Repentis fiscaux : pourquoi le gouvernement ne pourra pas compter à l’infini sur ce filon pour équilibrer son budget<!-- --> | Atlantico.fr
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Les repentis fiscaux devraient rapporter 2.6 milliards d'euros à l'Etat cette année et au moins 2.4 en 2016.
Les repentis fiscaux devraient rapporter 2.6 milliards d'euros à l'Etat cette année et au moins 2.4 en 2016.
©Reuters

Mauvais calcul

Alors que l'exil fiscal tente de plus en plus de Français, les repentis rapportent plus de 2 milliards d'euros par an à l'Etat. Pourtant, compter sur ce filon pour atteindre l'équilibre est un pari risqué... Et pour cause : dès la fin de l'année prochaine, les chiffres devraient chuter.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Atlantico : A en croire les derniers chiffres concernant l'évasion fiscale, les repentis devraient rapporter 2.6 milliards d'euros à l'Etat cette année et au moins 2.4 en 2016. S'agit-il d'un postulat crédible, au vu des bilans des années passées ?

Philippe Crevel : Si l'on observe les trois ou quatre dernières années, on constate aisément une progression plutôt rapide des recettes dégagées par les repentis. C'est quelque chose que l'on peut attribuer en premier lieu à la mise en place de cellules de dégrisement commencée par Nicolas Sarkozy et amplifiée sous François Hollande. Ces recettes sont en constantes progression : auparavant on les évaluait aux alentours de 800 millions à 1 milliards d'euros. Ces dernières années, on chiffre effectivement la progression à plus de deux milliards d'euros.
Par conséquent, oui, ce postulat m'apparaît crédible. Tant que l'on reste autour des deux milliards on reste dans un résultat relativement crédible, mais il est important de demeurer conscient d'une réalité. En bonne logique, ce chiffre devrait commencer à diminuer à partir de la fin de l'année prochaine. C'est bien évidemment du fait de la levée progressive du secret bancaire par les autorités suisses. Cela incite naturellement un grand nombre des ménages français qui, entre les années 1970-1980 et un peu plus tard, avaient eu tendance à placer leur argent au-delà des Alpes, à essayer de revenir.
Les Français qu'on appelle des repentis sont, logiquement, des individus qui avaient placé de l'argent sur des comptes en Suisse. Du fait de la levée du secret bancaire, ils reviennent. De peur d'être taxés ou d'être poursuivis pénalement par les autorités françaises. Il ne s'agit bien sûr pas du tout-venant, mais de contribuables aisés. Néanmoins certainement pas de millionnaires, ou d'archi-millionnaires. Il s'agit plutôt de professions libérales, de PDG, de commerçant, voire de individus qui ont, à un moment ou un autre, hérité de sommes sans toujours les déclarer. Ce ne sont pas ceux qui disposent de conseils juridiques et fiscaux ; qui peuvent monter des dispositifs plus complexes ne viennent pas dans les cellules de dégrisement. Ceux-là s'en vont beaucoup plus loin, vers Honk-Kong ou Singapour, dans différents paradis fiscaux. S'ils réalisent des dispositifs juridiques complexes, c'est parce que les sommes en jeu sont conséquentes.  

En dépit de ce que les régularisations rapportent à l'Etat, l'évasion fiscale et l'optimisation disposent-t-elles d'un plus grand potentiel ? S'il est possible de chiffrer ce qu'on ne parvient pas à attraper à quel genre de sommes faudrait-il s'attendre ?

Ce que l'on n'arrive pas à attraper appartient à l'invisible et, par définition, est bien compliqué à estimer. On peut évidemment imaginer de véritables fortunes et autres cavernes d'Ali-Baba et il est probable que la perte potentielle s'élève aux alentours d'une dizaine de milliards d'euros. C'est possible. Le problème relève davantage de comment les récupérer et à quel coût ! C'est la limite même de l'exercice. Il faut d'abord évaluer, ce qui est complexe et ensuite il faut récupérer : c'est aussi difficile mais également très cher. C'est pourquoi toute une partie de ces sommes échappe à la vigilance du fisc. Taxer de l'argent qui revient spontanément de Suisse est bien moins coûteux que de traquer de l'argent parti à Singapour ou de prendre sur le fait des sommes en transition vers les Caraïbes, au travers de montages fiscaux particulièrement complexes mais parfois légaux (c'est ce qu'on appelle un abus de droit).
Il est certain qu'on ne voit que le haut de la montagne. Néanmoins il est complexe d'en distinguer plus, qu'il s'agisse de sa taille totale ou de réaliser une appréciation réelle de son tour, de son périmètre. D'autant plus qu'il existe différentes formes d'évasions qu'il convient de ne pas confondre. Prenons l'exemple de l'évasion illégale, qui consiste à partir en remplissant ses valises d'argent et le cacher quelque part. Cela diffère fondamentalement de l'optimisation fiscale qui, pour sa part, consiste à jouer sur les dispositions fiscales françaises et internationales. Cette optimisation fiscale se fait en toute légalité et va concerner, par exemple, des montages en Belgique, aux Pays-Bas, parfois un peu plus lointain. La fraude fiscale, dans son ensemble (à la fois interne et à l'internationale), coûterait 60 à 80 milliards d'euros tous les ans. Sur ces 60 à 80 milliards, l'évasion représente une part non négligeable. Elle est estimée à 20% des recettes fiscales.

Beaucoup de Français quittent la France, dans l'espoir de pâturages fiscaux plus verts. Dispose-t-on de chiffres à ce niveau ?

L'expatriation fiscale concerne tous les Français qui décident de quitter la France pour s'installer là où l'herbe est plus verte fiscalement. D'après les chiffres fournis dernièrement par Bercy on compte 3 000 à 4 000 personnes qui, chaque année, quittent la France. Fondamentalement, cela représente un coût important. Il se chiffre en plusieurs centaines de millions d'euros de manque-à-gagner fiscal de plus, chaque année.

Pour quelles raisons l'Etat ne parvient-il pas à rapatrier d'autres montages, plus complexes ? Quelles sont les armes (ou les tactiques de séduction) qui lui manquent ?

Ces montages dits complexes sont extrêmement compliqués. Il faut mettre en place des cellules avec des compétences à la fois fiscales et juridiques, mais également tracer l'argent ensuite. En outre, de nombreux problèmes de secrets internationaux persistent. Certes, l'Europe a décidé de s'en prendre aux paradis fiscaux et a été suivie par l'OCDE, néanmoins cela ne couvre pas l'intégralité des Etats. Par conséquent, il est logique qu'on ne puisse pas accéder à toutes les informations nécessaire pour tracer les flux. Assez vite et pour cause d'incapacité technique, les enquêtes sont contraintes de s'arrêter. On ne peut donc pas poursuivre les personnes concernées.
Quant à ce qui relève de la séduction des fraudeurs... Il faut réaliser que les montants qui sont en jeu sont particulièrement importants et qu'au vu du montant des prélèvements obligatoires en France, il ne sera jamais très intéressant pour eux de revenir. Ceux qui acceptent de le faire payent des impôts et ne rentrent pas gratuitement. Tant qu'un montage très complexe peut tenir (et il est même parfois légal), il est rare qu'un fraudeur ne s'en tienne pas là.
Cela ne signifie pas que l'Etat ne dispose d'aucune arme pour lutter contre la fraude fiscale. Une coopération s'est mis en place à la fois au niveau de l'Union Européenne et de l'OCDE, comme je le mentionnais plus haut. En outre, cela fait parti des missions qu'Interpol peut prendre en charge, le cas échéant, s'il est avéré qu'on se situe dans une situation de délit pénal.

Concrètement, faut-il s'attendre à ce que le "bon filon" de l'Etat finisse par se tarir ? Ou devrait-il y avoir un nouveau rebondissement ?

Cette ressource va finir par se tarir, notamment en raison des déclarations spontanées.  Bien entendu, la lutte contre la fraude fiscale et les progrès qui sont faits grâce aux outils numériques ; les obligations qu'ont les banques et les compagnies d'assurance jouent un rôle primordial également. : il y a à la fois le vieux fichier bancaire qui s'appelait FICOBA et maintenant le fichier des compagnies d'assurance qui est mis en place et sera effectif à partir de l'année prochaine. 
À partir de l'année prochaine l'administration fiscale jouira d'une traçabilité plus fine (grâce au fichier bancaire FICOBA et au fichier des compagnies d'assurances effectif dès l'année prochaine). D'autre part, la coopération européenne et internationale se renforce au niveau des flux financiers et vise à aider dans la lutte contre la fraude fiscale. Il y a le fait également qu'on limite les paiements en liquide. Troisième point important : l'ensemble de ce qui se fait via virement bancaire est désormais surveillé. Les procédures sont renforcées et les banques sont tenues comme responsables quand l'origine des fonds n'est pas assez claire. C'est pourquoi elles peuvent interroger leurs clients à tout moment à ce sujet. 
L'arsenal de lutte contre la fraude financière s'est fortement accru ces cinq dernières années. C'est dû à certaines révélations dans la presse ainsi qu'au déficit budgétaire. Dès lors que tous les États européens ont été confrontés à des problèmes de finances publiques, ils ont acceptés de coopérer sur la lutte contre la fraude financière pour récupérer des recettes. Les pays qui étaient, à l'époque, assez coulants (comme le Luxembourg et la Suisse) on prit peur d'être mis au ban par les autres et ont accepté de lever le secret bancaire, en raison de la pression unanime des États endettés et des Etats-Unis également. Les Etats-Unis étaient contre la coopération en la matière jusqu'à ce que le 11 septembre 2001 et l'endettement des Etats-Unis  contribué au changement d'attitude des Américains. Aujourd'hui il y a plutôt un consensus des états occidentaux sur la fraude fiscale et financière.

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