Renouer avec notre statut de puissance maritime dans la Manche<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
Des marins pêchent en Manche en septembre 2020.
Des marins pêchent en Manche en septembre 2020.
©AFP / Nicolas GUBERT

Pêche française

Symptomatiques d’une perte d'influence au niveau européen, les accords du Brexit ont été globalement défavorables à la France en matière de quotas de pêche.

Clément Perrin

Clément Perrin

Clément Perrin est directeur adjoint du Millénaire. 

Voir la bio »

La Manche a longtemps fait office de zone paisible en comparaison avec les tensions à l’œuvre dans d’autres espaces du monde – mer de Chine ou mer Noire en tête. Le Brexit est venu rebattre les cartes, en ravivant des conflictualités alors relativement sous contrôle dans le cadre du pacte communautaire.

La pêche française désarmée face aux britanniques

Symptomatique d’une perte d'influence française au niveau européen, les accords du Brexit ont été globalement défavorables à la France en matière de quotas. Concrètement, l’accord du 24 décembre 2020 s’est soldé sur une trajectoire de réduction de 25 % des quotas européens dans les eaux britanniques, en valeur, à horizon juin 2026, c’est autant de chiffre d’affaires perdu pour les entreprises de pêche françaises qui dépendent des eaux britanniques. Mais le bât blesse vis-à-vis de cet horizon de juin 2026 : aucune visibilité au-delà, ce qui compromet la capacité de nos patrons-pêcheurs et de nos armements à se projeter vers l’avenir et à bâtir leurs stratégies d’investissement en toute confiance. 

Au-delà des quotas, la pêche française fait dorénavant face à des normes environnementales plus strictes. En effet, le Brexit exclut le Royaume-Uni de la politique commune des pêches (PCP) qui encadre strictement les pratiques des professionnels de la mer issus de l’Union européenne. Par ailleurs, la limitation de l’activité des pêcheurs européens dans les eaux britanniques, induite par le Brexit, est un non-sens écologique. C’est en effet méconnaître les cycles de migration de certaines espèces, qui peuvent naître loin des côtes anglaises ou écossaises avant de s’y installer une fois parvenues à l’âge adulte. C’est le cas du hareng, qui suit ce schéma de la mer du Nord jusqu’au sud des Îles Shetland. À cet égard, une parfaite coopération entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne est indispensable pour continuer de permettre les captures dans des zones peuplées de poissons adultes plutôt que juvéniles. 

Pourtant, les poissons sont au Royaume-Uni et le marché est en Europe. La pêche européenne dans les eaux britanniques est huit fois plus importante en volume que la pêche britannique dans les eaux européennes. Ces relations de dépendance asymétriques entre le Royaume-Uni et les membres de l’Union européenne expliquent notamment la situation politique explosive qui se déploie en Manche. La perte sèche de chiffre d’affaires, associée à la réduction de 25 % de quotas décidée dans le cadre de l’accord du Brexit, accable ainsi certains territoires littoraux déjà affectés lourdement par des phénomènes de désindustrialisation. 

Gagner le rapport de force en Manche

La désunion du secteur de la pêche française constitue sa plus grande faiblesse. Porter remède à cette fragilité doit se situer au cœur de nos priorités collectives, en portant la conviction selon laquelle la pêche française est belle parce qu'elle est plurielle. Il existe, en effet, une forme de schizophrénie française, déchirée par une double injonction contradictoire. Pourtant, il semble plus que jamais essentiel d’imaginer une pêche française du XXIe siècle capable de miser sur ses deux composantes, artisanale et industrielle, de façon complémentaire et non concurrentielle afin de faire rayonner la France dans la compétition tant européenne que mondiale. 

Il est évidemment regrettable que l’issue trouvée à l’imbroglio diplomatique post-Brexit en Manche soit celle d’une amputation d’une partie de la capacité de production de la pêche française. L’accord du 24 décembre 2020 a été synonyme d’un plan de sortie de flotte pour les navires qui n’obtiendraient pas de licence dans les eaux britanniques. L’enjeu véritable, au fond, n’est pas de détruire nos navires de pêche mais de les moderniser. Il doit s’agir d’une priorité nationale. Le fait est que la flotte française est dramatiquement vieillissante. L’âge moyen des navires en métropole a presque doublé en une trentaine d’années. Ce vieillissement n’est pas sans incidence sur la capacité des pêcheurs français à être efficaces et productifs en Manche, tandis que s’exerce une intense concurrence internationale. 

La filière pêche souffre également du malheur français de bureaucratisation de son activité. Elle se distingue par exemple de tout autre secteur en ce qu’elle est remise en question chaque année, pour les espèces soumises à droits de pêche, sur la base de critères dont les opérateurs économiques concernés n’ont substantiellement pas la maîtrise. Le site de l’Ifremer indique que « environ 35 espèces de crustacés, de poissons benthiques, démersaux, pélagiques et profonds sont actuellement sous quotas dans les zones gérées par la Commission européenne ». C’est-à-dire que le volume de chiffre d’affaires d’un patron-pêcheur ou d’un armateur qui pêche ces espèces dépend directement des quotas déterminés annuellement, sur la base des avis et décisions rendus à l’échelle européenne. La France risque de ne plus tout à fait être la France, sans une ambition maritime affirmée, claire, visionnaire. Il est pour cela urgent d’agir en soutien des professionnels de la filière pêche, particulièrement exposés en Manche, et de procéder aux quelques ajustements qui leur permettront de maintenir, collectivement et solidairement, le bateau France à flot.

Pour retrouver la note du Think Tank Le Millénaire sur cette question, cliquez ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !