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Rentabilité en berne : les entreprises asphyxiées par excès de prudence
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Le désamour du risque

Selon l'INSEE, la rentabilité des entreprises françaises non cotées en bourses est au plus bas depuis 1985. Une réalité qui résulte en partie du comportement des entreprises françaises qui préfèrent constituer des réserves d'argent, plutôt que l'investir en faveur de l'innovation et de la compétitivité.

Bernard Paranque

Bernard Paranque

Bernard Paranque a rejoint Euromed Management en 2004 comme Professeur de Finance. Il est Délégué Général à l'EuroMéditerranée, et titulaire de la Chaire AG2R/La Mondiale "Finance Autrement : Investissement - Solidarités - Responsabilité". Il a notamment été économiste à la Banque de France.

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«Si les groupes du CAC 40 se portent bien, ce n'est pas le cas pour l'ensemble des entreprises installées en France : leur taux de marge (taux de profit brut) est tombé fin 2011 à son niveau le plus bas depuis 26 ans, selon l'Insee. Pendant ce temps-là, celui de leurs concurrentes allemandes progresse... ».

Il serait facile de réagir en incriminant les charges et les prélèvements obligatoires... Mais la réalité est davantage liée à la complexité des mécanismes socio-économiques. La CCIP (Chambre de commerce et d'industrie de Paris) avait réalisé une étude à la fin des années 90 qui pointait le risque de perte de compétitivité de l’économie française à cause de la faiblesse de l’investissement.

Quinze ans après l’ouverture des marchés financiers - dont on sous-estime encore la dimension idéologique -, l’immense majorité des entreprises a été alors conditionnée, paradoxalement, par une exigence de fonds propres importante. Cela a d’ailleurs donné lieu à des comparaisons européennes qui battaient en brèche le soi-disant manque de capitaux propres des entreprises nationales, ce qui avait donné lieu au constat suivant : « les entreprises françaises meurent en bonne santé ».

Concrètement, face à cette exigence de fonds propres, les entreprises ont modifié du tout au tout leur manière de gérer l’incertitude des débouchés, en préférant constituer des réserves plutôt que de continuer à investir lors des récessions. Ceci a constitué un changement important de comportement des PME (petites et moyennes entreprises) et entreprises non cotées. C’est ce phénomène qui avait alerté la CCIP qui s’inquiétait du retard que notre économie pouvait prendre si pour préserver leur autonomie financière (réclamée par les banques en terme de garanties), les entreprises repoussaient, voire renonçaient à leurs investissements. On peut donc faire l’hypothèse que la faiblesse des marges aujourd’hui trouve aussi son origine dans une perte de compétitivité liée au retard accumulé en matière d’investissement et de R&D (recherche et développement) [1]. Autrement dit les entreprises ont du mal à dégager des marges sur leur production.

Il est alors question des « charges » qui pèseraient sur les entreprises. Tout d’abord les travaux menés sur le sujet par l’INSEE et la Banque de France ont montré que tout allégement de charges, loin de dynamiser l’investissement, le pénalisait.

Pourquoi ? Car les entreprises en période de difficulté, en particulier pour financer leur trésorerie, doivent présenter des bilans flatteurs, c'est à dire affichant un montant de fonds propres significatif. Investir à ce moment là, oblige à mobiliser des fonds et "détériore" donc la structure de bilan telle que la souhaite les "financeurs". Donc, les entreprises mettent en réserves, quand elles le peuvent, tout allégement dont elles bénéficient en période d’incertitude (vieil adage « un tu le tiens vaut mieux que deux tu l’auras), afin d’éviter une détérioration toujours possible de leur situation financière pour garder la confiance des prêteurs.

Ceci dit, les prélèvements que doivent assumer les entreprises correspondent aussi à de la consommation différée, que ce soit via la protection sociale, les cotisations retraites, l’assurance chômage, etc. Il s’agit donc de ressources différées qui permettent de dégager une demande offrant des débouchés aux entreprises (celle de chômeurs, des malades, des retraités etc.). Autrement dit, c’est un outil contra-cyclique de gestion de la conjoncture, comme l’a bien montré le moindre impact de la crise sur notre pays en 2008 / 2009 (voir les travaux de l’OFCE).

Bien sûr que du point de vue individuel de l’entreprise face à un concurrent, le niveau des coûts à engager (terme préférable à celui de charge) peut être pénalisant, mais pour que ces coûts deviennent une valeur ajoutée, un chiffre d’affaires, il faut pouvoir vendre et cela dépend tout autant de ce niveau que de la capacité d’innovation et de réalisation de gains de productivité réels. Nous sommes donc confrontés à un effet de ciseau, entre une insuffisance d’investissement et de R&D (y compris en matière de politique publique), et un système de prélèvements qui malgré son rôle d’amortisseur des cycles conjoncturels pèse à court terme sur les marges.

La plus grosse erreur serait de croire que c’est en le réduisant (ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas l’améliorer, mais en gardant en mémoire son rôle de réducteur de l’incertitude) que nous améliorerons notre compétitivité, car cette dernière dépend en dernière instance de la qualité de l’investissement matériel et immatériel. Il s’agit donc moins de supprimer des prélèvements que de s’assurer de leur efficacité et de leur meilleure allocation possible. Et se comparer à l’Allemagne ne renvoie alors qu’à la faillite de la politique industrielle des années 70 qui a abandonné des secteurs clés dans le secteur des biens d’équipements comme la machine outils.




Notes

[1] Il ne s’agit pas de rentabilité ou de taux de profit comme le dit l’article de La Tribune car dans les deux cas il s’agit d’apprécier la croissance du capital permise par l’activité, on rapporte un flux de revenus au stock de capital, ce qui n’est pas le cas du taux de marge qui rapporte un flux à un autre flux, celui de la production réalisée au cours de la période.

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