Révolutions arabes : La Syrie, prochaine sur la liste ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants chantant des slogans anti-régime lors de l'enterrement d'un manifestant tué à Dara, le 20 mars 2011.
Des manifestants chantant des slogans anti-régime lors de l'enterrement d'un manifestant tué à Dara, le 20 mars 2011.
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Proche-Orient

Les révolutions arabes continuent à se répandre dans tout le Moyen-Orient. Nouvelle "victime" : la Syrie où les manifestants de Deraa viennent d'arracher quelques concessions à Bachar el-Assad. Explications sur les tensions qui travaillent la société syrienne.

Frédéric Pichon

Frédéric Pichon

Frédéric Pichon est diplômé d’arabe et de sciences-politiques. Docteur en histoire contemporaine,  spécialiste de la Syrie et des minorités, il est chercheur associé au sein de l'équipe EMAM de l'Université François Rabelais (Tours).

 Il est également l'auteur de "Syrie : pourquoi l'Occident s'est trompé" aux éditions du Rocher,  "Voyage chez les Chrétiens d'Orient", "Histoire et identité d'un village chrétien en Syrie" ainsi que "Géopolitique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord".

Il anime en parallèle le site Les yeux sur la Syrie.

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Désormais, le mouvement s’étend à l’ensemble du monde arabe, d’ouest en Est, du Maghreb au Machrek. C’est un fait. Et nos rédactions, experts, politiciens et mêmes philosophes au col entrouvert de s’enticher pour ces nouveaux héros, BHL se faisant fort d’avoir découvert un nouveau Massoud, libyen de surcroît. Même si l’on n’a pas encore une idée précise de ce que sont réellement ces « révolutionnaires », on aurait bien tort de surestimer le degré de maturité politique de ces mouvements, en Syrie en particulier. Dussent en souffrir les ardeurs généreuses de notre microcosme intellectuel qui n’a toujours pas renoncé à une forme biaisée de néocolonialisme, nos valeurs occidentales une fois de plus posent la question de leur universalité. Au risque de me tromper et parce que les beaux esprits de la rive gauche n’ont pas encore pétitionné pour la « révolution syrienne[1] » ni trouvé leur Massoud damascène ou homsiote, il est encore temps de se demander si la Syrie tombera elle aussi comme les autres.

Le pouvoir syrien envoie les blindés contre les manifestants

Penchons nous sur Deraa, siège actuel de la contestation dans le sud de la Syrie. Le pouvoir a du envoyer lundi dernier sa 4è division blindée, dirigée par le frère du Président Bachar, Maher al-Assad. Deraa est la capitale de la région du Hauran, où de nouvelles manifestations sont prévues, jusqu’au 26 mars. Deux brigades de l’armée syrienne sont déjà sur place et ont fait 20 morts et plus de 300 blessés. Mais quel commentateur aura relevé que cette contestation a commencé dans une région bien précise, le Hauran appelé aussi Jabal Ad Duruz, c’est-à-dire « la montagne des druzes » qui constituent ici la majorité de la population. Et que ce petit groupe religieux (une hérésie du chiisme ismaélien dont les adeptes croient en la métempsychose et dont le fondateur fut un calife d’Egypte qui n’avait pas hésité à se proclamer Dieu avant d’être assassiné…par sa soeur) est réparti sur trois pays, le Liban, la Syrie…et Israël, où ils sont les seuls Arabes à servir au sein de Tsahal ?

Qui se souvient que la dernière grande révolte syrienne de 1925 contre les autorités mandataires françaises a éclaté précisément ici, à l’instigation d’un chef druze légendaire, Sultan al Atrach ? Mercredi, c’est sa propre fille, Montaha al Atrach qui s’est adressée à Bachar al Assad dans une interview diffusée par la BBC. « Dr Bachar, écoutez nous ! » a-t-elle lancé à celui qui d’ophtalmologiste londonien est devenu inopinément président d’un pays de 22 millions d’habitants dont la moitié a moins de trente ans. Mais c’est encore à lui qu’on recourt, à son arbitrage, lui l’alaouite protecteur des minorités, dont l’avènement en 2000 avait fait parler d’un « printemps de Damas », très vite déçu.

Trois personnes ensemble dans la rue est une provocation en Syrie

Que l’on ne se méprenne pas, il ne s’agit pas ici de vanter, dans les brisées d’une certaine droite paléogaulliste sur le déclin, les vertus du baasisme et l’humanisme des aimables militaires galonnés qui constituèrent longtemps la galerie de portraits ordinaire des dirigeants arabes. L’omniprésence des moukhabarat, la restriction mentale permanente dont font preuve les Syriens, la peur et la paranoïa généralisée sont des faits tangibles en Syrie. Passer le dernier contrôle avant l’embarquement à l’aéroport de Damas est une expérience saisissante, à mi-chemin entre Soleil trompeur et Midnight express. L’auteur de ces lignes a même failli tâter du gummi un 31 décembre au soir à Alep parce que plus de trois personnes rassemblées dans la rue (pour fêter le nouvel an ou pas) sont une provocation pour le pouvoir : un complot du Mossad est si vite arrivé.

Mais je veux croire que la Syrie se tient encore à l’écart des bruits du monde : d’ailleurs Facebook et Twitter n’ont été autorisés là-bas qu’en janvier 2011 et ne compteraient que 200 000 adeptes, à comparer avec les 2 millions d’internautes tunisiens. Et il me plaît de savoir que la Syrie, malgré son bon 75% d’Arabes sunnites, compte des druzes, des Kurdes, des chiites, des chrétiens, des Arméniens et des alaouites, ces derniers occupant tous les postes importants depuis quarante ans. Et que par conséquent, les tribus, les clans, les religions et les ethnies ont encore peut-être leur mot à dire en Syrie, comme du reste c’est le cas en Libye ou à Bahreïn, avant que ne déferle sur eux aussi le rouleau compresseur qui fera du monde entier un vaste plateau de télé-réalité rempli de citoyens du monde connectés et normalisés.



[1] Au passage, les arabisants remarquerons que les insurgés de Deraa n’utilisent pas le terme « thawra », révolution mais celui d’ « intifada », révolte : du reste, les deux termes ne renvoient pas du tout aux mêmes images mentales qu’en français  et sûrement pas à la prise de la Bastille et autres éléments de folklore.

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