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Saint Silvio martyr : comment la condamnation de l’ex-Cavaliere à des travaux d’intérêt général pourrait lui être bénéfique politiquement
©REUTERS/Giampiero Sposito

Toujours là

Condamné à une peine on ne peut plus symbolique, Silvio Berlusconi, le roi du marketing politique italien, pourrait encore une fois tirer parti de ses mésaventures pour mieux revenir.

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto

Giorgio Pedronetto, diplômé en Sciences Politiques (Université de Turin), a d’abord travaillé pour différents organismes parapublics italiens et français avant de rejoindre le secteur financier où il s’occupe de marketing. Historien passionné et très attentif aux évolutions politiques, il rédige depuis environ trois ans un blog d’opinion : « Un regard un peu conservateur ».

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Fin de course ou tour de chauffe ?

Le verdict tant attendu est enfin tombé. Autant redouté par une partie de l’Italie, autant invoqué par l’autre, voici enfin que les termes de la peine infligée à Silvio Berlusconi, condamné l’année dernière en voie définitive pour fraude fiscale, sont connus : l’ancien chef du gouvernement devra se consacrer à des travaux d’intérêt public dans une maison de repos pour personnes âgées. La peine prévoit d’être purgée de la façon suivante : une fois par semaine, pour au moins quatre heure, pendant un an. Faut-il lire dans cela la disparition finale de M. Berlusconi de l’horizon politique ou son dernier et génial coup de théâtre ? Analysons les événements : en septembre de l’année dernière il est reconnu coupable par la dernière instance du système judiciaire italien et le parlement est appelé à statuer sur sa déchéance du Sénat. Le gouvernement de coalition d’Enrico Letta risque de sombrer suite à la défection de l’aile dure du Popolo della Libertà, le parti berlusconien, qui menace de retirer son soutien en cas d’expulsion de son leader charismatique. La suite est bien connue : sécession au sein de la droite italienne qui génère d’un côté l’émergence du Nuovo Centro Destra d'Angelino Alfano, lequel maintient son soutien au gouvernement, et la résurrection autour de Silvio Berlusconi de Forza Italia, la marque historique des jours de gloire de 1994, qui s’installe à l’opposition. Le gouvernement Letta vivra encore quelques mois mais, affaibli, sera cannibalisé par le très vorace Matteo Renzi, lequel n’hésitera pas à relégitimer Silvio Berlusconi comme interlocuteur politique valable afin de reformer le système politique italien.

Les services sociaux, pendant un an vont-ils sonner le glas de toute revanche politique de l’ancien président du Conseil, alors que son fauteuil est désormais occupé par le remuant Renzi ?

Condamné au cours de la Semaine Sainte, ressuscité à Pâques ?

En réalité, la peine que M. Berlusconi doit purger est extraordinairement légère par rapport aux chefs d’inculpation et semble infirmer le credo toujours brandi comme un étendard par son camp, c’est-à-dire le complot des juges « communistes » à ses dépends : un jour par semaine, pendant quatre heure, pour un an. Ce qui revient à un total de 208 heures, soit, en considérant une journée de travail de 8 heures, à 26 jours au total… Si cela n’est pas de la mansuétude, elle lui ressemble beaucoup. Faut-il y voir une intervention cachée et puissante de quelque pouvoir, désireux de se garantir l’appui de Forza Italia sans trop se découvrir, comme cela en revanche aurait été le cas avec la concession d’une grâce ? Nous nous abstiendrons de toute élucubration à ce sujet, bien que la surprise demeure, et concentrerons notre analyse sur les effets que l’expiation de la peine va provoquer.

Dans le camps de ses fidèles, le fait de voir Silvio Berlusconi devoir se plier aux contraintes des travaux d’intérêt général dans une maison de repos ne manquera pas de susciter une indignation frémissante : « Regardez notre héros, trainé dans la boue, humilié, obligé à des travaux indignes, tel un pénitent moyenâgeux… ! ». La cote d’amour de l’ancien leader va augmenter sensiblement auprès de ses supporters ; lui-même saura en tirer tous les bénéfices nécessaires. En examinant les postures adoptées dans le passé, nous pouvons imaginer qu’il se présentera aux yeux des Italiens (et nous parions que cela se fera d’une façon très médiatique, avec grande profusion de reportages photographiques et d’autres supports) en disant : « Regardez-moi ! Moi, ancien Président du Conseil, chef d’un parti, bâtisseur d’un empire… Moi, qui ai dialogué de pair à pair avec Obama, Poutine et Cameron, me voici obligé à des travaux qui pourraient être considérés indignes… Mais je les assume avec le sourire, parce-que cela me permet d’être auprès des exclus, de ceux qui souffrent (n’oublions pas que certaines des phrases favorites de Berlusconi ont été « l’amour gagne toujours » et « nous sommes le parti de l’amour »), je leur apporte de l’amour, avec humilité… ». Voici le coup de génie ! N’avez-vous pas l’impression d’entendre le pape François ? Le champion du marketing qu’il a toujours été se réveille encore une fois. Dans les années 90, fatiguée par la Première République, son inefficacité et ses scandales, l’Italie rêvait d’une révolution libérale et souhaitait, au moins dans les mots, un peu de reaganisme et de thatchérisme. Berlusconi lui apporta ce rêve, en créant un parti ex nihilo, étudié sur la base des souhaits des électeurs – consommateurs, tout comme, à partir des années 60, leur avait donné des appartements dans des quartiers modèles périurbains et des loisirs télévisuels.

Aujourd’hui, dans une phase de lente et laborieuse sortie de crise, les mots du pape François séduisent. Son appel à une approche de la vie plus humble, son refus de la pompe ecclésiastique, ses gestes vers les déshérités enchantent des foules en plein désir de catharsis spirituelle… Berlusconi a bien senti cette tendance de fond et il est prêt, encore une fois, à donner aux consommateurs le produit qu’ils voulaient et attendaient. Mais le discours berlusconien ne s’arrêtera pas à une démonstration d’humilité. Car la véritable force du message sera : « J’expie une peine que je n’ai pas mérité, car je suis innocent ». Maintenant, la comparaison ne peut même plus se faire avec le pape François, Silvio Berlusconi se veut l’égal du Christ !

Tout s’annonce positivement pour Silvio Berlusconi, d’autant plus qu’il sera libre d’aller et venir de Rome pour guider Forza Italia et diriger la campagne électorale, et surtout de préparer le terrain pour d’autres élections, qui en Italie ne sont jamais lointaines. Berlusconi, c’est fini ? Absolument pas, et tous, Matteo Renzi en premier, devraient y songer.

Grandeurs et misères du parti personnel

Plus problématique nous semble être l’avenir de la droite italienne (et, pour certaines similitudes, celui de la gauche aussi). Dans les semaines qui ont précédé la détermination de la peine de Silvio Berlusconi, son parti a été secoué par des discussions concernant la permanence de son nom dans le logo. Etait-il possible de le conserver, alors qu’il était inéligible pendant au moins un an ? Quel allait être l’impact sur les électeurs d’un symbole et de listes privés du nom magique ? Renato Brunetta, l’un des ténors du parti, s’est même avancé jusqu’à dire que « Berlusconi est une marque »… Les élucubrations des chefs du parti les ont même conduits à envisager une succession familiale, avec l’un des enfants Berlusconi à la tête du parti (propositions sagement rejetées pas les intéressés, accaparés par la gestion de l’empire industriel familial) : chef de droit divin, « parce-que Berlusconi », tel Louis-Philippe d’Orléans, roi en 1830 « parce-que Bourbon » ?

Cela est inquiétant pour l’avenir de la droite italienne. Revenons au marketing : quand un produit ou un modèle fait la fortune d’une société, cela peut se révéler dangereux : après un certain nombre d’années, le produit « miracle » finira par perdre de la vitesse et voir son attrait auprès des consommateurs se réduire. Si une solution de rechange n’est pas anticipée, un grand vide s’ouvrira, occupé par les concurrents. Si la droite italienne demeure identifiée avec Berlusconi, sa disparition (il aura 78 ans en septembre) provoquera également celle de son parti. Le Nuovo Centro Destra di Angelino Alfano est né d’une scission à l’automne 2013 et n’a jamais affronté les urnes ; sera-t-il une alternative crédible ou sera-t-il balayé de la scène politique, comme cela est arrivé à tant d’autres anciens alliés de Berlusconi ?

Pendant longtemps il a été reproché à la gauche italienne de n’avoir aucun programme, son seul objectif étant de « battre Berlusconi ». Aujourd’hui, si la droite puise sa raison d’être dans le fait d’ « être le  parti de Berlusconi »,  sa survie est lourdement compromise. Avec ses divisions et ses luttes intestines, la droite française sera certes critiquable, mais au moins elle ne vit pas comme le « parti de Sarkozy ».

Paradoxalement la gauche italienne semblerait s’acheminer dans la même direction ; après des années de leadership terne (les seuls leaders avec un peu de relief datent des années 80, avec Bettino Craxi pour les socialistes et Enrico Berlinguer pour les communistes), ses sympathisants semblent vouloir se confier corps et âme à Matteo Renzi (qui toutefois ne fait toujours pas l’unanimité parmi les organes de son parti), avec les risques de dérives semblables à celles de la droite...

Le mythe de l’homme de la Providence est dur à mourir et la personnalisation à outrance de la vie politique italienne a encore des beaux jours devant elle.

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