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L'avenir de Salto est menacé.
L'avenir de Salto est menacé.
©(RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP

SVOD

Les actionnaires de M6 ont acté le retrait au capital de Salto et TF1 est également sur le départ, selon La Lettre A et des informations du Monde. France Télévisions serait également en train d’envisager d’abandonner l’aventure.

Julien Pillot

Julien Pillot

Julien Pillot est Enseignant-Chercheur en économie (Inseec Grande Ecole) / Chercheur associé CNRS.

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Atlantico : On sait que les plateformes du numérique ont parfois du mal à trouver leur business model et mettent du temps à devenir rentable. Avons nous trop tendance à couper les ailes des projets par manque de courage ? De fonds ? Ou d'esprit d'entreprendre ?

Julien Pillot : En matière de plateforme de streaming par abonnement (SVOD), le temps de la découverte et du "test & learn" est révolu. Si l'exercice consistant à dégager une rentabilité nette n'est pas aisé, les bonnes pratiques pour gagner/fidéliser des abonnés et les monétiser sont plutôt bien identifiées. Que ce soit en matière d'ergonomie, de recommandations algorithmiques, d'équilibrage de la grille de programmation, de promotion de contenus exclusifs, de stratégie de distribution multi-canaux, ou de tarification étagée (selon le nombre d'écrans ou de qualité de l'image souhaité), Netflix a clairement montré la voie... et a été tout aussi clairement imité dans bien des aspects par la quasi-totalité des acteurs du marché.

Ce qui fait la différence, c'est donc essentiellement le positionnement stratégique de la plateforme et le contenu proposé. Concernant le positionnement stratégique, Salto a fait le choix d'être une offre complémentaire, d'abord dédiée aux gros consommateurs de TV. Les promoteurs de Salto ont donc d'emblée visé une "niche" dont ils ont probablement surestimé la profondeur (en témoigne un nombre d'abonnés payants décevant après deux ans d'exploitation) et qui va peut-être devoir effectuer des arbitrages de consommation dans les prochains mois en raison du choc inflationniste et récessif qui touche l'économie. Un tel contexte n'est en effet pas favorable aux "offres de complément" qui sont les premières à être sacrifiées sur l'autel du pouvoir d'achat. Concernant les contenus, ils ne sont probablement pas perçus comme suffisamment attractifs pour qu'une masse conséquente d'utilisateurs fasse le choix de s'y abonner. Sans doute ne sont-ils pas perçus comme assez différenciés au regard des grilles de programmes des chaînes actionnaires, dont le service linéaire comme de replay est aisément et gratuitement accessible par ailleurs. Quant aux contenus exclusifs, leur production ou acquisition coûte cher et leur monétisation est plus incertaine sur une plateforme de quelques centaines de milliers d'abonnés, que sur une chaîne de TV pouvant encore massifier les audiences et valoriser ses espaces publicitaires. 

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Est-il possible que les chaînes ne se soient pas données les moyens de donner une chance réelle à Salto ?

Dans le cas de Salto, deux problèmes majeurs se sont faits rapidement jour selon moi.

D'une part, nous l'avons compris, la SVOD est une activité intensive en capital, à plus forte raison dans un univers concurrentiel marqué par la présence de groupes puissants et à la visibilité internationale. Pour constituer durablement une offre compétitive, il faut donc consentir durablement un effort d'investissement conséquent. Or, les trois actionnaires de Salto ont d'autres urgences à gérer. La fusion avortée entre TF1 et M6 oblige à une réorganisation et à revoir les priorités d'investissement. De son côté, France TV connaît quelques difficultés pour boucler son budget dans un contexte où la dotation de l'Etat à l'audiovisuel public ne suit pas l'inflation. Dans un cas comme dans l'autre, Salto peut être perçu comme un centre de coûts difficilement justifiable en ces temps troublés.

D'autre part, on peut s'interroger sur le problème de gouvernance que peut poser une organisation pilotée de façon tripartite, par des acteurs aux statuts très différents (public v. privé) et aux intérêts stratégiques délicats à aligner. De manière générale, les trois actionnaires n'ont jamais montré une réelle appétence pour la SVOD, activité plus éloignée de leur cœur de métier qu'il n'y paraît.

Malgré tout, si les actionnaires actuels réussissent leur stratégie de sortie, ils peuvent donner une chance à Salto. On l'a vu avec Molotov racheté l'an dernier par l'américain FuboTV : Salto peut avoir de la valeur pour un acteur robuste sur le plan capitalistique, et dimensionné pour faire de l'agrégation de contenus. D'autant que la base d'abonnés de Salto, aux profils particuliers puisqu'il s'agit de gros consommateurs de contenus TV, peut avoir de la valeur pour compléter une offre existante. Je ne serais pas complètement surpris si on apprenait dans les prochains mois qu'un acteur tel que Canal Plus (groupe Vivendi) se déclarait intéressé par la reprise de tout ou partie des activités de la plateforme...

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