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Roland Dumas : "Vis-à-vis de l’Allemagne, il ne sert à rien de prendre des positions de matamore pour ensuite les abandonner"
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Contre-productif

A la veille du sommet européen de ce jeudi, François Hollande reçoit Angela Merkel. Ancien ministre des Affaires Etrangères sous François Mitterrand, Roland Dumas porte un regard critique sur l'attitude du président socialiste à l'égard de l'Allemagne.

Roland Dumas

Roland Dumas

Roland Dumas est un avocat et homme politique.

Proche de François Mitterrand, il a été plusieurs fois ministre, des Relations extérieures de 1984 à 1986 et des Affaires étrangères de 1988 à 1993.

Il a ensuite présidé le Conseil constitutionnel de 1995 à 2000.

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Atlantico : Le sommet européen s’ouvre ce jeudi. Vous avez été ministre des Relations extérieures et des Affaires étrangères sous François Mitterrand. Considérez-vous que les dirigeants politiques européens actuels sont à la hauteur des enjeux de cette crise particulièrement aigüe ?

Roland Dumas : Ca m’est difficile de juger. Ce que je peux dire c’est qu’il est très maladroit de poser des conditions qui ressemblent à des rodomontades. Quand on connait les rapports internes à l’Europe, on sait que ce n’est pas ainsi qu’il convient de procéder. L’attitude des différents pays européens vis-à-vis de l’Allemagne – je pense notamment à celle de la France - est dérisoire : l’Europe ne fonctionne bien que lorsque ces deux pays fonctionnent bien. Il ne sert à rien de prendre des positions de matamore pour ensuite les abandonner. Je trouve cela préjudiciable à la bonne marche de l’Europe.

Surtout, ce discours reste confiné à de simples paroles. Les positions de part et d’autre s’affinent. Notamment côté français : il n’est désormais plus question de réviser les traités. On va se contenter d’un réaménagement des crédits qui existent. On parle par exemple d’un déplacement des fonds structurels. La renégociation du traité est donc morte, ce n’est pas la peine d’en faire des choux gras et de laisser penser qu’il y a un profond malaise entre la France et l’Allemagne.

Vous pensez notamment à la question des eurobonds dont Jean-Marc Ayrault a convenu la semaine passée, après les avoir défendus lors de la campagne présidentielle, qu’elle prendrait sans doute « des années » avant d’être mise en place ?

Exactement. Toutes les autres questions sont sur le même chapitre.

Quel regard portez-vous sur le couple Hollande/Merkel ? S’inscrit-il dans la longue lignée des couples de dirigeants franco-allemands qui ont favorisé la construction européenne ?

Il est exact que dans le passé les couples de dirigeants franco-allemands ont toujours bien fonctionné, y compris lorsqu’ils appartenaient à des partis politiques opposés. Je pense notamment à Valéry Giscard d’Estaing / Helmut Schmidt ou François Mitterrand / Helmut Kohl.

Il existait une ligne de crête entre les deux pays qu’il ne faudrait pas donner l’impression d’abandonner. Cela aurait des répercussions politiques, psychologiques et presque métaphysiques sur le reste de l’Europe : quand l’entente franco-allemande fonctionne bien le reste de l’Europe fonctionne. A l’inverse, quand ce n’est pas le cas, l’Europe patine.

Avec l’Allemagne, il faut être ferme sans insolence. Lorsque j’étais ministre des Affaires étrangères, je rencontrais mon homologue allemand trois fois par semaine. Je constate qu’aujourd’hui ce rythme de rencontres n’est pas le même.

Précisément, pour quelles raisons la construction européenne passe-telle inévitablement par le couple franco-allemand ?

C’est un état de fait depuis le début de la construction européenne : les grandes puissances de la réconciliation sont la France et l’Allemagne. Ce sont elles qui ont « inventé » - au sens juridique du mot – la construction européenne. L’Angleterre est à part.

Comment expliquez-vous qu’à l’instar de Nicolas Sarkozy qui s’était notamment tourné lors de son début de quinquennat vers Londres et Madrid, François Hollande semble lui-aussi délaisser le couple franco-allemand en se rapprochant de l’Espagne et l’Italie ?

Tous les nouveaux Présidents de la République pensent découvrir la lune, puis se font à la réalité. Le couple franco-allemand reste la base de l’Europe. Nous n’avons pas les moyens de faire autrement.

Par ailleurs, plutôt que d’amuser la galerie en prétendant innover, peut-être serait-il préférable d’étudier les traités européens et de les appliquer. Et plutôt que de redécouvrir ces choses, peut-être serait-il préférable de s’interroger sur les raisons pour lesquelles nous nous en sommes écartés… En vérité, nous avons préféré pendant longtemps un laxisme agréable à une rigueur qui l’était moins.

On prétend, par exemple, qu’il va y avoir un droit de regard de l’Europe sur les budgets des différents Etats membres, mais c’était déjà présent dans le Traité de Maastricht : lorsqu’un pays constatait qu’un autre Etat membre se comportait mal, il pouvait en référer aux autorités européennes. Même chose pour la règle d’or : le plafond des 3% de déficit public était déjà présent dans ce traité.

Vous semblez plus critique vis-à-vis de François Hollande que d’Angela Merkel…

Je crois que vous n’interprétez pas mal ma pensée... Mon pays reste mon pays, mais on devrait au moins écouter ce que dit Madame Merkel : ce n’est pas dénué de bon sens…

Mais ne tirez-vous pas contre votre propre camp ?

Quand mon pays sombre, je le dis.

Vous étiez ministre des Affaires étrangères lors de la chute du mur de Berlin. De quelle façon la réunification allemande, qui avait laissé François Mitterrand un temps dubitatif, a-t-elle influé sur la construction européenne ?

La réunification correspondait à un immense problème né avec la Guerre auquel il a fallu trouver une solution. Celle-ci a été très couteuse pour l’Allemagne. Kohl a voulu une parité politique du Deutschmark qui ne correspondait pas à une réalité économique : un deutschmark Est-allemand a été posé comme l’équivalent d’un Deutschmark Ouest-allemand, alors que le rapport n’était pas celui-là. Ce fut donc une épreuve politique et une charge économique. L’Allemagne l’a supportée.

Reste que ce n’est pas la réunification allemande qui pèse sur l’Europe, mais des problèmes nouveaux : la Grèce, l’Italie, Chypre, etc. Ce n’est pas parce qu’on a fait l’unification allemande que les choses dégénèrent, c’est parce que l’on n’a pas su respecter les conditions dans lesquelles on avait décidé de faire une unification honnête, sensible et contrôlée à Maastricht. On a préféré le laisser-aller confortable, à des mesures sérieuses de contrôle. La faute en incombe aussi bien aux dirigeants allemands qu’aux dirigeants français de l’époque.

Quid des rapports entre les Etats-Unis et l’Europe ? On sait que même les pères fondateurs de la construction européenne étaient sous influence américaine…

Les Etats-Unis ne s’intéressent que mollement à l’Europe. Ils se préoccupent beaucoup plus de l’Extrême et du Proche Orient. La construction européenne se développe devant eux, si l’Europe reste dans l’OTAN, ils sont satisfaits. Je regrette d’ailleurs qu’il n’y ait pas eu de débat autour de la position française dans l’OTAN lors de la campagne présidentielle.

Le document de compromis rédigé à Bruxelles en vue du sommet européen et publié ce mardi semble pousser vers un fédéralisme européen accru. Y êtes-vous favorable ?

Le fédéralisme européen, c’est le Monstre du Loch Ness : il revient régulièrement sur le devant de la scène. J’y suis favorable depuis très longtemps. Tout ce qui peut être fait pour aller dans ce sens est une bonne chose. La création d’un « procureur de l’Etat » pour unifier les différentes procédures pénales européennes serait ainsi une bonne chose.

C’est par petite touche que l’on parviendra à réaliser un fédéralisme européen. Cela doit être le couronnement de la pensée européenne. Les Etats-Unis d’Europe chers à Victor Hugo restent toujours pertinents… mais ils ne sont pas pour demain.

Propos recueillis par Aymeric Goetschy

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