RN / LFI : le match du danger (ou non) démocratique<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon
©JOEL SAGET / AFP

Champ républicain

Entre le Rassemblement national et La France insoumise, qui représente le plus grand danger démocratique ? Petits éléments de réponse en sept points clés.

Philippe Fabry

Philippe Fabry

Philippe Fabry a obtenu son doctorat en droit de l’Université Toulouse I Capitole et est historien du droit, des institutions et des idées politiques. Il a publié chez Jean-Cyrille Godefroy Rome, du libéralisme au socialisme (2014, lauréat du prix Turgot du jeune talent en 2015, environ 2500 exemplaires vendus), Histoire du siècle à venir (2015), Atlas des guerres à venir (2017) et La Structure de l’Histoire (2018). En 2021, il publie Islamogauchisme, populisme et nouveau clivage gauche-droite  avec Léo Portal chez VA Editions. Il a contribué plusieurs fois à la revue Histoire & Civilisations, et la revue américaine The Postil Magazine, occasionnellement à Politique Internationale, et collabore régulièrement avec Atlantico, Causeur, Contrepoints et L’Opinion. Il tient depuis 2014 un blog intitulé Historionomie, dont la version actuelle est disponible à l’adresse internet historionomie.net, dans lequel il publie régulièrement des analyses géopolitiques basées sur ou dans la continuité de ses travaux, et fait la promotion de ses livres.

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Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Respect des institutions et du parlementarisme

Didier Maus : Officiellement, ils sont tous parlementaristes. Ils demandent tous à agir au sein du Parlement. Dans la réalité, cela risque d'être plus compliqué. Si l'hypothèse que vous évoquez se réalise, tout parti politique ou toute majorité qui arrive au pouvoir a envie d'aller vite et le Parlement est une machine beaucoup plus lente, ne serait-ce que pour des raisons de procédure. L'Assemblée nationale et le Sénat ne sont vraiment pas un accélérateur de procédure, sauf circonstances très très particulières. Il y a un risque de conflit. A l'Assemblée nationale, dans l'hypothèse que vous évoquez d’une victoire du RN ou de LFI aux législatives, il est probable qu'il y aura une très forte obstruction de ceux qui resteront et qui ne sont pas dans la majorité. Le paysage parlementaire risque d’être un peu chahuté.

Philippe Fabry : Concernant le parlementarisme, le problème est que dans notre pays, il a été extrêmement abîmé par 60 ans de pratique de la Ve République. Après les périodes de cohabitation, disons depuis les 20 dernières années, il y a vraiment eu une évolution vers l'hyper présidence. Le principal ennemi du parlementarisme ces dernières années a été plutôt Emmanuel Macron qui a de plus en plus fait en sorte de gouverner sans le Parlement. Sur le respect du parlementarisme, je ne saurais pas dire si le Rassemblement national est plus respectueux. En revanche, le RN est plus légaliste que LFI. La France insoumise a hérité malgré tout d'une tradition révolutionnaire. Jean-Luc Mélenchon parle beaucoup de VIe République. Ce projet est toujours présenté comme étant un régime censé devenir plus parlementaire.Cette idée a été mentionnée notamment pendant la réforme des retraites. Mais le parlementarisme vu par l'extrême gauche correspond au régime d'assemblée avec une assemblée unique, ce qui en général dégénère plutôt en dictature d'assemblée. Concernant le respect des institutions, cela serait plutôt du côté du Rassemblement national, qui ne déploie pas d’actions révolutionnaires. Le parallèle qui est souvent fait avec le fascisme ne tient pas dans la mesure où il n'y a pas de milices RN dans les rues, il n'y a pas d'affrontements de ce type-là. Il y a véritablement un respect des institutions.

Valeurs de la République

Philippe Fabry : Du côté de LFI, il y a une volonté d'aller chercher de nouveaux droits pour un certain nombre de minorités. Le Rassemblement national est l'héritier d'une tradition politique réactionnaire et conservatrice. Il a eu tendance à devenir plus conservateur que réactionnaire sous Marine Le Pen. Il est animé par une nostalgie où le régime était stable et relativement libéral avec le respect de la Constitution et des valeurs de la République. La menace n'est pas du côté du Rassemblement national. Souvent, le danger du RN est comparé à Viktor Orban par exemple. Mais la situation est très différente en réalité, parce que Viktor Orban est finalement le premier dirigeant important dans un pays qui faisait sa première expérience démocratique au sortir de la chute de l'Union soviétique. En ce qui concerne le Rassemblement national, quand il se réfère au passé, il se réfère à un passé qui était déjà démocratique en France. Donc l'attachement à la démocratie, aux valeurs de la République est réel. 

En revanche, du côté de LFI, il y a profondément une volonté de changement et vers des choses dont on ignore un peu en quoi elles consisteraient.

Didier Maus :Le RN et LFI ne portent pas dans leur cœur le bloc de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel et tout ce qui s'est développé dans le droit en droit européen, que ce soit au sein de l'Union européenne ou à travers la Convention européenne des droits de l'homme. Il n’est pas possible de changer cela du jour au lendemain. Cela continuera à s'imposer. Les normes juridiques ne changent pas du jour au lendemain, si tant est qu'on puisse les changer. Il risque donc d'y avoir une frustration, une voix assez discordante rapidement chez LFI ou le RN en cas de victoire.

Dignité de la personne humaine

Didier Maus :La dignité de la personne humaine est une valeur constitutionnelle. La gauche est plus attachée à une interprétation souple de la dignité de la personne humaine. Le Rassemblement national penche plutôt vers des interprétations rigides puisqu’il a un programme qui est dans l'ensemble rigoriste.La dignité de la personne humaine ne sera pas retirée de la Constitution.

Philippe Fabry : Cette question est très compliquée et revient presque à sonder les reins et les cœurs. Il y a une différence dans la façon de voir la défense de la personne humaine. Cela est toujours visible dans le clivage politique. Il n’est pas possible de considérer que la droite est plus morale que la gauche. Fondamentalement, ce sont deux visions différentes et des priorités différentes. La vision du Rassemblement national était plus centrée sur la défense des personnes dans le cadre de la société nationale, même à travers l'idée de préférence nationale, ce n'est pas tellement un mépris vis-à-vis de l'étranger qui s'exprime qu'une perception selon laquelle il faut commencer par protéger ce qui est ici, ce qui existe et les gens qui sont proches avant de protéger l'étranger, parce que sinon, on risque de tout compromettre. Telle est la crainte qu'il y a dans le conservatisme réactionnaire. 

Du côté de la gauche de manière générale, il y a la recherche d'une protection plus large de la personne humaine, et notamment de l'étranger, à l'égal du national. Cela justifie de prendre des risques, voire de nier l'existence de ces risques en disant qu’ils sont minimes, notamment les risques liés à la délinquance des personnes issues de l'immigration qui sont considérés comme minimaux par rapport à l'apport de l'immigration et à l'importance de la nécessité de s'occuper des réfugiés. 

Tolérence envers des personnalités troubles

Philippe Fabry : Il n’y a que le RN qui a dû faire un effort de détachement du passé. Par définition, en général, les partis de gauche n'ont pas à faire le travail de libération et de droit d’inventaire du passé. Il n'y a jamais eu de Nuremberg du communisme. La gauche ne se sent jamais coupable des choses qu’elle a faites par le passé. La droite essaie de le lui imposer en faisant des livres noirs de la gauche ou de réfléchir sur le passé sombre de la gauche. Mais la gauche s'estime toujours en rupture avec le passé. Elle estime qu’elle n’a pas à devoir assumer le passé, alors que du côté de la droite, c'est le contraire. La droite se fonde justement sur la conservation et l'héritage. Elle est donc confrontée en permanence à son passé. C'est aussi une faiblesse dans le discours politique parce qu'elle est obligée constamment d'assumer le passé alors que la gauche ne se soumet pas au même exercice. 

Didier Maus :Ces deux partis sont fondamentalement différents en termes d'orientation politique et d'équilibre en leur sein. Si le Rassemblement national gagne, il y aura quelque chose d'assez homogène, même s'il n'est pas majoritaire. C'est une formation politique plutôt homogène. 

Actuellement, la gauche nouveau Front populaire est une formation hétérogène d'ores et déjà puisqu'elle a quatre composantes et que l'une d'entre elles, LFI, pose problème. Il devrait donc y avoir plus de cohérence à droite qu'à gauche.

Si l’une de ces deux formations approche de la majorité, elle devra trouver des alliés. Le poids des alliés politiques devient nettement supérieur à leur importance proportionnelle. S'il manque cinq députés pour faire une majorité, cela n'aura aucune espèce d'importance. Il sera plus facile d’atteindre cette majorité que s’il manque 30 députés. Cela est beaucoup plus compliqué et cela impose une aventure collective.

Prise de distance vis-à-vis de son passé

Didier Maus :Du côté du RN, Marine Le Pen a tout fait pour rompre avec les origines du Front national. Elle a été aidée par le mouvement des générations. Il y a de moins en moins de personnes marquées par la mémoire de l'Algérie française.

A gauche, le problème est de savoir quelles composantes seront intégrées. Le Parti socialiste, les Verts n'ont pas à rompre avec un quelconque passé. Le Parti communiste a besoin de rompre avec son passé stalinien mais les électeurs ont tourné cette page. 

Concernant Les Républicains, il est difficile de comprendre comment cette force politique qui se réclame du général De Gaulle arrive à pactiser avec ceux qui se sont réclamés longtemps du maréchal Pétain.

Dangers pour les institutions en cas de victoire

Didier Maus :Jean-Luc Mélenchon plaide pour une VIe République dont il est difficile de cerner les contours. Marine Le Pen a exprimé certaines critiques envers des éléments très négatifs selon elle dans le système actuel, notamment concernant le Conseil constitutionnel. 

Pour changer tout ça, il faut changer la Constitution ou renverser le pouvoir. Pour changer la Constitution, il faut l'accord du Sénat ou l'accord du peuple car il faut que le texte soit voté d'abord par les deux assemblées. Le Sénat a une capacité d'opposition très forte.

Philippe Fabry : Le président de la République reste en place en cas d’accession du RN ou de LFI au pouvoir à Matignon. Le chef de l’Etat est le garant des institutions. Emmanuel Macron sera amené à jouer ce rôle-là. S'il entend l'assumer, il pourra effectivement protéger les institutions de la République. En revanche, s'il entend rester sur une espèce d'hyper présidence, cela risque de mener à une crise constitutionnelle, quel que soit le camp qui arrive au pouvoir à Matignon. S'il est prêt à gérer la Constitution et a occupé une position d'arbitre et de garant des institutions, le chef de l’Etat serait alors un véritable garde-fou contre d’éventuelles dérives. Il peut également dissoudre une fois par an et pourrait débloquer d’éventuelles crises.

Risque que le pays s'éloigne du champ républicain en cas de victoire 

Didier Maus : Un tel éloignement au niveau des valeurs ou même de l'exercice du pouvoir est un risque qui existe. Mais il y a quelque chose de complètement paradoxal à se dire que le Rassemblement national se fait le chantre de la laïcité actuellement contre les héritiers naturels de la loi de 1905 qui étaient plutôt à gauche. Il y a eu des changements majeurs dans le paysage politique et dans les prises de positions de la part des formations politiques.

Les dérives politiques pourraient se traduire avec l’application de certaines mesures du programme des partis concernés qui entraineraient des bouleversements importants. Cela nécessite une vraie majorité.

Les garde-fous sont politiques et juridiques. Si une majorité se dégage, elle mènera sa politique et elle fera voter des lois. Mais le Conseil constitutionnel pourra s’y opposer. Il agit comme un gardien vigilant des valeurs républicaines traditionnelles. 

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