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Rencontre Sarkozy Merkel à Berlin : pourquoi le défi crucial de la réanimation du couple franco-allemand est loin d'être gagné d'avance après 5 ans de quinquennat Hollande
©DR

Paix des ménages

Ce mardi, Nicolas Sarkozy sera à Berlin pour y rencontrer la chancelière allemande Angela Merkel. Alors que le quinquennat de François Hollande s'est caractérisé jusqu'à présent par des liens plus distants entre les deux pays, le couple franco-allemand est aujourd'hui attendu au tournant dans un contexte compliqué pour les européistes.

Henri de Bresson

Henri de Bresson

Henri de Bresson a été chef-adjoint du service France-Europe du Monde. Il est aujourd'hui rédacteur en chef du magazine Paris-Berlin.

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Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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Atlantico : Ce mardi 21 juin, Nicolas Sarkozy rencontre Angela Merkel à Berlin. Que peut espérer l'ancien Président de cette rencontre avec la chancelière allemande ? Dans quelle mesure est-il aujourd'hui nécessaire de dialoguer avec l'Allemagne lorsqu'on est candidat à la prochaine présidentielle et dans un contexte d'euroscepticisme croissant ?

Jérôme Vaillant : Dans un premier temps, il convient de ne pas surévaluer la visite de l’ancien Président français à la chancelière allemande à Berlin dans la mesure où ce n’est pas la première. Le 26 janvier 2015, Nicolas Sarkozy a rendu visite à celle-ci au siège du parti chrétien-démocrate (CDU), visite présentée comme une simple rencontre entre chefs de parti. Il avait saisi l’occasion de rappeler qu’il "fallait tout faire pour maintenir la Grèce dans l’Euro". Dans un souci compréhensible de courtoisie et pour éviter tout malentendu, la chancelière avait prévenu François Hollande du passage de Nicolas Sarkozy à la chancellerie un an plus tard, le 28 février 2015, quand celui-ci s’était rendu à Berlin, accompagné de Bruno Le Maire, pour faire un discours devant le Forum européen de la Fondation Konrad-Adenauer, proche de la CDU. Cela avait été, cette fois, l’occasion pour Nicolas Sarkozy de rappeler, en pleine crise grecque et de l’Euro, que "si l’Euro cessait d’exister, c’était l’Europe qui disparaissait". A chaque fois, l’ancien Président français cherchait à se rappeler à l’attention des médias aussi bien étrangers que français, et sans doute plus encore français qu’étrangers, pour mieux se positionner comme candidat à la primaire de la droite et à la présidence de la République française. La nouvelle rencontre Sarkozy-Merkel poursuit, à n’en pas douter, le même double objectif personnel et politique. Le message politique est une façon de confirmer que la qualité des rapports franco-allemands est aujourd’hui comme hier nécessaire à la poursuite de la construction européenne, l’Allemagne et la France, de par leur poids politique et économique en Europe, restants les seuls capables d’entraîner à leur suite les autres Etats européens.

Henri de Bresson : Les relations de Nicolas Sarkozy avec l’Allemagne n’ont jamais été simples. Le ton de ses campagnes électorales à l’égard de l’Union européenne et de l’Allemagne elle-même n’a pas laissé que de bons souvenirs auprès des Allemands et du parti chrétien démocrate que préside la chancelière Angela Merkel. Celle-ci a néanmoins fait le nécessaire pour nouer avec lui une relation de travail, sinon étroite, du moins bonne, lorsqu’il était à la tête de la France. Paris et Berlin ont alors joué un rôle-clé pour sortir l’euro de la tourmente monétaire et renforcer la gestion de la zone euro. On a pu parler du "merkozysme" pour qualifier leur politique européenne. Il n’est pas anormal que la présidente de la CDU reçoive aujourd’hui le président du parti frère, les Républicains, dans cette période préélectorale dans les deux pays alors que d’importantes échéances attendent l’Europe. Mais il y a d’autres candidats à la primaire de la droite qui passent pour plus proches de la droite allemande, à commencer par Alain Juppé qui avait su refonder les relations entre les deux partis lors de la création de l’UMP, ou Bruno Le Maire.

Quels seraient les risques d'un alignement de la France sur les positions d'Angela Merkel, concernant l'économie ou encore la question migratoire ? A l'inverse, un réchauffement des relations entre Paris et Berlin n'est-il pas la condition préalable d'un retour de l’Allemagne à des positions plus compatibles avec les intérêts français ?

Henri de Bresson : On ne peut pas parler d’alignement de la France sur l’Allemagne ou vice-versa. On dit toujours que l’importance de la relation franco-allemande tient à la capacité des deux pays à trouver sur les grandes questions européennes des compromis qui sont repris à leur compte par les autres pays de l’Union. Que ce soit sur la défense, le fonctionnement de l’économie, l’énergie, l’environnement, le fonctionnement de leur démocratie, les deux pays ont longtemps été très différents. Avec peut-être un grand point commun, qui les distingue du Royaume-Uni : la conscience de devoir sauvegarder un système de protection sociale fort. Ces différences se comblent peu à peu mais cela prendra encore du temps. C’est d’ailleurs l’enjeu des réflexions en cours sur la consolidation de la zone. Le bon fonctionnement actuel du modèle industriel allemand suscite naturellement en France des questions qui font l’enjeu du débat politique sur l’adaptation du modèle français. Mais les Allemands font aussi des pas comme l’a montré leur adoption du SMIC. Le passé allemand, le rôle central que jouent encore les Eglises, la capacité de l’économie à absorber des demandeurs d’emploi posent le débat sur l’accueil des réfugiés de manière très différente qu’en France, où la peur domine. Cela n’empêche pas moins les deux pays de chercher ensemble des solutions pour sauver le fonctionnement de la libre circulation dans la zone Schengen, qui leur tient à coeur. Nicolas Sarkozy a là-dessus des positions très arrêtées qu’il ne manquera pas de faire valoir à Berlin.

Jérôme Vaillant : Chaque rencontre Merkel-Sarkozy fait ressurgir le mythe ou le spectre de "Merkozy" utilisé en France pour diaboliser la politique allemande de Sarkozy accusé de s’aligner sur les positions allemandes. C’est oublier que les rapports entre Sarkozy et Merkel n’ont nullement été faciles au début et qu’il leur a fallu comme à tous les couples franco-allemands d’après la période de Gaulle-Adenauer, s’adapter l’un à l’autre et comprendre les motivations de l’autre. Les tensions entre Kohl et Mitterrand sont occultées par l’image de la réconciliation au-delà des tombes de Verdun en 1984, Chirac et Schröder se sont cordialement malentendus à leurs débuts. En estimant qu’il fallait comprendre les différences entre les deux pays, on avait pris ainsi l’habitude de mettre en avant ce qui opposait la France à l’Allemagne, structurellement (centralisme versus fédéralisme) et culturellement (interventionnisme économique de l’Etat versus économie de marché), au point qu’on en était venu à oublier que pour s’entendre et progresser, il fallait chercher les points d’accroche et les intérêts communs. Sarkozy s’était juré que, lui président, il amènerait bien l’Allemagne à revoir le statut indépendant de la Banque centrale européenne pour mettre celle-ci au service de la politique des Etats et pas l’inverse. L’Allemagne, particulièrement sourcilleuse sur la question, n’avait pas tardé à recadrer le Président français, trop facilement oublieux des engagements pris par La France dans le traité de Maastricht, avec son pacte de stabilité et de croissance. Tous finalement ont fait l’apprentissage de la connaissance de l’autre, de ce qui était possible et de ce qui ne l’était pas, acceptant, après avoir commis plus ou moins d’impairs, un mariage de raison au nom de la construction européenne sans laquelle les puissance composant celle-ci n’étaient plus en mesure de compter dans le monde.

François Hollande n’a pas été de reste quand, tablant - sans raison - sur le succès des sociaux-démocrates aux législatives allemandes de septembre 2013, il avait cru pouvoir mettre en place un front des pays de l’Europe du Sud contre l’Allemagne et ses alliés du Nord pour contester ce qui était, à ses yeux, une politique irresponsable d’austérité. Il s’est lui aussi, comme ses prédécesseurs, rendu à la raison. Dans la période d’euroscepticisme par laquelle passe l’Union européenne en ce moment, chaque citoyen européen est en droit de savoir de quoi est faite cette "raison". L’Europe est d’abord un projet de paix né après la guerre et dans les conditions de la Guerre froide, mais cet argument ne suffit plus, aujourd’hui que l’essentiel semble avoir été fait pour préserver la paix en Europe (mais semble seulement !). L’Europe est ensuite un projet libéral coloré d’interventionnisme via la planification à la française avec pour objectifs la croissance économique sans inflation et le bien-être social. La crise a montré qu’elle était plus libérale que sociale, c’est l'une des raisons de la désaffection à l’égard du projet européen. C’est encore un projet intégrateur fondé sur la mise en commun de pans des souverainetés nationales. Les défenseurs de l’Europe ont sans doute sur ce point particulier trop vite baissé les bras ces derniers temps de peur, en période de repli sur soi-même, de mécontenter les partisans d’un souverainisme obsolète dans un monde globalisé.

L’ancien Président, en cas de victoire finale en 2017, pourrait-il reprendre le fil du couple franco-allemand là où il l’avait laissé pour relancer le projet européen ? La désertion de ce terrain par François Hollande, au cours de son quinquennat, laissera-t-elle des traces ?

Jérôme Vaillant : Il est malaisé pour ne pas dire au plus haut point risqué de s’engager sur la voie de la politique fiction avant l’échéance des primaires à droite et à gauche et avant les résultats du referendum britannique. Comme il a été dit précédemment, François Hollande a commis, au début de son mandat, des erreurs majeures d’appréciation pour revenir ensuite, comme ses prédécesseurs, à des positions plus nuancées. C’est au demeurant valable également pour la chancelière qui, sans doute trop lentement, mais au bout du compte a fait évoluer l’Allemagne sur la question de la Grèce et le rôle de la Banque centrale européenne dans la question de la gestion des dettes souveraines en adoptant une position moins monétariste et doctrinaire, forcée en cela par Mario Draghi. Sur la question du "Brexit", Nicolas Sarkozy, pas plus que François Hollande, n’y est favorable, mais il pense sans doute également, comme Emmanuel Macron, qu’il faudra pour résorber un trop-plein d’élargissement qui n’a fait que favoriser la construction d’un grand marché à l’anglaise, en revenir à une Europe plus ramassée et plus resserrée, et permettre au noyau des puissances qui le souhaitent de progresser plus vite vers une intégration qui limite les différentiels entre pays au profit d’une régulation plus égale des marchés.

Aucun président ou chancelier ne pourra en 2017 reprendre là où s’est arrêté son prédécesseur, qu’il se succède à lui-même ou non. Il leur faudra à tous assumer les conséquences de la crise de confiance des peuples en Europe pour surmonter ce qui leur apparaît comme le produit d’une trop puissante technocratie bureaucratique tout comme il leur faudra poursuivre le double objectif d’une relance de la croissance et de réformes structurelles, les deux pouvant se compléter et non pas s’opposer. L’intégration, terme qu’on devrait remettre au cœur du débat plutôt que de l’éviter comme une maladie honteuse, est à ce prix.

Henri de Bresson : Il n’y a pas eu désertion du terrain franco-allemand par François Hollande ni ses gouvernements. L’importance de cette relation n’a cessé d’être mise en scène par les dirigeants socialistes comme elle l’a été par leurs prédécesseurs, comme le montrent encore les célébrations du centième anniversaire de la Grande Guerre. Les dissensions entre Paris et Berlin sur les politiques de rigueur et le degré de solidarité avec la Grèce et les pays du sud pour leur permettre de sortir de la crise de l’euro ont abouti là aussi à des compromis. Le rôle joué par la France lors des interventions au Mali, en Afrique, en Syrie contre Daesh et l’islamisme radical a provoqué une prise de conscience en Allemagne sur la nécessité de faire évoluer la politique européenne de défense. Il y a dans les gouvernements actuels des tandems de ministres qui ont rarement été aussi proches, comme les ministres des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault et Frank Walter Steinmeier, ou plus curieusement les ministres des Finances, le rigoriste Wolfgang Schäuble et Michel Sapin, qui viennent de signer un livre commun, Jamais sans l’Europe. Il est vrai en revanche que la difficulté des dirigeants français à faire évoluer le modèle économique français, les divisions de la gauche sur ce sujet, la multiplication des grèves, la montée de l’extrême-droite, sèment le doute en Allemagne sur la capacité de la France à être à la hauteur des changements qui s’opèrent dans le monde et du coup de leur relation avec une Allemagne et une Europe en mutation constante. Mais la droite devra aussi donner des gages sur ce terrain. Le bilan de la présidence Sarkozy n’a pas été épargné Outre-Rhin par ceux qui pensent que la France est irréformable.

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