Rencontre Hollande-Merkel : mais au fait, quelle idée se fait-on du "couple franco-allemand" outre-Rhin ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel et François Hollande
Angela Merkel et François Hollande
©Reuters / Pool New

Vu d’en face

En vue de la préparation du sommet européen de lundi prochain sur la crise des migrants, François Hollande reçoit ce vendredi Angela Merkel. Une crise qui a des répercussions sur le couple franco-allemand, notion vis-à-vis de laquelle la classe politique et la société civile allemandes expriment de plus en plus de réserve.

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant

Jérôme Vaillant est professeur émérite de civilisation allemande à l'Université de Lille et directeur de la revue Allemagne d'aujourdhuiIl a récemment publié avec Hans Stark "Les relations franco-allemandes: vers un nouveau traité de l'Elysée" dans le numéro 226 de la revue Allemagne d'aujourd'hui, (Octobre-décembre 2018), pp. 3-110.
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Atlantico : Le 13 février dernier, à Munich, Manuel Valls a violemment critiqué la politique migratoire qu'Angela Merkel souhaite voir appliquer en Europe. Une sortie qui avait provoqué l'irritation de la chancelière. Dans quelle mesure la déclaration de Manuel Valls a pu avoir un impact sur le couple franco-allemand ? 

Jérôme VaillantL’attaque de Manuel Valls a d’autant plus mécontenté la chancelière qu’elle a été menée à Munich, en Bavière donc, dans un Etat fédéré dont le ministre-président, Horst Seehofer, est sans doute le plus remonté contre la politique des réfugiés préconisé par Angela Merkel, même si le parti chrétien-social qu’il conduit fait partie de la coalition gouvernementale à Berlin en tant que parti-frère des chrétiens-démocrates. Il s’agit du même Seehofer qui, en septembre 2015, déroulait le tapis rouge pour Viktor Orban à Banz pour s’entretenir avec lui de la politique à mener pour endiguer le flux de réfugiés en Europe. C’est le même Seehofer qui n’a cessé de mettre en public la pression sur la chancelière jusqu’à menacer son gouvernement d’une plainte devant le tribunal fédéral constitutionnel de Karlsruhe. S’exprimer comme l’a fait Manuel Valls a Munich pouvait donc passer à Berlin pour un geste particulièrement inamical.

Pourtant, on pouvait aussi à Berlin en relativiser la portée, tout comme celle des attaques de Horst Seehofer, tant leur vivacité était jugée en dehors de Munich excessives et déplacées, le signe que l’allié bavarois aboyait d’autant plus fort qu’il cherchait à compenser sa faiblesse de manière assez classique en critiquant Berlin. On pouvait également limiter la portée de la sortie de Manuel Valls dans la mesure où si elle avait bien valeur d’avertissement, elle n’était pourtant pas relayée par le président français dont on sait bien, à Berlin, qu'il est celui qui conserve la maîtrise des affaires étrangères de la France, et qu’il reste attaché au couple franco-allemand après une première période de refroidissement.

Si l'on revient sur l'ensemble du quinquennat Hollande, comment a évolué cette notion de "couple franco-allemand" ? Peut-on encore réellement parler de "couple" ?

La notion de "couple" est une notion soumise aux fluctuations de l’opinion et des critiques des observateurs comme des médias en général. Il fut des périodes pendant lesquelles on lui a préféré le terme de " tandem " tant celui de " couple " prêtait aux interprétations en terme de scènes de ménage. Au total, ce qui importe, c’est moins le terme lui-même que ce qu’il est censé représenté. Il faut, en la matière, toujours rappeler l’initiative prise par Robert Schuman au nom de la France le 9 mai 1950 quand il propose à l’Allemagne occidentale de fonder avec la France une communauté européenne du charbon et de l’acier  ouverte aux autres puissances européennes intéressées, alors que se profile à l’horizon la fin du statut international de la Ruhr et que l’Allemagne est en passe de recouvrer progressivement sa souveraineté. C’est dire que le couple franco-allemand est fondé pour satisfaire aux intérêts des deux pays, mais au service d’une même cause : construire l’Europe  alors que règne entre l’Est et l’Ouest la Guerre froide. Les deux pays mettent en avant la nécessité de rendre désormais impossible la guerre entre la France et l’Allemagne, et ce faisant pour l’Europe encore limitée alors à l’Europe occidentale.

Si la notion de " couple " a survécu par la suite à bien des crises, c’est qu’elle a été efficacement symbolisée par des couples de personnalités politiques tels que de Gaulle-Adenauer, Brandt-Pompidou (avec des réserves), Kohl-Mitterrand avant l’unification, puis de nouveau après l’unification, Schröder-Chirac,  Sarkozy-Merkel, et au bout du compte également Merkel-Hollande. Même quand les débuts avaient été difficiles entre les participants à ces couples, la nécessité pour les Etats de s’entendre, les économies de s’intégrer, et les sociétés civiles de se rapprocher l’avaient toujours emporté en dernier ressort.

On pouvait avoir des doutes sur la capacité de François Hollande de surmonter les difficultés de ses débuts avec Angela Merkel tant ils s’étaient tous deux mis en position de ne pas se comprendre : Hollande en faisant croire pendant sa campagne électorale qu’il pourrait organiser un front européen anti-austérité contre Merkel en mobilisant l’Europe latine contre l’Europe germanique ; Merkel en tablant sur le succès improbable du rival de Hollande. On a alors parlé de " désamour " … comme dans les couples vieillissants. Il y avait bien eu alors un changement de paradigme dans les relations franco-allemandes. Jusqu’alors, les deux pays cherchaient, malgré des différends qui avaient toujours existé, à mettre en avant ce qui les associait, et à rechercher précisément ce qu’ils pouvaient faire en commun pour faire avancer l’Europe qui restait un fort dénominateur commun. Depuis Chirac et Schröder, on s’était mis à penser que pour se comprendre il fallait d’abord analyser ce qui opposait la France et l’Allemagne, prétendûment pour mieux surmonter ce qui les opposait, mais avec pour effet qu’on parlait plus de ce qui opposait au lieu de rechercher ce qui unissait. Chirac et Schröder, également Sarkozy et Merkel, ont surmonté ce qu’on pourrait appeler cette " maladie infantile ". Finalement Hollande et Merkel avaient pris le même chemin au-delà de la crise grecque, jusqu’à ce qu’arrive la " crise des réfugiés " qui obligea l’Allemagne humanitaire à se rendre compte qu’elle ne pouvait pas compter sur la solidarité européenne, et que la politique allemande en la matière provoquait, au contraire, un retour aux égoïsmes nationaux.

L’Allemagne souhaitant la bienvenue aux réfugiés pouvait prétendre au magistère moral de l’Europe en défendant les droits de l’homme et la tradition d’accueil de la Révolution française, quand la France se repliait sur elle-même par crainte de réactions nationalistes et xénophobes – des phénomènes auxquels l’Allemagne se trouvent bien évidemment elle aussi confrontée, en particulier dans sa partie orientale qui ne partage pas encore pleinement la culture politique de l’Allemagne occidentale libérale. Mais si on y avait regardé de plus près, on aurait vu également que l’Allemagne n’avait pas simplement un point de vue angéliquement humanitaire et qu’elle était tout aussi disposée à mener une politique réaliste pour réguler le flux des migrants,  garantir les frontières extérieures de l’Europe, aider les réfugiés sur place, là où ils ont été accueillis en premier, aider les pays partenaires à fixer les réfugiés chez eux.

Il y avait là matière à des initiatives franco-allemandes. On s’est finalement contenté d’affichage sur un prétendu accord sur le fond, qui ne débouchait pourtant pas sur un réel accord politique – entre autres, parce qu’on n’a pas suffisamment distingué ce qui unissait de ce qui opposait.

De quelle manière la population allemande et leurs représentants politiques perçoivent-ils cette notion ? Là aussi, note-t-on une différence significative de cette perception outre-Rhin depuis le début du quinquennat Hollande ? 

La France de François Hollande a commis un impair impardonnable lorsqu'à l’occasion de la réforme du collège, le ministère de l’Education nationale a programmé la disparition des classes bilangues (anglais-allemand) dont la promotion s’inscrivait pourtant pleinement dans la ligne du Traité d’amitié et de coopération de l’Elysée. Cette réforme s’est heurtée à l’incompréhension des médias allemands qui se sont demandés si la France se désintéressait de l’Allemagne en négligeant ainsi la formation de cadres français capables d’intervenir dans le franco-allemand. Les organisations franco-allemandes de la société civile allemande s’inquiètent aujourd’hui que, comme conséquence de la réforme du collège, il n’y ait plus assez de collèges français pour participer à des appariements avec des collèges allemands. C’est presque cocasse dans la mesure où ces dernières années, en France, on ne cessait de se lamenter du désintérêt croissant de l’Allemagne et des Allemands pour la France. La nouvelle stratégie langues présentée par le MEN à l’occasion de la journée franco-allemande du 22 janvier dernier représente une tentative de redresser les choses, mais elle ne peut masquer les énormes inégalités territoriales qu’elle engendre en favorisant Paris au détriment de la province. Le gouvernement français ne peut être qu'appelé à revoir sérieusement sa copie s’il a le souci de préserver l’avenir de la relation franco-allemande par l’apprentissage de la langue du pays partenaire. Les Allemands restent attachés à une certaine idée d’une France généreuse, mais ils déchantent quand les Français déchantent face à une Allemagne trop austéritaire – dont ils ne veulent par ailleurs pas voir les succès économiques sur la base d’un social-libéralisme contrôlé.

Mais rien n’est jamais perdu dans les relations franco-allemandes tant que les deux pays restent capables d’analyser avec toute la sérénité et toute la  sobriété nécessaire ce qu’ils peuvent faire en commun pour conserver, grâce à l’Europe, leur place dans le monde. Les deux pays ont au moins cette conscience qu’ils sont trop petits pour être de grandes puissances par elles-mêmes et que c’est seulement via l’Europe qu’elles peuvent se faire entendre dans le monde. Encore faut-il qu’elles donnent de la voix et sachent fédérer les membres de l’Union.

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