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La BCE s’attaque violemment aux dogmes économiques allemands.
La BCE s’attaque violemment aux dogmes économiques allemands.
©Reuters

La minute "Et-pendant-ce-temps-là"

Dans un discours prononcé à Berkeley, Benoît Cœuré, gouverneur de la Banque centrale européenne, s’est attaqué aux idées fausses qui fragilisent le continent. Une charge à peine voilée contre la politique économique allemande et sa diffusion au niveau européen.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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La politique économique allemande a du souci à se faire. Plus justement, l’ignorance économique qui caractérise l’exécutif de Berlin prend l’eau, et aujourd’hui, dans une dimension tout à fait nouvelle. Car c’est au tour de la Banque centrale européenne de jouer le rôle du cheval de Troie au sein de la politique économique européenne. Après que Mario Draghi ait arraché une première grande victoire, en mettant en place un plan d’assouplissement quantitatif en janvier dernier, et ce, malgré l’opposition de la Bundesbank, une nouvelle charge est en cours. En effet, pendant que le même Président Draghi prépare le terrain pour une nouvelle intervention monétaire au cours des prochaines semaines, le gouverneur français, Benoît Coeuré, a pu tenir un discours entièrement à charge sur les principes économiques défendus par Allemagne. Entre la recherche du "tout pour l’export" et la rigidité budgétaire maximale, l’absurde idéologie de la vertu se trouve aujourd’hui démontée par la plus puissante autorité économique européenne.

En premier lieu, le surplus de compte courant. Si dans l’esprit "bon sens près de chez vous", l’idée d’une balance commerciale hyper positive fait fureur, comme cela est le cas de l’Allemagne depuis plusieurs années (avec un surplus attendu à 8% du PIB du pays pour l’année 2015 ; un record), la réalité d’un pays en état de sous consommation commence à apparaître. En effet, lorsqu’un pays exporte beaucoup plus qu’il n’importe, c’est surtout en raison de son incapacité à absorber tout ce qu’il produit, parce qu’il n’en a tout simplement pas les moyens. Ainsi, lorsqu’un pays, comme l’Allemagne, met en place une stratégie qui vise à restreindre les salaires, et donc sa consommation intérieure, la balance commerciale ne progresse que sous l’effet de la demande que lui adressent d’autres pays. Le défaut d’une telle stratégie, dite du cavalier solitaire, est de profiter de la consommation des autres pour porter sa propre croissance. De leur côté, les "autres" peuvent considérer que le cavalier solitaire vient parasiter leurs efforts tout en évitant de participer à la consommation mondiale. Ce que Benoît Coeuré décrit parfaitement:

"Par définition, toutes les juridictions ne peuvent simultanément présenter un excédent de compte courant. On ne peut pas exporter vers la lune. C’est ce que nous voyons aujourd’hui, avec des économies avancées qui ne sont pas suffisamment robustes pour compenser le manque provoqué par le ralentissement des pays émergents. Si chaque économie devait réagir à ses défis intérieurs en exportant ses capacités excédentaires, cela ne ferait que déclencher une course poursuite vers le bas. Une modèle de croissance globale ou chacun se repose sur la demande extérieure des autres entraine un équilibre de Nash négatif."

Pour parachever son attaque, Benoît Cœuré vient critiquer la mise en place de cette même stratégie, mais cette fois ci, au niveau européen. Car selon le gouverneur, cette politique économique, finalement celle de l’austérité, qui vise à restreindre la consommation au profit de l’épargne, pèse lourdement sur le niveau de croissance mondiale :

"Le rôle que les excédents des comptes courants ont dans la suppression de la croissance mondiale – (ou du soi-disant "excès d'épargne mondiale) a été identifié par Ben Bernanke dès 2005. Depuis lors, la zone euro a ajouté à cette surabondance globale au moment où d'autres ont tenté de la réduire. (…) la zone euro a mis en place une augmentation de son excédent de compte courant, entraînée par une incapacité durable à relancer sa demande intérieure. Ce que tout cela démontre est la nécessité de rééquilibrer les sources de la croissance mondiale.".

La messe est dite. La zone euro ne supporte pas suffisamment sa demande intérieure, et devient, par conséquent, le grand égoïste de la croissance mondiale. Afin de répondre à cette insuffisance qui caractérise la zone euro, et qui ne manque jamais d’agacer les autres membres du G20, deux solutions sont possibles. La relance de la demande par la voie monétaire, ce que la BCE fait depuis le mois de janvier et qu’elle s’apprête à renforcer, et la relance par la voie budgétaire. Sur ce second point, Benoît Coeuré ne prétend pas que les pays en lourd déficit budgétaire doivent continuer dans cette voie, mais soutien simplement l’idée que les pays qui en ont les moyens doivent participer à lae relance. Ce qui est le cas de l’Allemagne, qui, sous la néfaste influence de son ministre des finances, Wolfgang Schauble, s’est lancée dans une stratégie du 0 déficit, visant à satisfaire les à priori d’un électorat crépusculaire, alors même que les taux d’intérêts allemands sont proches de 0. Or, dans une telle configuration, tout investissement public consacré, par exemple, aux infrastructures, permet de générer une croissance plus que suffisante pour neutraliser le déficit produit, c’est-à-dire sans impact sur le niveau d’endettement. Ce que rappelait justement le FMI dans une note publiée en septembre 2014.

Ainsi, le gouverneur Cœuré suggère aux pays qui s’acharnent dans cette voie de revoir leur copie :

 "Et comme je l’ai déjà dit, la politique budgétaire doit y contribuer (à la relance de la demande), là où cela est possible" (…) "De même, Larry Summers a récemment soutenu que la meilleure façon d'éviter une trappe à liquidité permanente et la stagnation séculaire qui en résulte est de promouvoir l'investissement public ou privé. Pour les économies qui ont une marge budgétaire suffisante, il est en effet difficile de voir comment une expansion fiscale(…) pourrait ne pas être positive pour l'économie mondiale".

Les principes économiques allemands sont renvoyés à ce qu’ils sont ; une rhétorique moraliste dépourvue de toute efficacité économique. Enfin, l’Europe commence à tourner la page de l’obscurantisme de l’ère Trichet – Schäuble. Sous leurs costumes de banquiers centraux, Mario Draghi et Benoît Cœuré sont en train de modifier favorablement l’orientation économique du continent.

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