Riposte (de plus en plus) limitée sur la Syrie : l'Occident est-il encore le gendarme du monde ?<!-- --> | Atlantico.fr
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De nombreuses manifestations se déroulent un peu partout dans le monde pour dire "non" à la guerre en Syrie
De nombreuses manifestations se déroulent un peu partout dans le monde pour dire "non" à la guerre en Syrie
©REUTERS/David Ryder

Vrai-faux départ

Alors que le Royaume-Uni et le Canada ont annoncé cette semaine qu'ils n'interviendront pas en Syrie, Barack Obama a déclaré samedi 31 août qu'il attendra l'aval du Congrès avant toute opération militaire, repoussant ainsi la possibilité d'une intervention imminente.

Antoine  Basbous et Jean-Michel Schmitt

Antoine Basbous et Jean-Michel Schmitt

Antoine Basbous est politologue et spécialiste du monde arabe, de l'islam et du terrorisme islamiste. Fondateur et directeur de l'Observatoire des Pays Arabes (OPA), il est également l'auteur de plusieurs ouvrages dont Le tsunami arabe (Fayard, 2011)

Jean-Michel Schmitt est politologue, spécialiste des relations internationales. Il s'exprime sur Atlantico sous pseudonyme.

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Atlantico : Après la défection du Canada et de la Grande-Bretagne, Barack Obama a déclaré, samedi 31 août, qu'il allait demander au Congrès son aval avant toute intervention militaire en Syrie reportant ainsi la possibilité d'une opération, le Congrès ne reprenant les débats qu'à partir du 9 septembre. L'Occident est-il en train de se rendre compte qu'il ne peut plus être le seul gendarme du monde ?  En quoi le faux départ sur une riposte militaire en Syrie traduit-il un changement dans la donne géopolitique ? 

Jean-Michel Schmitt Le premier élément est qu’il y a une remise en question, probablement la plus forte depuis 1989, du principe de l’intervention. Les uns et les autres y croient de moins en moins, les opinions publiques y sont de plus en plus hostiles et le bilan des interventions passées est plutôt maigre. La rupture géopolitique est due à un doute croissant mais manifeste à l’égard de la capacité des puissances à régler les conflits internes et de la capacité du système international à régler les problèmes intérieurs.

La Grande-Bretagne est en train de vivre les contrecoups de son intervention aux côtés des Etats-Unis en Irak en 2003. D’un certain point de vue, son opinion publique était depuis un moment plus hostile à la pratique d’intervention que ne l’est l’opinion publique française. L’Angleterre rejoint l’Allemagne dans un mouvement critique à l’égard de toute forme d’intervention, ce qui met la France en première ligne. Auréolée d’une victoire qui est en partie illusoire, en tout cas perçue comme telle, au Mali. Les autorités françaises semblent plus enclines à accepter de participer à ce genre d’interventions que nos partenaires britanniques et allemands. Pour autant, il serait également illusoire de penser que l’opinion publique française y est favorable. Les sondages ont montré qu’elle était majoritairement défavorable et s'il n’y avait pas de mandat des Nations unies.

Antoine Basbous : A la fin de la Guerre Froide et l’effondrement de l’URSS, les Etats-Unis sont passés du statut de l’une des deux superpuissances à l’unique hyperpuissance. Ce statut n’a duré que de 1989 à 2001. Les attaques du 11 septembre et le coût des conflits consécutifs de la lutte anti-terroriste, puis la guerre en Afghanistan et en Irak, ont épuisé les Etats-Unis moralement, militairement et surtout financièrement. Ce constat s’applique aussi à ses alliés occidentaux, moins touchés par ce phénomène mais aussi plus vulnérables face à cette hémorragie due à la facture générée par des conflits militaires qui ont tourné à l’enlisement et à la guerre d’usure. C’est pourquoi, Obama a promis de solder les conflits hérités de George W. Bush et ne pas s’engager dans de nouvelles guerres. Après s’être préparé à corriger Assad, à reculons, pour honorer et justifier le statut de la plus grande puissance planétaire, le voilà qui refait demi-tour ! Il transforme un enjeu stratégique international, en objet de politique nationale américaine. Ce faisant, il a étalé son incapacité à tenir le rôle de leader du monde occidental. C’est la grande dépression géopolitique à Washington. Car Obama, après avoir beaucoup tergiversé, a décidé de ne rien décider et se décharge sur le Congrès. La pari est très risqué pour lui, pour les USA et pour les enjeux géopolitiques en cause, qu’il s’agisse de la Syrie, de l’Iran, de la Corée du Nord. La participation de la France à cette "correction" - si elle devait avoir lieu - découle de la logique de vouloir assumer son statut et ses responsabilités au titre de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, au moment où la "vieille Europe" plus édentée que jamais, semble démissionnaire en matière de géopolitique. Finalement, nous abordons un monde sans un "super-gendarme" évident, reconnu et qui s’impose mais avec plusieurs gendarmes qui peuvent se neutraliser. Au-delà du facteur des moyens, la personnalité du président des Etats-Unis reste un élément capital dans la définition du statut que voudra et pourra jouer Washington à l’avenir, surtout après que le pays ait retrouvé son moral et reconstitué ses forces et ses finances.

Finalement, peut-on considérer que l'unique but de cette intervention militaire est de dissuader à l'avenir de l'utilisation des armes chimiques ? 

Antoine Basbous : A l’heure actuelle, l’intervention devient assez hypothétique. La bulle Obama peut vite se dégonfler. L’ampleur annoncée de la frappe ne doit pas trop inquiéter le régime syrien, bien que les défections se soient multipliés depuis l’annonce de l’intervention. Il y a du ridicule dans l’attitude des Occidentaux : les 1400 morts du chimique pèsent plus lourd que les 100.000 morts par armes classique. Cette logique vaut un visa pour tuer impunément avec des armes conventionnelles !

Qu’est-ce que ce conflit révèle de l’état de l'hégémonie américaine et occidentale ?

Jean-Michel Schmitt : L’hégémonie américaine n’est pas en tant que telle remise en cause. Ce qui est mis en cause c’est la capacité des puissances d’intervenir de manière efficace dans des conflits qui leur échappent de plus en plus car ils dérivent de sociétés et non de stratégies internationales, ils ne sont pas endiguables par les instruments militaires dont disposent les puissances et parce qu’il souffle en ce moment, particulièrement au Moyen-Orient, un vent  souverainiste rigoureux dont profite très largement la Russie. Ce qui est intéressant avec Obama, c’est que c’est le premier président des Etats-Unis à prendre vraiment la mesure de ce changement, à comprendre que l’on n’est plus dans un système de Guerre Froide où le seul acte dissuasif de la puissance américaine permettait de rétablir un minimum de stabilité. On est dans un autre monde qui rend l’hégémon américain moins à même de traiter les différents foyers de conflits.

Les Occidentaux se rendent-ils compte qu’ils ne sont pas suffisamment forts pour intervenir ?

Antoine Basbous : C’est une erreur de penser cela. Les Occidentaux ont la capacité de réduire à néant le régime d’Assad mais ne le font pas car ils ne pourront pas contrôler la situation "du jour d’après". Ils administrent une correction à Assad pour qu’il cesse de recourir à l’arme chimique. Le problème n’est pas le manque de force mais le manque de perspectives pour l’alternance. Le moment n’est pas forcément venu pour déboulonner Assad, avant d’avoir préparé la suite. C’est la vision du jour d’après qui fait qu’Assad sera affaibli mais pas anéanti par la riposte programmée.

Les Etats-Unis sont-ils aujourd'hui isolés dans le dossier syrien ?

Jean-Michel Schmitt : Non. La conjoncture très souverainiste qui règne partout fait que les puissances émergentes, c’est-à-dire l’Inde, l’Afrique du sud, le Brésil, sont très anti-interventionnistes et opposées à l’usage de la force. Les états arabes aussi. L’Egypte a pris position contre l’usage de la force à l’encontre du régime syrien. On peut se demander jusqu’à quel point cette crise redonne le confort diplomatique au régime syrien qu’il avait auparavant.

Antoine Basbous : L’Amérique étale au grand jour ses faiblesses conjoncturelles liées à un président indécis, qui expose ses états d’âmes et qui n’est pas capable d’exercer le leadership de son pays. Mais c’est la Syrie qui est isolée. Elle ne peut compter que sur l’Iran, et ses satellites comme le Hezbollah, la Russie et la Chine, qui s’aligne sur Moscou. En revanche, les pays arabes sans exception, l’Occident (même si peu de pays participeraient à une action de force) ont condamné le recours à l’arme chimique par le régime syrien. Toutefois, les pays qui participeraient à une éventuelle action militaire seraient peu nombreux.

Propos recueillis par Karen Holcman

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