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Réouverture sans efforts Zéro Covid : un aller simple pour une sournoise catastrophe sanitaire
Réouverture sans efforts Zéro Covid : un aller simple pour une sournoise catastrophe sanitaire
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Stratégie efficace ?

Emmanuel Macron et le gouvernement ont confirmé la réouverture des écoles pour la fin du mois d'avril et des collèges et des lycées au début du mois de mai. Les terrasses des bars et des restaurants ainsi que certains lieux culturels devraient rouvrir à la mi-mai. Le risque de contamination sera-t-il suffisamment faible pour justifier sanitairement ces réouvertures ? Des mesures liées à la stratégie Zéro Covid et l'application de certains protocoles permettraient d'éviter de nouveaux rebonds de l'épidémie.

Antoine Flahault

Antoine Flahault

 Antoine Flahault, est médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique, directeur de l’Institut de Santé Globale, à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève. Il a fondé et dirigé l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (Rennes, France), a été co-directeur du Centre Virchow-Villermé à la Faculté de Médecine de l’Université de Paris, à l’Hôtel-Dieu. Il est membre correspondant de l’Académie Nationale de Médecine. 

 

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Atlantico : Les projets de réouvertures sans appliquer la stratégie Zéro Covid sont-ils voués à l'échec et risqués sur le plan sanitaire ? Quels sont les pays qui pourraient servir d'exemples et dont la stratégie a été payante face à la pandémie de Covid-19 ? 

Antoine Flahault : Aujourd’hui, regardons les pays européens qui semblent sortir du tunnel et comprenons leur stratégie. Qui sont-ils ? On peut citer en tête le Royaume-Uni, y adjoindre le Portugal, le Danemark, la Finlande, la Norvège, l’Irlande aussi et Israël (qui est dans la région Europe de l’OMS). Il y a l’Islande aussi, j’y reviendrai. Tous ces pays partagent une situation sanitaire de décrue épidémiologique, certains, comme le Royaume-Uni, ont déjà atteint un niveau très proche de celui que la France avait atteint en juin 2020, c’est-à-dire une situation de circulation très faible du virus. Comment y sont-ils parvenus ? Tous, sauf la Finlande et la Norvège, ont introduit un confinement strict avec fermeture de leurs écoles d’au-moins deux mois dès janvier ou février derniers. Cette intervention était associée à une campagne vaccinale, soit de niveau voisin de celui de la France (c’est le cas des pays cités membres de l’UE : Portugal, Danemark, Finlande), d’autres ont été plus ambitieux et plus rapide dans leur campagne vaccinale comme Israël et le Royaume-Uni. Aucun pays cependant n’est arrivé à cette situation enviable avec la seule vaccination comme stratégie, pas même Israël. L’Islande, de tous les pays cités est le seul à avoir appliqué une stratégie stricte de zéro Covid, avec succès. Les autres pays mentionnés mettent aujourd’hui en œuvre une stratégie intermédiaire, que l’on appelle « agressive suppression » en anglais, ce que l’on pourrait traduire par « faible circulation du virus ». Ils vont tenter de s’y tenir, et savent que ce sera difficile, en raison de la circulation des variants, de la difficulté de contrôler efficacement les frontières poreuses de l’Europe, de la difficulté de recourir aux traces digitales pour investiguer les chaînes de transmission comme on sait le faire en Asie avec les technologies d’aujourd’hui. Les Britanniques mettent en place des hôtels de confinement à l’instar des Australiens ou néo-zélandais, car c’est l’une des solutions qui a fonctionné pour garantir un respect strict des quarantaines pour les voyageurs revenant de l’étranger et éviter l’importation de nouveaux variants.

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Le gouvernement maintient son objectif de rouvrir les écoles fin avril et les collèges, lycées début mai. Jeudi, Emmanuel Macron a tenu une réunion portant sur le calendrier des réouvertures et selon Gabriel Attal, les terrasses et certains lieux de cultures pourraient rouvrir dès la mi-mai. Le risque de contamination sera-t-il suffisamment faible pour justifier sanitairement ces réouvertures au vu des dernières données ? 

La fermeture des écoles, ou au moins des cours présentiels dans les établissements scolaires, a pour objectif de minimiser les interactions sociales. C’est une mesure très douloureuse non seulement pour les enfants qui perdent des semaines de scolarité sans possibilité d’en être jamais totalement compensés, c’est très douloureux socialement et cela a des conséquences économiques importantes, car les enfants du primaire étant à la maison, la moitié de la force de travail ne peut plus travailler. Si le gouvernement français avait tout mis en œuvre pour atteindre les objectifs fixés le 28 octobre par le Président (qui avait demandé de passer sous la barre des 5000 cas par jour le 1er décembre), le pays aurait pu, avec seulement quinze jours de fermeture des écoles, avant les vacances de Noël, profiter d’un mois complet de fermeture des écoles et tester alors sans trop de dommages collatéraux, l’efficacité de ces mesures pour ramener l’incidence au faible niveau visé début janvier. Au dessous de 5000 cas par jour, les autorités de santé peuvent reprendre la main sur l’épidémie, remonter toutes les chaînes de transmission. Ce mois de confinement supplémentaire en décembre aurait pu être mis à profit pour travailler sur les textes juridiques et réglementaires autorisant l’isolement efficace des personnes infectées, le recours aux traces digitales, la recherche efficace des contacts (tout cela était indiqué dans le discours présidentiel du 28 octobre, comme une feuille de route qui n’a jamais été appliquée). Le contrôle sanitaire aux frontières aurait pu être envisagé et discuté à l’intérieur de l’espace Schengen. Bref tout cela aurait pu être fait de manière plus simple et surtout plus rapide car il n’y avait « que » 10 000 cas par jour le 1er décembre alors que la France en enregistre 40 000 par jour aujourd’hui. Maintenant on ne peut pas vouloir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière ! Avec ce confinement très tardif du début avril, un verrouillage moins strict qu’en 2020, on ne peut pas espérer quand même que trois semaines de fermeture des classes permettront de passer sous la barre des 5000 cas par jour ! Le risque de rouvrir trop vite serait en effet d’en rester à un plateau beaucoup trop élevé pour affronter la suite et notamment l’été sereinement. Les autorités de santé ne savent pas tracer les contacts avec efficacité lorsqu’il y a plus de 5000 cas par jour. A tout moment le risque de résurgence sera grand, comme on le voit partout dans le monde actuellement, au Chili, aux USA, au Canada, pour prendre trois exemples de pays à niveau de vie élevé et où la couverture vaccinale est parfois bien supérieure à celle que les Français peuvent espérer atteindre à la fin mai.

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Je mettrai à part le cas de la réouverture des terrasses de café, bar et restaurants, car je crois que l’on peut promouvoir au maximum les rencontres et les interactions sociales en milieu extérieur. Il faut enfin que les autorités se concentrent sur la seule lutte contre la propagation en milieu intérieur. Jusqu’à preuve du contraire, il n’y a pas de cas convaincant de super-propagations rapportées en milieu extérieur. Certains disent que les contaminations seraient vingt fois inférieures en milieu extérieur qu’en milieu intérieur, et si je ne suis même pas sûr de ce chiffre de 20 (c’est peut-être beaucoup plus rare encore). Il faut donc, par précaution, continuer à préconiser le respect d’une distance physique de plus de 1,5 mètres à l’extérieur lorsque l’on ne peut pas mettre de masque et que l’on est en face de quelqu’un qui n’est pas de son foyer.

En débutant des réouvertures malgré une épidémie toujours à un niveau élevé et sans mettre en place des dispositifs capables de lutter efficacement contre la propagation de l’épidémie dans les lieux concernés et dans le pays, le gouvernement ne court-il pas le risque de voir l’épidémie repartir tôt ou tard ?  

On doit réussir ce déconfinement et il faudrait que ce soit vraiment le dernier. Pour cela, même si cela semble paradoxal, il faudrait résister à rouvrir trop tôt afin de sortir le plus vite possible de ce cauchemar que sont ces mesures de confinement. Le Royaume-Uni nous montre la voie. D’autres pays l’avaient fait avant, mais on nous répétait à l’envi qu’ils étaient asiatiques ou encore isolés au milieu du Pacifique, lorsqu’on ne soulignait pas qu’ils étaient une dictature communiste, ce qui était loin d’être le cas de bon nombre des pays qui avaient choisi des stratégies performantes de lutte contre cette pandémie. Mais là c’est à nos portes. Si l’on rouvre trop vite, on connaît trop bien la suite des événements pour ne pas avoir à l’évoquer en détail, les stop&go reprendront jusqu’à ce que la population soit entièrement vaccinée. La population ne sera pas entièrement vaccinée avant l’été, moins en raison de l’hésitation d’une bonne frange de la population adulte à se faire vacciner qu’en raison de l’absence d’homologation des vaccins chez les moins de 16 ans qui représente un grand réservoir de contaminations potentielles.

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Quels devraient être les principes et les protocoles qui devraient présider pour une réouverture sereine afin d’éviter un regain de l’épidémie ? Si le gouvernement ne souhaite pas suivre la voie du zéro covid, une voie médiane est-elle envisageable ? Si non, quelle doit être la stratégie pour parvenir à la suppression du virus le plus rapidement possible ?

Si le gouvernement persiste dans sa stratégie hasardeuse de rouvrir le pays trop précocement, alors que les indicateurs sanitaires sont mauvais, avec la pression exercée par les nouveaux variants et l’absence de couverture vaccinale suffisamment efficace, alors il prendra le risque d’une résurgence épidémique. Il offrira un boulevard aux variants pour se répandre et s’installer durablement dans le pays, et il retournera probablement à la saturation de son système de soins nécessitant à plus ou moins court terme un nouveau confinement. Sur le plan de la vie sociale et économique, ces choix seront d’autant plus désastreux qu’aux portes du pays cette fois (et non plus à l’autre bout de la planète) d’autres pays plus vertueux sur le plan sanitaire, auront rouvert en toute sécurité leur pays et leur économie. Bien sûr, ces bons élèves appelleront fermement leurs propres ressortissants à ne pas se rendre dans les zones à risque d’Europe, c’est-à-dire celles qui n’auront pas su ramener leur incidence à un niveau de faible circulation. De même, ces pays ne seront pas enclins à recevoir des touristes de ces zones rouges.

A la question de savoir si, au moment où il devient opportun de rouvrir, il est possible de réduire le risque dans les écoles, les cantines scolaires, les restaurants d’entreprises, les lieux de spectacles et les arènes sportives fermées, la réponse est oui, bien sûr. En se focalisant désormais sur la voie majeure, si elle n’est pas quasiment la seule, de transmission du coronavirus par voie aérosol, le maître mot doit être la ventilation. Il conviendra de s’assurer qu’elle est efficace et satisfaisante là où l’on reçoit du public (grâce à des capteurs de CO2). Il conviendra aussi de promouvoir clairement le port du masque, le respect des distances physiques, et la jauge dans tous les lieux fermés efficacement ventilés. Les tests rapides bien encadrés pourraient aussi jouer un rôle important, notamment dans les écoles pour prévenir les fermetures intempestives de classe. Il faut absolument mettre à profit les périodes de confinement pour déployer ces programmes permettant de réduire le risque à l’ouverture.

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