel<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy dénonce avec véhémence la politique du gouvernement actuel.
Nicolas Sarkozy dénonce avec véhémence la politique du gouvernement actuel.
©Reuters

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Dans un entretien accordé à Corse matin et publié mardi 18 août, Nicolas Sarkozy dénonce avec véhémence la politique du gouvernement actuel. Le président du parti Les Républicains ne mâche pas ses mots. Il affirme que "Hollande et Valls mentent et trompent les Français", tout en qualifiant la réforme territoriale de "ratée".

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Bruno Jeudy

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy est rédacteur en chef Politique et Économie chez Paris Match. Spécialiste de la droite, il est notamment le co-auteur du livre Le Coup monté, avec Carole Barjon.

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Atlantico : Après avoir tendu une perche aux électeurs du FN dans une interview donnée à Valeurs actuelles la semaine dernière, Nicolas Sarkozy s'attaque désormais à François Hollande en pointant les mensonges de ce dernier, ainsi que ses erreurs. Cette stratégie de procès en incompétence de la gauche est-elle "payante" sur le plan électoral ? 

Bruno Jeudy : Nicolas Sarkozy, depuis son retour, a fait le choix d’être le premier des opposants à François Hollande. Il s’applique à être un opposant implacable sur tous les sujets et en permanence, en ciblant le président de la République. Avec bien sûr l’espoir de prendre sa revanche en 2017 !

Est-ce payant sur le plan électoral ? Comme d’autres opposants avant lui dans l’histoire de la Vème République - François Hollande contre Jacques Chirac puis Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac contre François Mitterrand, François Mitterrand contre Valéry Giscard d’Estaing et avant cela, François Mitterrand contre Georges Pompidou et le Général de Gaulle - Nicolas Sarkozy a tiré la leçon : il faut être un opposant inlassable pour pouvoir s’imposer comme le  leader de son camp et remporter la présidentielle suivante. A court terme cela ne paye pas toujours dans les enquêtes d’opinion notamment, mais il imagine que cela sera utile le moment venu. A cet effet,  le président du parti Les Républicains s’appuie sur l’idée que les électeurs de droite aujourd’hui ont comme première priorité de se débarrasser de François Hollande. Cela fut aussi le cas lors du mandat précédent, les électeurs de gauche avaient fixé comme objectif essentiel se débarrasser de Nicolas Sarkozy, et peu importe à la limite l’identité de celui qui porterait les couleurs de la gauche – DSK fut favori, puis François Hollande. La cote de François Hollande reste basse même si elle a légèrement remonté après le 11 janvier ; Nicolas Sarkozy s’applique à bloquer toute remontée de François Hollande en énumérant ses erreurs et ce qu’il appelle lui ses mensonges par rapport à sa campagne présidentielle et à ses promesses de candidat.

Ainsi, dans Corse matin mardi 18 août, Nicolas Sarkozy prend comme axe la réforme territoriale qui vient d’être voté au parlement en s’appliquant à démontrer selon lui l’inefficacité du texte et le fait que celui-ci n’avait pour but que de « détruire » ce que Nicolas Sarkozy avait lui-même mis en place pendant son quinquennat.

Bruno Cautrès : Le thème de l’incompétence économique de la gauche est un vieux thème de la vie politique française ; il a perdu de son importance, à droite, car la gauche a exercé à plusieurs reprises le pouvoir depuis 1981. Au plan électoral, les électeurs perçoivent les capacités et les incapacités des uns et des autres en fonction de très nombreux filtres : leur attachement partisan, leur idéologie, l’importance qu’ils accordent aux thèmes économiques ou encore leurs positions dans la société. En l’occurrence, Nicolas Sarkozy cible plutôt François Hollande (et Manuel Valls) qui « se trompe » ou « ment aux Français ». Le mot d’incompétence est donc plutôt suggéré en creux mais pas utilisé par Nicolas Sarkozy. Pour le moment, il est trop tôt pour évoquer les conséquences électorales ou le caractère payant au plan électoral de cette stratégie de communication qui vise à délégitimer le statut et l’action de François Hollande. A l’approche des élections régionales du mois de décembre on saura un peu plus si Nicolas Sarkozy maintient cette ligne (ce que je pense être le cas) et si celle-ci est payante. Je pense que cette stratégie sera payante si les nouvelles économiques continuent d’être mauvaises et que l’année 2015 se finit encore une fois sur la non-inversion de la fameuse courbe du chômage.

L'approche actuelle dévie-t-elle des précédents scrutins présidentiels ? Cette manière de faire est-elle récurrente ou une progression est-elle en marche ?

Bruno Jeudy : Les mots choisis par Nicolas Sarkozy, « mensonges », « incompétences » sont à la fois nouveau et ressemble bien à ce que l’ancien président de la République a choisi d’être en tant qu’opposant. Il est donc très dur, qui cible en priorité et pratiquement uniquement François Hollande. Il a eu aussi quelques mots durs à l’endroit de Manuel Valls, mais ce qui importe au chef des Républicains est d’instaurer le match retour contre François Hollande. Cette stratégie n’est pas si nouvelle. A la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand avait « tapé » très fort sur le premier afin de mettre en place la revanche et également mieux stigmatiser les erreurs de VGE. En ce sens, Nicolas Sarkozy reprend l’une des recettes qui avait réussi à François Mitterrand. L’ancien président socialiste avait pu distancer et écarter Michel Rocard de la course à la présidentielle pourtant mieux placer que lui dans les sondages. Michel Rocard avait fait le choix de s’atteler à bâtir un nouveau projet socialiste différent de celui de François Mitterrand et de son programme commun. 

Bruno Cautrès : Le discours politique, notamment lorsque les élections approchent, fonctionne par des séries d’oppositions binaires destinées à favoriser l’identification des électeurs à leur camp politique et à réactiver leur opposition au camp opposé. Ces oppositions, qu’elles que soient leurs expressions, s’inscrivent dans le registre général de l’opposition du bien et du mal. Chaque camp va stigmatiser le camp d’en face comme celui du « mensonge », de l’erreur, du manque de courage ou de sens de l’intérêt général. Le discours politique va donner du sens à cette réduction de la complexité en une série d’oppositions binaires simplificatrices : il va y ajouter la composante idéologique, avec un vocabulaire connoté qui exerce un puissant effet de rappel politique et idéologique pour les électeurs. Ainsi, en 2012, la désignation par la gauche de Nicolas Sarkozy comme « le président des riches » appartient clairement à ce registre ; ou encore lorsque, dans son meeting de campagne du 1er mai 2012 au Trocadéro, Nicolas Sarkozy s’en prenait au « drapeau rouge ». Le Front national n’échappe pas à cette simplification du discours politique en oppositions binaires, en adoptant une posture d’opposition au système « UMPS » (renommé par Florian Philippot le système « l’RPS ») et plus généralement d’opposition entre « le peuple » et « les élites ».

Qualifier son challenger ou son adversaire principal de « menteur » ou d’incompétent n’est donc pas quelque chose de nouveau. Mais en l’occurrence, cela montre plusieurs éléments très intéressants de cette rentrée politique 2015 : Nicolas Sarkozy fait cette déclaration dans un quotidien régional, sans doute pour contre-balancer les photos de Paris-Match avec Carla Bruni ; au cours de cette interview il se pose (à travers le cas des listes régionales corses) clairement et une fois encore en rassembleur de sa « famille » politique, avant tout préoccupé de ce rassemblement et de l’unité de son camp ; puis c’est en fin d’interview qu’arrivent les critiques fortes contre la réforme territoriale et contre la politique de François Hollande sur la Russie ou la crise porcine (et de Manuel Valls que Nicolas Sarkozy prend soin de mettre dans le même sac), se concluant par l’opposition entre le « mensonge » (François Hollande et Manuel Valls) et la « vérité qui saute aux yeux » à l’aide d’une phrase millimétrée : « cela fait trois ans que François Hollande et Manuel Valls nous expliquent que ça va aller mieux, que le chômage va baisser, que la croissance va revenir, que les Français vont payer moins d'impôts. Trois ans qu'ils se trompent ou qu'ils mentent aux Français ». Cette phrase a été choisie afin de donner le tempo de la rentrée politique ; elle donne à voir la ligne d’attaque qui sera celle de Nicolas Sarkozy contre François Hollande et qu’il mettra déjà en œuvre lors de la campagne de la primaire de 2016. Il s’agira pour Nicolas Sarkozy d’apparaître à la fois comme celui qui a « mouillé sa chemise » (celui qui a redressé sa famille politique), qui a conduit son camp à une série de victoires électorales lors des scrutins intermédiaires et qui a cogné le plus fort contre François Hollande. Au passage, cette triple posture voudra incarner un antiportrait d’Alain Juppé, « candidat des médias » et qui n’a pas « mouillé sa chemise » en préférant « l’opinion » au « parti ».

A quels électeurs Nicolas Sarkozy fait-il appel en jouant sur cette corde ? S'agit-il de remobiliser le centre face à la gauche ?

Bruno Jeudy : Aujourd’hui le leader des Républicains cherche d’abord à consolider le cœur de l’électorat de droite, particulièrement anti-Hollande, de manière à éviter qu’il ne soit séduit par les sirènes juppéistes. 

Bruno Cautrès : Comme je viens de l’expliquer, je pense que ces propos de Nicolas Sarkozy sont avant tout destinés à montrer aux électeurs, notamment ceux de la droite puis du centre, qu’il est bien le leader et le chef de l’opposition. Il s’agit également de montrer aux militants des Républicains que la machine Sarkozy n’est pas au repos, que les vacances sur la plage ont simplement permis de recharger les batteries afin de se remettre à cogner fort sur François Hollande. Cela permet aussi à Nicolas Sarkozy de montrer que c’est toujours lui qui imprime son rythme au calendrier politique, un jour avant le Conseil des ministres de la rentrée et en amont des universités d’été des partis politiques. Le thème du « mensonge » et des promesses non-tenues peut rencontrer un écho important auprès des militants des Républicains qui ne portent pas François Hollande dans leur cœur ; il est plus difficile de savoir quel écho ce thème va rencontrer chez les électeurs du centre-droit. Mais on peut voir que Nicolas Sarkozy veut préempter ce thème (dire la vérité aux Français, une autre manière de dire qu’il avait raison en 2012 mais que François Hollande a su séduire sur des « mensonges ») sur lequel tant Alain Juppé que François Fillon veulent également se positionner.

Quel risque y a-t-il à critiquer ainsi sans proposer pour autant des alternatives à travers un programme par exemple ? 

Bruno Jeudy : A court terme le risque est que François Hollande obtienne des résultats économiques d’ici à la fin 2016 et que les critiques de Nicolas Sarkozy sur l’inefficacité de la politique économique du président actuel, ses mauvais choix et ses promesses non tenues ne résistent pas à l’épreuve des faits. Si le président de la République finissait par obtenir des résultats, la rudesse des attaques de Nicolas Sarkozy pourraient alors, sinon se retourner contre lui, le mettre en difficulté puisque sa tâche consiste surtout aujourd’hui à attaquer François Hollande plus qu’à bâtir un programme. Il a néanmoins promis de le faire dans l’année qui vient…

Bruno Cautrès : C’est effectivement là le risque pour Nicolas Sarkozy. Même si la popularité de François Hollande est toujours très basse, « l’anti-Hollandisme » ne sera pas en 2017 un phénomène d’opinion suffisamment puissant pour se suffire à lui-même. L’image de François Hollande dans l’opinion s’est un peu redressée depuis sa gestion des attentats du mois de Janvier même si de nombreux électeurs continuent de douter qu’il tient bien son rôle de Président, qu’il est « fait pour le job » et qu’il obtiendra des résultats économiques.

Si c’est bien l’intérêt de Nicolas Sarkozy d’apparaître comme le leader de l’opposition en n’épargnant pas François Hollande, voire en adoptant une posture agressive à son égard, cela ne peut lui suffire pour gagner la primaire de 2016 puis la présidentielle de 2017. Il serait même contre-productif pour lui de laisser entretenir l’idée qu’il cherche à se « venger » ; c’est d’ailleurs sans doute un angle d’attaque qu’adoptera le PS si Nicolas Sarkozy est désigné à l’issue de la primaire. Pour euphémiser cette donnée de l’équation délicate que tente Nicolas Sarkozy, il lui faut sans doute expliciter deux éléments : ce qu’il a retenu de ses propres erreurs et le programme que sa triple expérience (avoir été Président, au plus fort de la crise financière, et avoir été battu) lui permet de proposer aux Français. La présidentielle française, dans le cadre de la Vème République, est une élection qui repose fondamentalement sur la capacité du candidat vainqueur à tracer un puissant sillon qui montre une perspective et qui pose un diagnostic sur le pays renvoyant à des représentations sociales et à des expériences vécues des Français. Nicolas Sarkozy ne pourra pas à la fois stigmatiser le fait que François Hollande ait voulu détricoter ses réformes et vouloir faire table rase de la période 2012-2017.

La tâche sera de toute façon tout aussi difficile pour les deux présidents, l’actuel et l’ancien : François Hollande a déjà utilisé en 2012 le fusil à un seul coup des promesses (« le changement c’est maintenant ») et il sera confronté à la même difficulté que Nicolas Sarkozy en 2012, à savoir justifier et convaincre du besoin impératif d’un second mandat. Les électeurs ne sont plus ceux des années Mitterrand (la crise et la mondialisation ont fait sentir leurs effets) et la reconduction du Président pour un second mandat est tout sauf une évidence à leurs yeux.  Nicolas Sarkozy devra de son côté, s’il était désigné, également convaincre sur ce point fondamental. L’exercice ne serait pas moins difficile pour Alain Juppé qui pourtant n’a pas encore été Président mais a déjà détenu tous les autres mandats et qui devra bien porter le programme des Républicains et convaincre sur ce programme s’il était désigné. Au fond, tous seront ou seraient confrontés au même problème : convaincre de leur capacité à sortir de la machine à faire des promesses, de leur compréhension des raisons pour lesquelles les électeurs les renvoient dos à dos sur la question du « mensonge ».Un sacré challenge, pour une génération d’hommes politiques que les électeurs connaissent déjà sous tous les angles.

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