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Résurrection : la culture chrétienne du « cher et vieux pays »
©BERTRAND GUAY / AFP

En ce dimanche de Pâques

Que reste-t-il aujourd’hui de la présence de la Résurrection, jadis au coeur de la culture et de la société française ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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« Et tout à coup dans le clair de lune, les cloches en une grappe énorme dans le clocher
Les cloches au milieu de la nuit, comme d’elles-mêmes les cloches se sont mises à sonner ! 
Ce n’est point une parole humaine, c’est le triomphe, la vendange énorme de toutes les étoiles dans le ciel
C’est la terre délivrée, vers Dieu, coup sur coup, qui pousse un aboiement solennel! »

Ces vers de Paul Claudel écrits pour Pâques, en 1934, sont comme « L’Angélus » de Jean-François Millet, le célèbre tableau de 1859, qui représente un couple de paysans arrêtant un instant le travail des champs alors que le soir tombe. Au loin, l’Angélus a sonné dans la petite église. C’est l’heure de réciter la salutation de l’Ange à Marie, le récit de l’Annonciation condensé en trois distiques, chacun suivi d’un Ave Maria. Ce qui caractérise le tableau de Millet comme les vers de Claudel, c’est qu’ils s’adressaient à un public qui savait de quoi il s’agissait. Une France encore largement paysanne, dont la vie était rythmée par les cloches de l’église avoisinante et structurée par ces fêtes chrétiennes enchevêtrées aux saisons et aux travaux des champs. On connaissait par coeur les principaux textes de l’Evangile et ils éclairaient, ils informaient de leur immutabilité la vie personnelle comme la vie collective. En plein surgissement de la modernité positiviste, Léon Bloy, au début du XXè siècle, s’écriait: « Quand je veux les dernières nouvelles, je relis Saint Paul ! ». C’était bien entendu une réponse à la célèbre formule de Hegel « Le journal du matin est la prière de l’homme moderne ». C’était aussi le cri d’un homme à la foi puissante, qui disait avec Paul de Tarse: « Et si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est notre foi » (I Corinthiens, 15, 14). 

La lutte et la réconciliation de « celui qui croyait au Ciel et celui qui n’y croyait pas »

Que reste-t-il aujourd’hui de la présence de la Résurrection, jadis au coeur de la culture et de la société française ? Certes, la déchristianisation du pays remonte, pour certaines régions, au milieu du XVIIIè siècle. Vous pouvez mettre de côté tous les ouvrages sur l’histoire de la Révolution pour n’en garder qu’un seul, le terrible ouvrage intitulé « Les prodiges du sacrilège », écrit par le regretté Jean Dumont. Vous y comprendrez que toutes les querelles de la Révolution étaient surmontables, sauf la querelle religieuse. Ce qui a rendu la Révolution impossible à stabiliser, c’est la haine inexpiable du christianisme qui était au coeur du combat des révolutionnaires les plus acharnés. Monarchistes contre républicains? Non, le combat central des deux siècles qui ont suivi la Révolution, ce fut la lutte entre les catholiques et la gauche, faite de victoires et de défaites alternées, une lutte qui a continué jusqu’aux grandes manifestations de défense de l’école libre, dans les années 1980. Ensuite, le combat s’est largement arrêté, faute de combattants. Lisons Emmanuel Todd et Hervé Le Bras, Guillaume Cuchet, Jérôme Fourquet, pour constater la déchristianisation accélérée de notre pays en trente ans. Emmanuel Todd constate, à cet égard, que la disparition de la croyance religieuse a déstabilisé toute la politique française: la gauche, le parti communiste en tête, s’est effondrée simultanément. 

Catholiques et anticléricaux se renforçaient les uns les autres dans cette guerre civile quelquefois ouverte, le plus souvent contenue, qui caractérise les années 1790-1990. A force de se combattre, les duellistes avaient fini par éprouver une certaine estime l’un pour l’autre. Qui se souvient que Paul Claudel, le converti, le poète de la catholicité triomphante, ce Français qui a écrit certaine des plus belles pages de la littérature mondiale consacrées à l’Espagne baroque évangélisatrice du Nouveau Monde, était ami d’Edouard Herriot, figure emblématique du radicalisme et de la République anticléricale? Herriot, qui devait mourir en 1957, se rendit en février 1955, à l’enterrement de Paul Claudel. Il n’entra pas dans l’église mais il accompagna le cortège funéraire jusqu’au cimetière et à la mise en terre. La République a longtemps vécu de ce qu’elle avait sécularisé les grands récits du christianisme. Le progrès est-il autre chose que la sécularisation de la vision chrétienne du temps, où le monde parfait est toujours à venir? Le messianisme révolutionnaire est-il autre chose qu’une appropriation du Premier Testament, de l’histoire d’Israël libéré d’Egypte et s’installant en Terre promise - la fête chrétienne de Pâques est elle-même enracinée dans ce récit? Au risque de sombrer dans le ridicule, les républicains ont voulu substituer leurs cérémonies à celles de l’Eglise, à commencer par le rituel du baptême républicain. 

Effondrement des croyances collectives, effondrement de l’Etat

La disparition de la polarité entre catholiques et républicains anticléricaux est aussi ce qui a fait abandonner l’idée nationale. Jusqu’à la fin des années 1970, les héritiers des deux courants étaient en compétition pour imposer leur vision de la nation. Tout cela a été abandonné. SOS Racisme a pris la place du parti communiste. Les « catholiques zombies » dont parle Emmanuel Todd, ont abandonné la souveraineté nationale pour l’Europe fédérale. Sous la IIIè République, un catholique qui refusait la République mais voulait servir la France, entrait au service de l’Etat, devenait officier par exemple. Il y avait une émulation entre les deux groupes rivaux pour savoir qui mènerait le mieux les affaires de l’Etat malgré les mauvaises méthodes de l’autre; ou bien on finissait par se reconnaître ou s’estimer pour ce qu’on était, un patriote. On ne comprend pas le gaullisme si l’on ne voit pas que le Général a rassemblé derrière lui tous les grands serviteurs de l’Etat, « ceux qui croyaient au Ciel et ceux qui n’y croyaient pas », pour paraphraser la célèbre formule de Paul Eluard. A l’inverse, aujourd’hui, la désorganisation totale de l’Etat dans la lutte contre le COVID 19 est sans aucun doute le produit de l’effondrement des croyances dans notre élite, effondrement du credo catholique et de son double républicain. Emmanuel Macron et ceux qui le suivent se caractérisent d’abord par leur absence de formation, de structuration. L’enseignement des grandes écoles n’est plus qu’une coquille vide, un pur formalisme où l’on ingurgite de façon purement superficielle ce qu’on croit avoir compris de la façon de faire d’autres pays, étant entendu, comme l’a dit le président de la République alors qu’il était encore candidat à la fonction, qu’il n’y a pas de culture française - ni républicaine ni plus ancienne. 

Charles de Gaulle écrit au début de ses « Mémoires de Guerre » à propos de la France: « J’ai d’instinct l’impression que la Providence l’a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires ». Toute la première page des « Mémoires » du Général propose aux contemporains, catholiques ou républicains, de sortir de la guerre civile séculaire pour réunir les forces du pays, confronté à des menaces extérieures existentielles. Nous voici plongés, avec « l’étrange déroute » de notre classe dirigeante actuelle dans un nouveau « malheur exemplaire ». Et cette fois, il n’y a pas d’armée étrangère à nos portes, aucune subversion intérieure. Nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes. Commander ou faire fabriquer massivement des masques; répondre aux industriels français ou coréens qui proposaient de fabriquer des tests en série, mobiliser nos spécialistes des données massives pour mettre en place un confinement différencié selon les régions, autoriser les expérimentations de traitements effectués avec des médicaments bien connus et l’expérience d’un corps médical qui reste, lui, exemplaire: en tout cela nos gouvernants n’ont été dérangés par rien, perturbés par aucun facteur extérieur. Au contraire, ils n’avaient qu’à prendre exemple sur ce que faisaient d’autres pays, de manière modeste et méthodique: non seulement l’Allemagne et la Corée mais aussi l’Autriche, le Maroc, la Grèce ou Israël. La crise est purement interne. Et je ne vois pas d’autre explication que l’effondrement de la croyance, religieuse et temporelle, qui jusque-là soutenait les serviteurs de l’Etat. Nous sommes ainsi faits, nous autres Français, que nous avons besoin d’une croyance pour avancer. Chateaubriand expliquait qu’ « on ne mène les Français que par les songes ». Et de Gaulle, qui le prisait, lui répond: « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison. Ce qu’il y a en moi d’affectif imagine, naturellement, la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle ». 

Ce peuple qui veut vivre et que ses dirigeants n’écoutent pas

Sommes nous condamnés à ne plus exister parce que la croyance se serait effondrée? Sommes-nous si sûrs qu’elle le soit? Nous observons surtout une désorganisation des élites et nous savons bien qu’elles se sont abandonnées à toutes les modes de la mondialisation (en ne cherchant même pas, comme les Britanniques ou les Allemands, à la modeler de l’intérieur). Mais si nous nous tournons vers notre peuple, frappé de plein fouet par tous les vents mauvais dans un pays dont toutes les haies protectrices ont été arrachées par les lubies idéologiques de nos dirigeants, on y voit un réflexe salvateur de ressourcement, de redécouverte de la réalité nationale. Depuis vingt ans, les réponses se succèdent: élimination de Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle de 2002; refus du Traité Constitutionnel Européen en 2005; élection de Nicolas Sarkozy en 2007; élection de François Hollande en 2012; « manifs pour tous »; effondrement de LR et du PS à la présidentielle de 2017; crise des Gilets Jaunes; mouvement contre la réforme des retraites...Ces révoltes d’ampleur inégale ont toutes un point commun: elles témoignent que le peuple français croit encore en son avenir, qu’il ne veut pas mourir, qu’il n’accepte pas un destin qui lui serait imposé - et fatal. Jusqu’à présent, ces mouvements d’inspiration diverse soit, n'ont pas abouti (confiscation du résultat du référendum de 2005, échecs successif de Sarkozy et Hollande) soit n’ont pas trouvé, au sein des élites, suffisamment de soutien pour les relayer (crise des Gilets Jaunes).  Mais, que l’on soit de ceux qui croient au Ciel ou non, il y a matière à réfléchir. 

En ce jour de la fête suprême, pour un catholique, celle de Pâques, de la résurrection de l’Homme qui a reçu en lui la plénitude de la Sagesse divine, on ne peut que constater le déclin de la foi. Je pense moins à ce qui est bien connu, la pratique religieuse résiduelle, qu’à l’incroyable renoncement de la Conférence des Evêques de France, qui n’a même pas chercher à négocier avec le gouvernement que, dans des conditions strictement encadrées, les fidèles qui le souhaiteraient puissent se rendre à l’Eglise. On peut aller faire ses courses, suer et souffler sur ses semblables en faisant son jogging mais non, dans des églises organisées pour cela, aller vénérer le Saint Sacrement ou recevoir, avec les précautions requises, la communion. Nos évêques - la majorité d’entre eux car il y a eu des voix dissidentes - n’ont rien négocié avec le gouvernement, ils ont accepté la définition très matérialiste que faisait ce dernier des « activités essentielles ». Jamais on n’avait vu l’Eglise aussi peu présente lors d’une pandémie. La mort surgit, de façon inattendue, dans les familles, les enterrements sont escamotés sur ordre du gouvernement et toute la réponse que les responsables de l’Eglise de France trouvent face à la pauvreté des rues, aux détresses, aux solitudes, aux dilemmes des médecins obligés de trier les malades, ce sont des églises fermées, l’absence de baptême, la messe en ligne - comme pour mieux mettre à distance et ne se parler qu’entre soi. Pour autant la croyance n’est pas morte: plusieurs pétitions pour protester contre les différentes formes de « l’effondrement de la foi chez les clercs » (Jean Daniélou, 1969) ont rassemblé, en tout, des dizaines de milliers de signatures. Je suis à l’origine de l’une d’elles et j’ai reçu une bonne vingtaine de messages magnifiques montrant que le vieux fond chrétien du pays n’est pas mort. 

« Il existe un pacte vingt fois séculaire entre la France et la liberté du monde » (Charles de Gaulle)

Je parle de la foi qui est la mienne. La mort et la Résurrection du Christ alimentent l’espoir que j’ai que mon pays sorte, une nouvelle fois, du malheur exemplaire où il s’est plongé lui-même. Ce n’est pas un calcul irrationnel. La foi, l'espérance et la charité bibliques ne sont que des développements des facultés humaines, elles s’enracinent dans l'intelligence, la mémoire et la volonté. C’est pour moi d’autant moins un calcul irrationnel que je vois beaucoup de mes concitoyens non-croyants développer une vision elle aussi faite de raison et d’espoir, que notre pays se redresse. Nous sommes tombés très bas. Du point de vue catholique, je dirais même que nous avons touché le fond. Unissons nos forces ! Le vieil enracinement de la culture française dans la méditation annuelle de l’Incarnation, la Passion et la Résurrection, sous une forme éventuellement sécularisée, nous incite à nous relever, rassembler tous les hommes et les femmes de bonne volonté et, bientôt, proclamer au monde: « La France n’a pas disparu. Elle revit ! Comptez avec elle! »
Notre pays est ainsi fait que soit il se morfond dans l’entre-soi et la complaisance fataliste, soit il se redresse pour contribuer aux grands débats du monde. C’est un fait que, depuis un demi-siècle, nos dirigeants, chez qui s’effondrait la croyance en tout messianisme, chrétien ou français, ont été des suiveurs. La mondialisation a été le fruit d’une volonté américaine et britannique de façonner le monde au tournant du XXè et du XXiè siècle. Notre voisin l’Allemagne y a vu l’occasion d’y faire de bonnes affaires. La Chine a décidé - au risque de surestimer des propres forces, comme le montre la crise du COVID 19 - qu’elle serait le vainqueur de cette mondialisation-là pour le 100è anniversaire de la création de la République populaire de Chine en 2049. Les élites françaises, elles, se sont contentées de développer, en bloquant l’ascenseur social, pour elles seules, une rente de mondialisation. Elles ont laissé le peuple français se morfondre en lui assenant régulièrement des leçons de morale, sur sa paresse, son manque d’organisation, son refus de s’adapter. C’est toute cette imposture qui est en train d’éclater. Emmanuel Macron avait été élu pour maintenir la rente un peu plus longtemps que des prévisions raisonnables. Il se révèle être un bien piètre gestionnaire. Viendra le moment où certains, dans les milieux dirigeants, chercheront à le remplacer. En auront-ils le temps? Quelque chose nous dit que le mouvement des Gilets Jaunes n’était que le premier épisode d’un surgissement de liberté française. Dans notre histoire, cela peut donner le meilleur comme le pire. Espérons que suffisamment de représentants de l’élite française sauront anticiper et canaliser le mouvement que nous sentons bouillir dans le pays. Là aussi, le vieux fond chrétien pourrait nous aider, en nous rappelant que la violence n’a jamais servi à rien. C’est à construire que notre pays est appelé: se reconstruire et contribuer à la construction d’un vraiment nouveau monde.  Rappelons-nous pour finir l’une des plus magnifiques formules du Général de Gaulle: « Il existe un pacte vingt fois séculaire entre la France et la liberté du monde ! » Vingt siècles entrecoupés de chutes et de résurrections. 

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