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Retraite : les partenaires sociaux ont négocié pendant 18 mois sans interruption pour en arriver aujourd’hui à exiger de tout remettre à plat. Mais qu’ont-ils fait pendant tout ce temps ?
©Thomas SAMSON / AFP

Atlantico Business

Les syndicats ont négocié 18 mois pour rien finalement, puisque, sauf miracle, tout est bloqué. Le dialogue social français n’arrive pas à aboutir à un compromis.

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

Il est aussi l'auteur du blog http://www.jeanmarc-sylvestre.com/.

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C’est incroyable parce que pendant plus d’un an et demi, les principaux chefs syndicaux se sont réunis avec les représentants du gouvernement pour fabriquer ce que devait être la nouvelle retraite. Une retraite universelle, fonctionnant par points, avec deux objectifs, établir l'équité entre tous les Français en faisant en sorte que personne ne soit perdant et surtout, que le système puisse supporter les évolutions économiques, démographiques et sociales sans risquer chaque année la faillite et sans que les dirigeants du système de retraite ne soient obligés de quémander de l’argent au contribuable pour leur fin de mois   comme c’est le cas actuellement depuis vingt ans. Parce que depuis 20 ans, c’est vrai, le gouvernement est obligé de faire la trésorerie.

Et bien pour réussir cette réforme structurelle qui doit remodeler le contour social du pays pour un demi-siècle, le gouvernement a organisé des séances de négociations pendant 18 mois déjà. Avec des réunions pendant lesquelles on a épluché en détail tous les rouages du nouveau système.  Tout s’est fait dans le calme appartenant parce que les organisations syndicales sont restées autour de la table des négociations, seulement FO quelques semaines.

En dépit de ce travail de bénédictins du climat social, les syndicats aujourd’hui revendiquent la grève, organisent l’asphyxie du pays en justifiant un tel mouvement par le fait de ne pas avoir été consulté.

Aujourd’hui, mardi, Jean-Paul Delevoye, le Haut-Commissaire à la réforme des retraites, devenu ministre chargé de ce dossier, va donc clôturer une séquence de concertation qui aura duré près de 18 mois.  Et là encore, les syndicats mettent leurs adhérents et une partie de l’opinion dans la rue en clamant haut et fort qu’ils n’ont pas eu leur mot à dire et qu‘il faut tout recommencer à zéro.

Retour sur le calendrier parce que les faits sont têtus. Les procès-verbaux existent, les syndicats ont bien été reçus à plusieurs reprises, un à un par le chef du gouvernement. Depuis le 30 mai 2018, dix organisations ont été régulièrement conviées autour de la table : d’abord, les syndicats de salariés (CGT, FO, CFDT, CFTC, CE-CGC, Unsa), de chefs d'entreprises (Medef, CPME, UP) et d'agriculteurs (FNSEA).

Deux séquences de négociations ont été organisées. La première a commencé mi-2018 afin de préparer le rapport Delevoye et ses pistes de réflexion. Le rapport a finalement été remis en juillet 2019. Lors de ces concertations, le gouvernement n’avait donc pas encore de document de travail relatif à la réforme, seulement quelques idées comme le maintien des pensions de réversion ou les primes de fin de carrière pour les fonctionnaires. Le syndicat Force Ouvrière avait choisi de quitter ces négociations en avril 2019, pour montrer son opposition ferme à l’instauration d’un régime par points. Mais c’est le seul .

La seconde séquence de négociations est ouverte depuis la mi-septembre et affiche du flottement du côté du gouvernement mais il doit sortir des lignes directrices pour préparer le projet de loi. Cette fois, tous les syndicats ont été reçus à nouveau. Ils viennent tous. Mais là encore, la méthode ne fait pas l’unanimité. « La deuxième phase correspond à une concertation sans négociation. Le gouvernement avance l'idée que rien n'est décidé » explique François Hommerie, président de la CFE CGC, lassé de ne pas savoir où le gouvernement veut aller avec précision. Officiellement, on explique qu’il s’agit d’une « phase d’écoute qui a pour but de connaitre les ressentis de chacun sur les pistes de travail transmises au gouvernement ». Le projet de loi retenu par le gouvernement sera annoncé demain mercredi.

Les syndicats ont donc annoncé et entamé une grève avant même que ne soient officiellement connus les principes de la réforme. Ce qui a multiplié les incompréhensions de l’opinion et les fausses interprétations, comme les simulateurs de calculs de pension qui ont été faits sans fondement.

Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, 1er syndicat dans le secteur privé explique de façon pragmatique que l’ "on commente tous quelque chose qui n’existe pas.  Ça ne serait pas compris, dans un certain nombre de pays, de vivre l’affrontement, notamment de la part du gouvernement, alors que nous n’avons ni fini les discussions avec le haut-commissaire aux retraites, ni vu et discuter le début d’un commencement d’un texte. (…)Nous sommes dans un pays qui préfère la logique de l’affrontement à celui de la discussion, de la confrontation des idées.»

C’est bien le système français qui est construit comme tel.

Alors, pourquoi cet affrontement ? Que revendiquent les syndicats ? «Ce que nous demandons c'est qu'on revienne à la table de négociations, mais au point de départ. [...] On peut parfaitement régler ces questions dans le cadre du système actuel» continue Yves Verrier, secrétaire général de FO. Pour le gouvernement, le but de ce dialogue social avant-projet était d’«écouter et d'essayer d'intégrer les propositions formulées». Cela a permis aussi au gouvernement de jauger ce que les syndicats pourraient accepter. Chaque syndicat a déjà formulé sa propre limite. Si la CGT et FO ne veulent en aucun cas d’un système par points, la CFDT elle, l’envisage, mais son totem reste l’âge minimum de départ à la retraite à 62 ans.

Le bilan de ces 18 mois de travail et de négociation est désastreux parce que bourré de contradictions.

1er point : ou bien les négociateurs n’ont pas travaillé ou alors s’ils ont travaillé, ils n’ont rien compris à ce qu‘ils préparaient. Ce qui est peu probable.

2e point, de ce que l’on sait des négociations à huis clos (mais il existe des procès verbaux, il semble que tous les sujets qui fâchent avaient été examinés). Le principe de la retraite par points ne semblait pas choquer les partenaires sociaux. Ils n‘ont pas découvert le système à points hier puisque c’est celui qui régit l’Agirc et l’Arcco, les complémentaires cadres depuis 1946 et qui ont toujours été cogérées avec succès par les syndicats, lesquels refusent le système des points maintenant.

L’abrogation des régimes spéciaux ne troublait personne pourvu qu’on aménage les périodes de transition.

3e point, la question qu’on peut se poser est de savoir si les chefs syndicaux ont relayé auprès de leurs adhérents le travail qui était fait en commission. Le syndicat a une fonction pédagogique, est-ce que cette fonction pédagogique a été effectuée auprès des cheminots , des salariés de la RATP ou des personnels de la santé et de l’Education nationale ? Sans doute pas.

En France, le problème aussi, c’est qu’au final, c’est le législateur, le gouvernement ou l’Assemblée, qui prédomine dans la fabrication du droit social, étroitement lié à l’histoire du pays, très jacobin, centralisé. La négociation collective est un rajout, mais elle s’est toujours construite en opposition à la politique. Très souvent faute de représentativité suffisante ou d’expertise. Contrairement aux contre pouvoirs installés dans les pays anglo-saxons.

L’échange à trois (entre le gouvernement, les syndicats de salariés et patronat) a toujours été difficile en France. La logique de conflit a souvent submergé la logique du compromis qui offre une issue obligée des débats.

La réforme des retraites devait être un premier exemple marquant de la concertation voulue par Emmanuel Macron. Le président de la République a évidemment sa part de responsabilité dans le caractère violent de ces conflits. Alors, que la réforme aboutisse ou non, il devra en tout cas faire l’analyse de ce qui n’a pas marché et de ce qui a provoqué une situation de blocage assez rare dans l’Histoire.

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