Réunion de la coalition contre l’Etat islamique… mais quelle coalition ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les pays membres de la coalition contre l'Etat islamique se sont réunis mardi 2 juin à Paris pour échanger sur la stratégie à adopter.
Les pays membres de la coalition contre l'Etat islamique se sont réunis mardi 2 juin à Paris pour échanger sur la stratégie à adopter.
©Reuters

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Les pays membres de la coalition contre l'Etat islamique se sont réunis mardi 2 juin à Paris pour échanger sur la stratégie à adopter. Un défi difficile à relever, car les alliés de ce combat n'ont pas tous les mêmes intérêts et les mêmes moyens.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : L'Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie ou les Emirats arabes unis participent à la coalition au titre de pays directement "concernés" du fait de leur proximité géographique avec la Syrie et l'Irak. Leurs intérêts sont-ils pour autant vraiment similaires dans cet engagement ? La proximité est-elle le facteur suffisant poussant à se lancer dans le combat sous la même bannière ?

Alain Rodier : Pour tous ces pays, Daech représente un danger "à domicile" car les régimes sont qualifiés par al-Baghdadi comme des "vendus" à l'Occident, voire comme des apostats (des traitres). La famille royale des Saoud est particulièrement visée car Ben Laden (Baghdadi le considère toujours comme son maître spirituel même s'il renie son successeur, le docteur al-Zawahiri) s'en était désolidarisé dès 1991. Il lui reprochait d'avoir accueilli des soldats "impies" en terre d'islam à l'occasion de la première guerre du Golfe. Depuis, il ne rêvait que de la renverser. Al-Baghdadi a repris cette problématique, sa volonté étant de reconquérir les "terres d'islam" avant d'étendre son califat à l'ensemble du monde.

Par contre, les intérêts de ces pays ne sont pas tout à fait les mêmes. Le Qatar et la Turquie soutiennent les Frères musulmans qui, depuis l'arrivée du roi Salmane au début 2015 est, certes, un mouvement moins honni dans le royaume saoudien, mais qui n'a tout de même pas bonne presse.
Si l'ennemi chiite est commun à tous car les Etats sunnites reprochent à Téhéran sa volonté d'influence sur le Proche-Orient, ce n'est pas tout à fait au même niveau. Le gouvernement turc est plus "compréhensif" car il partage une frontière commune avec l'Iran. Surtout, il a de besoin de Téhéran pour régler le "problème kurde" qui est, pour lui ,la priorité n°1 (comme il a besoin de Bagdad dans ce même domaine). La Turquie ne veut pas de Kurdistan vraiment indépendant à son sud-est. C'est ce qui permet de comprendre la politique menée par ce pays dans la zone.
Il n'empêche que ces pays se sont mis d'accord pour soutenir la nouvelle coalition, "l'armée de la conquête", qui s'est emparée de la province d'Idleb dans le nord-ouest de la Syrie. Or, cette organisation est une création d'Al-Qaida "canal historique" via le Front al-Nosra qui est aussi très actif le long de la frontière jordanienne. La pression est telle que Damas a été obligé d'abandonner l'est du pays à Daech pour concentrer ses efforts sur Homs, Alep, la côte et la capitale. La tentation est grande pour Ankara de créer une zone d'exclusion aérienne qui couvrirait la province d'Idleb. Alors, l'armée de la conquête pourrait à la fois menacer le régime d'el-Assad et, dans un deuxième temps, Daech.   

L'Arabie saoudite et le Qatar se sont vu reprocher un rôle trouble par rapport à EI. De plus, l'Arabie saoudite engage des troupes en nombre bien moindre que ce qu'elle investit au Yémen (ou a prétendu investir, du moins). Est-on dans une participation vraiment active de ces pays ou cherchent-ils d'abord à se lancer dans une opération "mains propres" pour redorer leur blason vis-à-vis de la communauté internationale ?

La "communauté internationale" se résume pour les Saoudiens aux États-Unis (qu'ils tentent de contenter mais aussi de faire chanter), à la Russie, à la Chine et à l'Iran. Pour ces trois derniers pays, ils ne cherchent pas vraiment à "redorer leur blason". Quant aux Européens qui agissent en ordre dispersé mais, en gros, à la botte de Washington... Vis-à-vis de Daech, Washington semble avoir aussi des choses à se reprocher donc les Américains n'insistent pas trop sur ce sujet qui fâche.

Le Yémen est considéré comme vital par l'Arabie saoudite et les pays du Golfe persique car il est hors de question laisser des alliés de Téhéran (les al-Houth et une partie de l'armée) s'y implanter durablement en raison de la possibilité du blocage possible du détroit de Bab-el-Mandeb qui commande la Mer rouge. Déjà que Téhéran peut sérieusement menacer le détroit d'Ormuz ! C'est pour cette raison que les Saoudiens et leurs alliés mettent le paquet au Yémen considéré comme vital pour la sécurité régionale. 

De plus, un egagement plus important des pays arabes contre les salafistes-djihadistes qui, il faut le rappeler sont sunnites, sur le front syro-irakien risque de poser des problèmes dans les opinions publiques intérieures de ces États. En effet, leurs thèses semblent trouver de plus en plus d'écho et il convient d'étouffer dans l’œuf toute velléité de contestation. Pour cela, il convient de ne servir sur un plateau le prétexte d'une guerre déclenchée par l'oligarchie arabe contre des frères sunnites.  

Même si des pays de la péninsule arabique sont présent, cette coalition reste largement le fait de pays occidentaux : les Etats-Unis, le Canada, la France bien sûr, voire même l'Australie. Quel est l'intérêt de "l'Occident" dans un conflit qui, pour l'instant, reste encore largement local ? Et d'ailleurs y a-t-il un intérêt occidental ou "des" intérêts occidentaux potentiellement divergentsn ?

Les Occidentaux sont emmenés par les États-Unis. Ce sont donc les intérêts de Washington qui sont d'abord en jeu. Les pays anglo-saxons suivent normalement comme ils l'ont fait par le passé. Par contre, de local, ce conflit a tendance à s'internationaliser, en particulier en direction de l'Afrique et surtout en Libye pour l'instant. Dans sa rhétorique, Daech menace "Rome". Bien sûr, ce n'est pas la capitale italienne qui est expressément visée (quoiqu'un attentat aurait des répercussions importantes) mais le symbole de l'Empire romain et du christianisme qui a suivi. Et là, l'Europe est directement visée. Alors, plutôt que de s'attaquer aux tentacules de la pieuvre, il vaut mieux viser au cœur : le califat qui s'est installé de fait à cheval sur une partie de l'Irak et la Syrie.

Comment expliquer la présence dans cette coalition de pays dont on peine réellement à comprendre l'intérêt direct, comme le Danemark, le Portugal ou les Pays-Bas. Qu'ont réellement à gagner ces acteurs plus mineurs de la diplomatie internationale ?

Ils suivent les États-Unis dans un réflexe otanien. L'important pour eux est de montrer qu'ils "participent" aux côtés de Washington. Si ce n'était pas le cas, cela pourrait leur être reproché ultérieurement.

Comment cette diversité des objectifs et des motivations se traduit-elle sur le terrain ? Est-elle facteur d'incompréhension ? Voire a-t-elle une part de responsabilité dans l'apparente difficulté à faire reculer EI malgré, sur le papier, la différence flagrante d'armements entre EI et la coalition internationale ? 

La coordination de forces aussi diverses est certainement difficile à réaliser. Mais les pays de l'OTAN ont, pour leur part, l'habitude de travailler ensemble. Les pays arabes apportent plus une participation symbolique qui peut être intégrée ponctuellement dans le dispositif. Cela dit, les frappes aériennes n'ont jamais gagné une guerre, sauf au Japon en 1945. Il faut exploiter au sol. Et pour le moment, personne ne veut y aller.

La situation comporte également d'autres acteurs dont l'un est étonnamment discret : Israël. Il est vraisemblable que l'Etat hébreu ne fait pas que compter les points mais joue une partie très active. On parle également beaucoup des riches donateurs du Golfe mais peu sont identifiés. Enfin, il y a le rôle des profiteurs de guerre que sont les Organisations criminelles transnationales (OCT). A savoir que de nombreux trafics ont lieu dans tous les sens. L’État islamique exporte du pétrole, des réfugiés, des antiquités. Il importe des armes, des biens de consommation, des volontaires. On commence à parler de trafic de drogues (il serait étonnant qu'il n'y en ait pas). Il faut donc des intermédiaires, des acheteurs, des vendeurs, tous liés au crime organisé. Les OCT sont certainement très présentes même si elles se font le plus discrètes – les plus connues dans la région sont les mafias turco-kurdes qui ont pour spécialité la contrebande et qui tiennent la route des Balkans, mais d'autres sont vraisemblablement impliquées comme les mafias italiennes, albanaises et consort – elles peuvent ainsi ramasser de juteux profits. Les combattre énergiquement permettrait certainement d'affaiblir les salafistes-djihadistes sur le plan logistique.

Propos recueillis par Damien Durand

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