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René Dosière : "La solidarité entre responsables de la fonction publique et des médias explique le fait que l’on a très peu parlé de la hausse récente des salaires des conseillers ministériels"
©Reuters

Grand entretien

Député socialiste, René Dosière revient sur le déplacement de Manuels Valls à Berlin pour la finale de la Champions league. Cet expert dans le contrôle des dépenses étatiques analyse les différentes affaires récentes en matière d'utilisation de fonds publiques qui ont suscité la polémique.

René Dosière

René Dosière

René Dosière est ancien député de l'Aisne. Il est connu pour ses travaux scrupuleux sur le train de vie de l'État et la transparence de la gestion publique. Il préside l'Observatoire de l'éthique publique qui associe universitaires et parlementaires. Il est l'auteur, notamment, de L'Argent caché de l'Élysée et d'Argent, morale et politique.

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Atlantico : Vous avez approuvé la proposition de Manuel Valls de rembourser le voyage de ses enfants à Berlin. Or il a dit, dans le même temps, que leur présence n’avait rien couté à l’Etat. N’est-ce pas contradictoire ?

René Dosière : Non parce que l’usage des avions gouvernementaux pour le Premier ministre et le Président est différent selon que l’on soit dans le cadre d’un déplacement public ou privé. Quand il s’agit d’un déplacement public, il n’y a pas d’observation particulière. S’il s’agit d’un déplacement privé, comme on utilise un avion public, la Cour des comptes a recommandé de montrer la séparation entre les deux en réglant le déplacement privé sur la base du billet d’un avion régulier de ligne.
S’agissant du déplacement du Premier ministre, lui-même a expliqué qu’il s’agissait d’un déplacement professionnel donc il n’a pas à rembourser. Par contre, il a amené ses enfants qui ne sont pas des personnages publics mais des agents privés. Un remboursement symbolique du billet s’inscrit donc là dans le cadre d’une utilisation privée pour les enfants, d’un avion officiel à des fins privées. En remboursant le déplacement pour ses enfants, Manuel Valls se conforme parfaitement à la coutume mise en place depuis plusieurs années.

Ce remboursement n’est-ce pas arrivé trop tard, au moins dans son annonce ?

La gestion de ce déplacement n’a pas été très habile en terme de communication, c’est le moins que l’on puisse dire. Néanmoins, les médias ont donné à cet évènement une place disproportionnée, cela ne méritait pas autant d’articles par exemple pendant près de 4 jours. Mais il s’agit-là du problème des médias qui accordent à des évènements mineurs plus d’importance qu’ils ne peuvent en avoir. Ceci a quand même montré que l’opinion publique est particulièrement sensible à tout ce qui apparaitrait comme des privilèges ou un train de vie excessif. En l’occurrence il n’y avait aucun privilège, l’utilisation des fonds publics en tout cas a été respectée. Si ce voyage est peut-être apparu comme un privilège c’est peut-être parce que le Premier ministre a laissé ses camarades socialistes à Poitiers regarder le match alors que lui a décidé de le regarder sur place, créant une espèce de déséquilibre.
L’opinion publique aujourd’hui est particulièrement réticente à ce genre de déplacement.

Cette affaire est révélatrice d’une exigence de transparence absolue de la part des Français. Les Français, jusqu’ici, n’étaient-ils pas plus permissifs ?

Il y a à peine une dizaine d’années, le comportement des responsables politiques étaient beaucoup moins encadrés. On se rappelle des déplacements en avion lorsque Bernard Tapie était président de l’OM, de toute la classe politico médiatique aux frais de Bernard Tapie afin d’aller assister aux matchs de l’OM. Personne ne disait rien, au contraire. Aujourd’hui, les Français ne pardonnent pas le moindre d’écart à leurs responsables politiques.
C’est apparu comme quelque chose d’excessif même si, encore une fois, en matière d’usage des fonds publics, la coutume fixée a été respectée.
Il y a à la fois un discrédit beaucoup plus fort à l’égard des responsables politiques et le sentiment que l’action politique n’est pas suffisamment efficace alors on ne pardonne rien du tout. Aussi longtemps qu’il y aura du chômage, les responsables politiques ne doivent pas donner le sentiment de s’intéresser à autre chose que leurs fonctions politiques.

Comment en est-on arrivé là ? Est-ce dû à un trop plein d’abus ou à une évolution du rapport entre électeurs et élus ?

La persistance des difficultés économiques rend les Français plus exigeants à l’égard de leurs responsables politiques. Pourtant depuis une dizaine d’années, des progrès considérables ont été réalisés notamment en matière de transparence, sur le train de vie de l’Etat…  Par exemple il n’y a plus aucune comparaison entre le train de vie des ministres hier et aujourd’hui. Il y a quelques années, la moitié du traitement des ministres était payé en liquide et soustrait au Fisc. Cela n’est plus le cas. Ils pouvaient aussi cumuler leur rémunération avec des rémunérations locales, ils étaient logés aux frais du contribuable ce qui a aussi disparu etc.  Tout cela parait normal mais c’est tout récent.
Pour rappel, les ministres ont vu leur rémunération diminuer de 30% avec l’arrivée de François Hollande au pouvoir. C’est un geste que l’on a vite oublié mais qui est sensible tous les mois chez les ministres. Loin de moi l’idée de faire pleurer sur les ministres, mais on a diminué sérieusement leur train de vie et l’opinion se semble pas s’en apercevoir.
Les Français sont très sévères concernant les abus, ils peuvent avoir le sentiment que ces abus sont de plus en plus nombreux alors que la réalité est exactement l’inverse. Si on parle des abus d’hommes politiques aujourd’hui, c’est parce qu’ils sont sanctionnés. Il y a quelques années cela n’était pas le cas et on pouvait alors avoir l’impression qu’ils n’existaient pas. Les magistrats sont bien plus pugnaces et libres d’agir face aux hommes politiques. La législation a aussi été durcie. Ainsi, concernant Monsieur Balkany, il a fallu attendre longtemps avant que la justice ne s’intéresse à sa situation pourtant connue depuis plusieurs dizaines d’années.

Affaire Mathieu Gallet, Agnès Saal… Dans quelle mesure ce genre de comportements est-il répandu au sein de l’Etat, chez les élus comme dans la fonction publique ? Est-il possible de savoir combien ces dérives peuvent-elles coûter à l’Etat ?

Il est vrai que la France a une caractéristique : une catégorie de hauts fonctionnaires issus des grandes écoles, des mêmes réseaux, de la même formation et qui ont l’habitude de rester au pouvoir dans le public ou privé, parfois avec une certaine complicité. Bon nombre de progrès restent à réaliser.
D’une manière générale, la fonction publique française est plutôt d’une très grande rigueur. Les dérives me semblent très limitées mais les passages fréquents entre privé et public favorisent une course à l’argent et pousse les rémunérations dans le secteur public à des sommets assez scandaleux. Le train de vie est alors élevé.
S’agissant du secteur privé, ce n’est pas très différent, et même parfois bien plus important, mais il ne s’agit pas d’argent public ce qui est une différence considérable.
L’opinion publique est sévère à l’égard des responsables publics, à juste titre puisqu’ils doivent être exemplaires, mais aussi d’une grande tolérance à l’égard du comportement des vedettes du show-business voire des célébrités du monde sportif, qui ont un train de vie absolument honteux.

Au-delà de ces cas médiatiques, vous vous êtes dit choqué, il y a quelques mois, par le salaire des conseillers ministériels du gouvernement Valls qui ont été augmentés de 7.1% par rapport à l’ère Ayrault. L’émotion a été beaucoup moins forte alors que les sommes engagées sont plus importantes. Comment l’expliquez-vous ?

Une haute fonction publique française dispose de rémunérations élevées. Il y a là une sorte d’habitude qui s’est créé. Entre 2011 et 2014, il y a relativement peu d’évolution en matière de rémunération dans les cabinets ministériels. Si la rémunération des ministres a diminué, celles de leurs collaborateurs, elle, n’a pas subi la même évolution.
Je crois qu’il existe une certaine solidarité entre la plupart des hauts responsables publics et privés de notre pays, j’évoque le privé car ceux qui tiennent les médias sont issus souvent des mêmes types de formations, se fréquentent… Une solidarité de fait  se crée donc. On ne dénonce pas aussi facilement le comportement de personnes dont le train de vie ressemble à celui que vous avez.  

« La solidarité qui existe entre responsables de la fonction publique et des médias explique le fait que l’on a très peu parlé de la hausse récente des salaires des conseillers ministériels » certains hauts responsables publics

Vous qui examinez régulièrement les comptes de l’Elysée, pensez-vous qu’il y a encore des marges de progression en matière de dépenses et de transparence ?

On vient d’avoir connaissance du budget 2014 de l’Elysée, budget à nouveau en diminution par rapport au budget 2013 dans un certain nombre de lignes. On peut toujours penser que des progrès sont encore possibles mais il faut néanmoins faire attention à garder des moyens de fonctionnement satisfaisants. Les gains que l’on peut attendre sur le budget de l’Elysée en termes de montant global sont devenus maintenant plus modestes, il faut au moins maintenir les efforts entrepris.
Le progrès principal qui reste à faire mettre se situe sur le plan de la transparence. Cela consisterait à publier le budget de l’Elysée sur internet à disposition de tous. Le président de la République est d’ailleurs favorable à cette idée, et j’ai bon espoir que cela soit fait avant la fin du quinquennat. 

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